mercredi 23 mai 2007

ÉCHO JUDICIAIRE !

AVANT-PROPOS

Il y a autour de nous beaucoup de personnes qui ne demandent qu'à consacrer leur art et leur activité à l'élaboration d'une grande oeuvre. Leur seule faiblesse est de cacher leurs sentiments intimes ou de manquer de ce cran nécessaire qui entraine la foule des indécis et des hésitants. Nous avons la conviction profonde qu'il suffirait d'un rien pour communiquer la flamme à l'immense masse des gens inertes.Tout individu peut donner son apport si l'on trouve le moyen de toucher son coeur ou de faire vibrer son âme.

Et, nous pensons que si l'on arrive à réveiller cette conscience populaire qui ne demande qu'à vibrer, on ferait oeuvre utile. Chers lecteurs, nous n'avons pas la prétention de vous présenter une magazine juridique. Nous voudrions seulement partager avec vous cette humble conception que nous avons de la justice à travers certains faits de circonstances. Cette conception est l'expérience de notre vécu personnel; elle est aussi le fruit de notre compréhension des gens et des choses d'ici et d'ailleurs. Elle est aussi le reflet de notre conviction et de notre ambition.
Elle se manifeste tant dans notre vie privée que dans celle de l'homme assoifé de justice. Elle est ce tout sentimental, fait de vestiges de nos apprentissages et de nos expériences dans la Magistrature. Nous sollicitons donc votre indulgence à chaque imperfection rencontrée. Déjà, nous encourageons vos commentaires.
Attendez-vous à recevoir un texte tous les dimanche; la rubrique est intitulée: "Echo Judiciaire".
Bonne lecture!
Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti

LES MAGISTRATS SONT-ILS RESPONSABLES DES MALHEURS DE LA MAGISTRATURE ?

LES MAGISTRATS SONT-ILS RESPONSABLES DES MALHEURS DE LA MAGISTRATURE ?

Par Me Heidi Fortuné...

Quand on parle de dysfonctionnement du système judiciaire haïtien, tout le monde pointe du doigt les Magistrats. La justice est un tout cohérent composée de divers éléments entre autres : Juges, officiers du Parquet, avocats, greffiers, huissiers, policiers, experts et personnel de soutien. La magistrature en est l’une de ses composantes, c’est même la plus importante.
Ailleurs, dans les grands pays, elle est administrée par le Ministre de la justice et le Président de la cour suprême. Mais, chez nous, elle est vouée à elle-même.

On demande aux Magistrats de garantir les droits des justiciables pendant que eux-mêmes n’ont pas de garantie. Ils ne disposent pas de moyen pour remplir à bien leur mission. Ils sont mal rémunérés et n’ont aucune sécurité que ce soit sociale ou environnementale.
Quand les organisations des droits humains disent dans leurs rapports que les Magistrats sont responsables de la surpopulation carcérale et en général du cancer qui ronge le système, cela nous fait rire. En quoi les Magistrats puissent-ils être responsables de la mauvaise administration d’une institution ? L’article 136 de la constitution stipule clairement que « le Président de la république veille à la stabilité des institutions et assure le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ».

Les Magistrats sont traités en parents pauvres par rapport aux parlementaires et aux membres de l’exécutif. On n’a qu’à jeter un coup d’oeil sur le budget qui est alloué à la justice. Du côté des sénateurs, des députés et du gouvernement, c’est l’accalmie...on ne les entend pas se plaindre. Les temps sont durs mais pas pour tout le monde.

Nous crions haut et fort que les Magistrats ne sont pas responsables des malheurs de la magistrature. Les juges de paix qui n’ont pas le niveau requis, les commissaires du gouvernement incompétents et corrompus sont nommés par qui ? La refonte des codes devrait être la charge de qui ? La restauration des tribunaux, la formation continue, la spécialisation dans des domaines spécifiques, les moyens matériels et techniques, l’école de la magistrature sont sous la responsabilité de qui ? Les postes vacants doivent être comblés par qui ? Un Magistrat qui rentre chez lui en tap-tap après une audience criminelle, la faute incombe à qui ? Les maisons de justice où sont entassés les Magistrats ne sont pas informatisées ni électrifiées ni même sécurisées, qui est responsable de ces irrégularités ? Et pour finir, le budget de la république, impliquant par ricochet celui de la magistrature, est élaboré, proposé, discuté et voté par qui ?
Nous laissons à chacun le soin de répondre. Si malgré tout, on persiste à croire que les
Magistrats sont responsables des malheurs de la magistrature ; de deux choses, soit on est faible d’esprit, soit on est de mauvaise foi. Les Magistrats ne doivent pas être pris comme bouc émissaires. Le traitement qu’on leur inflige ne fait pas honneur au pays. Les séminaires organisés, de temps à autre, par le ministère de la justice, parrainés dans la majorité des cas par la communauté internationale ne résoudront pas les problèmes.

La magistrature suppose une infrastructure considérable et des stratégies bien définies. La question de salaire raisonnable est d’ordre primordial. Les diatribes lancées, à tout bout de champ, contre les Magistrats ne changeront pas la situation tant qu’on ne les aura pas mis dans une situation confortable de bien-être et d’indépendance et un atmosphère de confiance et de non-ingérence où ils seront à l’abri de toute tentation et de toute corruption.
On est toujours prêt à condamner la magistrature mais on ferme les yeux sur les causes de son dysfonctionnement. Le gouvernement, les organisations des droits humains, la communauté internationale ne perdent pas leur temps à réfléchir sur les problèmes que confrontent les Magistrats dans leur vécu quotidien.

Le cri pressant que nous lançons est : Aidez-les, ils aideront Haïti. On doit savoir qu’une société qui ne respecte pas ses Juges et ne fait pas foi en son système judiciaire travaille à son autodestruction. Si la magistrature est un commerce rentable pour certain, pour d’autres, elle reste une profession noble, respectable, honorable. Pour exister et être respectée la magistrature doit être prise en charge.

Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 22 Avril 2007

PEUT-ON PARLER DU DYNAMISME DU DROIT HAITIEN?

PEUT-ON PARLER DU DYNAMISME DU DROIT HAITIEN?

Les progrès apportés par la civilisation exigent une certaine adéquation des lois aux sociétés pour lesquelles elles sont faites. Au fur et à mesure que le monde se modernise, le droit se modernise. Et si l’on dit que la société évolue, la loi doit l’être aussi puisqu’elle en est son reflet.
Comment pouvons-nous continuer à nous servir des lois remontant à plus de quarante voire cinquante ans sans jamais être amendées pour une fois, même au niveau d’un article ?

Nos codes sont désuets et ne marchent nullement avec la réalité actuelle du pays. Prenons par exemple le code d’instruction criminelle qui date du règne de Jean-Pierre Boyer (1835) ; son contenu ne correspond plus aux exigences actuelles de la procédure pénale et aux droits garantis qui doivent être reconnus au justiciable. Sous de nombreux aspects, il représente la procédure pénale telle qu’on ne l’applique plus.

Les articles sont usés jusqu’à la corde ; n’en parlons pas des erreurs de ponctuation ; les ambiguïtés et imprécisions ne manquent pas.
Notre législation n’a pas évolué. Les pouvoirs exécutif et législatif ne se préoccupent même pas de sa carence. Et puis, on va jeter tous les maux du système sur les Magistrats. Si on veut trouver les coupables, n’y allons pas par quatre chemins. La faute est imputable aux gouvernements, aux dirigeants politiques qui ont toujours manifesté peu d’intérêt à la justice.
Nous avons passé plus de cent cinquante années, plus de trois quarts de notre histoire de peuple à assister les bras croisés à l’échec cuisant de notre système judiciaire.

Une commission pour la réforme du droit et de la justice a été créée en 1997 avec pour mission principale la refonte de certains de nos codes mais les effets bénéfiques que l’on attend de cette initiative tardent à venir. Et cela dure depuis dix ans. On a parlé, parlé...mais rien n’a changé.
L’un des aspects les plus frustrants du problème demeure l’inertie politique et bureaucratique, la continuelle résistance au changement même après la reconnaissance des meilleures alternatives. Nous déduisons encore une fois que la retouche législative n’est pas faite parce que nos gouvernements, pour une raison ou une autre, ne s’y intéressent pas. Ils ont le pouvoir mais nous ne savons pas comment leur donner le vouloir.

Nous persistons à croire que la justice haïtienne n’est pas parvenue au stade du glissement fatal vers l’irréversible, et qu’il est encore possible, dans un réarmement des consciences, de monter à l’assaut des irrégularités. Il est temps que nos parlementaires comprennent la nécessite de faire des lois ayant rapport avec la réalité du peuple haïtien tout en tenant compte des progrès scientifiques et de l’évolution actuelle du monde.

Somme toute, s’il est vrai que la garantie des droits se fait toujours dans un Etat sûr, eh bien, nous le disons solennellement, les dirigeants politiques haïtiens ne voudront jamais que la justice haïtienne soit dynamique.
Comprenne qui voudra !

Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haiti
Ce 15 Aril 2007

LA JUSTICE MISE EN ACCUSATION...

LA JUSTICE MISE EN ACCUSATION...
Par Me Heidi Fortuné

La justice haïtienne ne constitue pas un corps complet de préceptes absolus et immuables. Ce n’est pas à dire que le système ne reconnaît pas l’existence de certains principes mais les règles destinées à organiser et à développer ces principes ne sont guères respectées ou tout simplement présentent un caractère assez contingent et surtout très variable selon que vous serez riche, puissant ou misérable, noir, mulâtre ou blanc.

En choisissant le chemin du Droit, englobant la Magistrature et l’Avocature, nous nous sommes engagé solennellement de comparer, de régulariser et de statuer équitablement devant Dieu et au nom de la république selon les faits et surtout selon notre conscience. Nous avons, pour ainsi dire, une responsabilité envers le plus grand nombre, le monde des défavorisés, des dominés et des exploités, celui des masses populaires, des enfants, des jeunes, des femmes, des paysans et des ouvriers.

En vérité, à quoi cela sert-il d’être Magistrat ou Avocat, si la justice doit continuer à être l’apanage des hommes politiquement et économiquement forts ? Et ne devrait-on pas avoir honte de jouer au super-juriste si la justice doit encore demeurer le privilège de quelques-uns face au constat scandaleux du sort des ‘’ laisser pour compte ’’ ? Et comment peut-on, en tant que disciple de Saint Jude, Saint Yves, Thémis...et autres, rester insensible face à cette situation dégradante dans laquelle s’embourbe de jour en jour la justice haitienne ? Enfin, comment en tant que membre actif du système, se voiler la face devant l’état exécrable de nos tribunaux, le comportement d’affairiste des greffiers, huissiers, policiers et la mentalité viciée des avocats, juges et commissaires du gouvernement qui n’ont pas changé de visage depuis près de deux siècles ? Et on pourrait continuer ainsi à l’infini...

Par le fait de mettre aujourd’hui la justice dans son ensemble en accusation, de plaindre cette race d’élites moyennardes, aventuristes et opportunistes, ces petits agents qui ne rêvent que de corruption, intrigues, méchancetés, tout ce qui rappelle le négativisme, pour quelques avantages pécuniaires et matériels ; oui, par le fait même de s’en plaindre, les mettre à nu et les dénoncer, peut-être arriverons-nous à faire de la justice de chez nous ce que normalement elle devrait être : « une vertu morale qui fait rendre à chacun ce qui lui est dû ».Si on n’est pas capable de poser cette action...où allons-nous ?

Pour l’histoire qui dira aux générations futures ce que nous avons été, ce que la justice a été de notre temps, comment on a assisté comme des lâches à la dégradation de notre système judiciaire et avec quelle passivité on a encaissé les injustices de notre justice, on se doit de réagir pour dénoncer certaines pratiques, on se doit de lutter pour mettre sur pied un nouveau système. A ce moment-là, « Liberté, Egalité, Fraternité » ne sera plus un simple formulaire pour dresser les actes publics mais un cri d’équité et d’honnêteté derrière lequel se cache la justice triomphante.


Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti

Ce 08 Avril 2007

mardi 22 mai 2007

QUI EST CENSÉ CONNAîTRE LA LOI ?

QUI EST CENSÉ CONNAÎTRE LA LOI?
Par Me Heidi Fortuné

A cette question, on répondra bien évidemment : les Magistrats en tout premier lieu ; viendront ensuite les avocats, les autorités politiques, les membres de la société civile organisée...jusqu’au simple citoyen.

Et, on n’aura pas tort. D’ailleurs, comme dit le vieux dicton : « nul n’est censé ignorer la loi».
La plupart des auteurs s’accordent à voir dans cet adage une règle de droit positif. La loi a force obligatoire pour tout le monde, même pour ceux qui ne la connaissent pas. On ne peut dès lors échapper à son application en prétendant l’ignorer, ou en soulevant l’argument du double sens ou de l’imprécision. Mais, cela ne veut pas dire que tous les citoyens doivent connaitre toutes les lois. Normalement, il devrait y avoir des exceptions : les mineurs et les déments par exemple.
La conséquence de cette règle, qui veut que personne ne puisse prétendre à l’ignorance du contenu de la loi, est que l’autorité qui l’édicte doit veiller à ce que toutes les personnes concernées soient informées.

Elle ne peut réclamer obéissance à une loi qu’elle n’a pas communiquée. Ce serait allé à l’encontre d’un principe d’équité tout à fait élémentaire. Donc, afin que nul n’en ignore et n’en prétexte cause d’ignorance, l’Etat doit, au minimum, faire la publicité de chaque nouvelle prescription adoptée, soit par annonce, affiche, débat ou film cinématographique.
La manière dont les lois sont rendues publiques n’est pas le même partout. En Haiti, une loi ne trouve son application qu’à la condition d’être publiée au Moniteur, le journal officiel de la république.

Maintenant, la question est de savoir : est-ce que la publication d’une loi au Moniteur a pour but de porter cette loi à la connaissance du public ?
Notre point de vue n’est pas d’intervenir dans ce débat mais d’aborder l’obligation pour l’autorité d’informer la population de la législation en vigueur et des règles qu’elle édicte. Car, on ne peut sanctionner quelqu’un sans qu’il n’ait jamais été prévenu de la règle à respecter.
Nous prenons un exemple banal mais qui a toute son importance dans le contexte haitien où les faits divers peuvent souvent se dégénérer en "Affaire d’Etat" et engendrer des crises dont les conséquences sont incalculables pour l’apprentissage démocratique que notre pays est en train de vivre.

Les panneaux et les feux de signalisation sont censés réglémenter la circulation et faciliter la vie à tous dans une communauté. Une rue est à sens unique, le service de la circulation est supposé placer un panneau ou tout signe connu des conducteurs et automobilistes indiquant clairement la direction autorisée dans cette artère. Mais, si ceci n’est pas fait et clairement fait, le citoyen peut, avec raison, prétendre ignorer cette disposition de la circulation.

Nous allons plus loin et vous allez aussi constater par vous-même que c’est très grave.
Saviez-vous que même les Magistrats n’ont pas à leur disposition certaines lois internes publiées, voire les accords internationaux votés et ratifiés ?

Nous citons : la nouvelle loi sur la circulation, la nouvelle loi sur la police d’assurance, la nouvelle loi sur la matricule fiscale, le nouveau décret sur le viol, le nouveau décret sur le kidnapping. Les deux derniers sont entrés en vigueur depuis plus d’un an, pourtant, les magistrats de la juridiction du Cap-Haïtien ne les possèdent pas encore. Ils sont obligés de s’adresser souventes fois à la section justice de la Minustah pour s’en procurer une copie.
Et ça fait pitié !

Depuis toujours, les Magistrats achètent leurs outils de travail, depuis la papeterie...jusqu’aux codes de lois. Ils se les procurent dans leurs poches et à prix fort. Jamais de courtoisie, aucune élégance du ministère de la justice ni même du gouvernement.
Les Magistrats se cassent la tête, parfois, se font humilier devant des cabinets d’avocats pour avoir un « Arrêt » rendu par la Cour de Cassation. Même le livret de la constitution de la république n’est pas disponible au ministère de la justice...pour les Magistrats. De la pitance qu’ils recoivent comme salaire, ils sont obligés d’acheter des ouvrages juridiques et autres... pour améliorer leur performance et tenir tête aux plaideurs.

Ces quelques illustrations démontrent éloquemment qu’en Haïti le principe «nul n’est censé ignorer la loi » n’est qu’un simple verbiage juridique dont les autorités concernées en font peu de cas. Mais tout de même, nous avons pour obligation de souligner à leur attention que la connaissance de la règlementation est essentielle, et pour les acteurs judiciaires, en l’occurence les Juges, et pour les sujets de droit, les justiciables. Il n’y aurait plus aucune sécurité juridique si quelqu’un devait être lié à des normes qui ne sont pas rendues publiques.

N’est-ce pas vrai que Dieu a écrit ses dix commandements dans la pierre, donnant l’ordre à Moïse de les porter à la connaissance du peuple élu ?
Vivement l’ancien droit !

Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 20 Mai 2007

JUSTICE : TOLÉRANCE ZÉRO POUR LES CORROMPUS...

JUSTICE : TOLÉRANCE ZÉRO POUR LES CORROMPUS
Par Me Heidi Fortuné

Les Magistrats exercent le plus vieux métier du monde, l’on pourrait s’attendre à ce qu’ils soient quelque peu blasés au sujet de tout ce que l’on a pu dire, écrire ou penser de leur art et leur façon de l’exercer.

Dans les autres civilisations, même s’ils sont considérés comme des sources d’inquiétude, on n’a jamais mis en doute leur intégrité. Jésus-Christ, lui-même a été jugé et condamné suite à un procès honteux, cela n’a pourtant pas fait de Ponce Pilate un damné ni le dernier des hommes. Jamais les Magistrats français, américains ou canadiens n’ont le sentiment que la vindicte populaire se retourne contre eux.

La roue tourne, la science du droit évolue et certaines autorités judiciaires de chez nous cèdent facilement le pas à l’affairiste. Ils acceptent de tout faire pour quelques avantages pécuniaires. On va même à dire qu’ils sont responsables du coût exorbitant de la justice. Donc, il est urgent de réfléchir aux raisons de cette triste évolution et surtout aux moyens à mettre en oeuvre pour l’enrayer.

Il y va de l’avenir d’Haïti...
Si la justice haïtienne est tant décriée, la faute est également imputable à ces individus aux mains sales et à la conscience travestie, qui n’ont rien à voir avec la magistrature, parachutés dans le système par des responsables corrompus de l’appareil étatique.
Nous sommes malheureusement obligé encore une fois d’accuser le pouvoir politique, principalement certains ministres de la justice avec des approximations regrettables à propos de quelques scandales qui ont secoué l’institution judiciaire et pour lesquels aucune sanction n’a été prise contre leurs auteurs. Comment s’étonner que le Magistrat donne une mauvaise image de sa profession si les bergers se montrent aussi laxistes avec les brebis galeuses qui semblent être légions ces derniers temps !

Il y a quelque part une mafia organisée. Et il faut la détruire avant qu’il ne soit trop tard, sinon, c’est nos petits-fils et nos arrière-petits-fils qui en paieront les frais. L’administration de la justice, laissée trop longtemps comme ‘’machine à sous’’ aux mains de vieux forbans, fait le bonheur d’un petit groupe et le malheur de tout le système...voire toute la nation.
Tolérance zéro pour tous les corrompus, quel qu’ils soient, sans exception ! Pareille mesure amènera à offrir non seulement une garantie de l’avenir du pays mais aussi des exemples de civisme et d’honnêteté à la jeunesse, en lui apprenant comment mieux gérer les choses et les gens d’Haïti, en lui enseignant surtout comment lier l’équité à l’acte positif.

Nous confirmons ici, par notre expérience professionnelle et personnelle, que la droiture du Magistrat est la meilleure garantie qu’une justice attentive soit rendue à l’égard du justiciable.
L’autorité de la justice se fonde davantage sur la confiance qu’elle inspire que sur la brutalité qu’elle exerce. Les Magistrats honnêtes doivent plus que jamais continuer à tendre vers les sommets qu’ils ne peuvent atteindre car que vaut un idéal si l’on y parvient ?

Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 06 Mai 2007

LA PROBLÉMATIQUE : POLICE/JUSTICE

LA PROBLÉMATIQUE POLICE/JUSTICE
Par Me Heidi Fortuné

Assez souvent, on entend les hauts responsables de l’institution policière dire : «La police arrête, la justice libère ». Ils renvoient dès lors la responsabilité de l’insécurité grandissante sur les Magistrats. Ce sont-là des manoeuvres visant à discréditer davantage la magistrature. C’est de la mauvaise presse, rien d’autre. Malheureusement, les hommes politiques, les membres de la société civile, les journalistes les plus lucides et les plus brillants y croient.
La police qui a pour mission de protéger et servir est avant tout auxiliaire de la justice. Elle est donc le premier maillon dans la chaîne pénale, avec un lien de subordination sans équivoque. Son travail consiste essentiellement à rechercher, appréhender et déférer par-devant la justice les auteurs des infractions.

Mais pour ce faire, elle a des délais et des procédures à respecter. Une violation de droit ou un vice de forme peut faire basculer la décision espérée au profit du prévenu. Le plus souvent, le procès échappe au Ministère Public parce que le dossier n’a pas été bien préparé par la police. Ou plus exactement, parce que l’enquête policière a été faussée.
Permettez-nous de poser certaines questions et de faire du même coup quelques remarques :

Un citoyen reproché d’association de malfaiteurs est battu à mort dans une garde à vue de la république. Y a-t-il une différence entre le policier bourreau et le détenu martyrisé ? Aucune. Aux yeux de la justice, les deux sont des hors-la-loi. Que dire de ces auditions et interrogatoires en public, sous les feux croisés des caméras de télévision ? Et personne n’a le courage de dire non à ses pratiques illégales qui violent le principe de la présomption d’innocence et qui font de nous un État où même les règles les plus élémentaires ne sont pas respectées. Il n’est pas question de nier l’évidence. Ceci est inacceptable.

En Haïti, la police est le premier violateur des droits humains. Parallèlement, Le Juge est le garant de ces droits. On le traite de toutes les épithètes quand il applique la loi, en faveur du droit, au mépris de certaines considérations et intérêts.
A-t-il tort de libérer, lors d’une action en ‘’habeas corpus’’ pour détention illégale (touchant seulement la forme et non le fond), une personne, fut-ce un criminel, qui a passé trente jours en garde à vue sans être déférée par-devant la justice pendant que la constitution y prévoit quarante-huit heures ?

Est-il pour autant un corrompu, le fait d’écarter dans un dossier l’arme à feu d’un présumé bandit, saisie en absence de celui-ci lors d’une perquisition irrégulière menée par la police chez cet individu en dehors de toute flagrance ?
Est-ce qu’il mérite le peloton d’exécution, le Magistrat qui, après avoir entendu une affaire, décide, d’après la loi et sa conscience, de renvoyer hors des liens de la détention un accusé dont la culpabilité n’est pas prouvée ni démontrée par la partie poursuivante ?
Loin d’être un complice ou une partie, le juge est un arbitre.

En vertu de quel texte de loi, le Doyen du tribunal criminel peut condamner quelqu’un pour trafic illicite de stupéfiants quand le corps du délit est resté entre les mains de la police ou lorsque celui-ci est testé négatif scientifiquement ?
Demander à un Magistrat de condamner de prétendus kidnappeurs, au mépris de la loi, malgré l’inconsistance du dossier et l’absence d’évidence, parce que c’est un fait social actuel, ce n’est pas rendre justice, c’est tout simplement de l’orgie judiciaire.

Entendre le responsable de la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) traiter sur les ondes un Magistrat de voyou en cravate, c’est révoltant ; et quand c’est le #8470; 1 de l’institution policière qui accuse et outrage publiquement la magistrature dans son ensemble, en présence de ses supérieurs hiérarchiques, le chef du gouvernement et le ministre de la justice, sans être inquiété...ce n’est pas seulement un scandale, c’est un complot.

Si la justice devrait enquêter sur les avoirs financiers des policiers, seulement un petit nombre serait apte à faire partie de l’institution. Si on devrait dédommager les citoyens victimes d’exactions policières et de violations de droit, toutes les recettes de l’Etat ne suffiraient pas. Pourtant, ce sont eux qui reçoivent les médailles, ce sont eux qui sont honorés, ce sont encore eux qu’on encense. Et pour couronner le tout, le gouvernement leur offre non seulement une prime de risque mais également le « pain quotidien » pour services rendus à la nation.

Le monde de la politique en Haïti est complètement aléatoire et cynique où tout se réduit à l’influence et à la manipulation. La police est peut-être la force. Mais n’oublions jamais qu’à l’autre extrémité de la chaîne, il y a la justice qui triomphe toujours.
Elle est comme la lune dont on n’aperçoit qu’une face peu attrayante. Cependant, de l’autre côté, sur la face cachée, les Magistrats peuvent imaginer le meilleur. Et il faudra bien qu’ils vivent avec cette contradiction.

Les accusations portées contre eux par le directeur générale de l’institution policière et ses subalternes, pour la plupart mensongères, gratuites et sans fondement, ne diminuent en rien leur valeur d’homme ni leur intégrité. Au contraire, cette polémique leur rendra plus forts et plus indépendants.
En dépit de cette politique de favoritisme, la police est et restera toujours auxiliaire de la justice.

Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 29 Avril 2007