dimanche 24 octobre 2010

LE CHEF DE L’ÉTAT VEUT UNE JUSTICE AUX ORDRES DE L’EXÉCUTIF

LE CHEF DE L’ÉTAT VEUT UNE JUSTICE AUX ORDRES DE L’EXÉCUTIF

Dans le système juridique haïtien, le Juge d’Instruction est chargé de l’enquête pour les affaires pénales les plus graves et les plus complexes. Indépendant du pouvoir exécutif, intouchable et jamais responsable (en théorie), il instruit à charge et à décharge, assurant ainsi l’équité de la justice. Donc, c’est un enquêteur chargé d’établir les faits et de préparer le dossier en vue de l’organisation éventuelle du procès. Mais, ce personnage central de la procédure criminelle en Haïti, considéré comme trop puissant par plus d’un, ne plait pas au Président de la République. Selon lui, il faut supprimer la fonction de Juge d’Instruction et confier les pouvoirs de l’enquête aux Magistrats du Parquet. Et c’est René Magloire, celui toujours par qui le scandale arrive, qui a joué le rôle de l’ange annonciateur du terrible tsunami qui menace la justice haïtienne.

Faut-il se rappeler que les Commissaires du Gouvernement et leurs Substituts sont totalement et hiérarchiquement soumis au Ministre de la Justice, membre de l’Exécutif. Ce nouveau système permettrait aux hommes du pouvoir d’échapper à un certain nombre de procès comme on en a vu ces derniers jours… La réalisation de ce projet démoniaque ne sera autre qu’une emprise renforcée du pouvoir sur la justice. Et nous pensons qu’il est indispensable de connaitre les motivations profondes du Chef de l’Etat pour vouloir faire disparaitre à ce point le Juge d’Instruction. Ceci est un pas de plus vers le totalitarisme, une aberration, une régression juridique et une menace pour l’indépendance de la justice.

Le ton était déjà donné par le Vice-président de facto de la Cour de Cassation dans son discours solennel à l’ occasion de la réouverture des Tribunaux le 04 octobre dernier. Il est rentré dans les rangs après avoir été menacé, à plusieurs reprises, de révocation par le pouvoir. Platitude ! Et René Magloire de se vanter les mérites du travail d’autrui. Le Président français Nicolas Sarkozy a fait œuvre qui vaille même quand son projet n’a pas fait bonne recette dans son pays. Le « Rapport Léger » a été servilement copié par un babouin qui n’est pas tout-à-fait haïtien. Il y a là… matière à procès. Il est question du non respect de la propriété intellectuelle au regard du droit d’auteur consacré par la loi. Pendant que le débat s’anime en France sur la fin éventuelle du Juge d’Instruction, l’Elysée étudie la possibilité de mettre à la disposition de ce dernier des avions supersoniques pour lui faciliter ses déplacements.

Les raisons avancées pour la suppression du Magistrat Instructeur haïtien ne tiennent pas puisque les véritables problèmes ne sont jamais abordés ; par exemple : les problèmes de moyens, de textes trop désuets et de reclassification des infractions criminelles. Combien de Juges d’Instruction en province dispose d’un véhicule de fonction, d’un ordinateur, de frais de fonctionnement à l’instar des Commissaires du Gouvernement ? Parfois, ils sont obligés de payer dans leur poche le coût du transport des témoins habitant dans des régions reculées et qui ne peuvent pas satisfaire aux citations à eux signifiées. Il est facile de les critiquer mais qu’a-t-on fait pour leur faciliter la tâche ? Les Juges d’Instruction ne sont pas responsables du problème de la détention préventive trop prolongée, il faut aller voir ailleurs. Et lors même, ce n’est pas une raison non plus de vouloir leurs têtes. Car, fondamentalement, l’Instruction garde un équilibre entre les droits de la défense et la nécessité de l’action publique. Cela confirme qu’effectivement, il y a des personnes au sein de ce gouvernement qui ont une peur bleue de la Justice.

On peut reprocher aux Juges d’Instruction bien des dérives mais les supprimer pour confier les enquêtes aux Commissaires du Gouvernement… objectivité où seras-tu en cas d’affaires sensibles impliquant les membres du gouvernement ou proches du pouvoir ? Cela mérite réflexion et discussion !

Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haitien, Haïti
Ce 24 octobre 2010

dimanche 18 juillet 2010

L’ÉGALITÉ DES ARMES

L’ÉGALITÉ DES ARMES

L’égalité des armes est un principe qui garantit un équilibre entre la défense et l’accusation dans le procès pénal, de telle sorte que le prévenu ait la possibilité raisonnable de présenter sa cause, y compris ses preuves par-devant la justice dans des conditions qui ne le placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire, le Ministère Public. Evidemment, cette règle de conduite para-juridique constitue un aspect plus large de la notion de procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial. Mais, comment mesurer si les armes sont égales entre un prévenu qui connait la vérité mais ne dispose pas de la force publique et un Ministère Public qui dispose de la force publique mais qui doit chercher et démontrer quelle est la vérité ? Comment d’ailleurs admettre ce principe quand le Ministère Public est quasiment un second juge au procès ?

La configuration même de nos salles d’audience le place au-dessus de l’accusé. Et plus étonnant encore est le droit qui lui est accordé d’interroger directement le prévenu ou les témoins sans passer par le Juge de siège pendant que cette possibilité n’est pas octroyée à l’avocat de la défense. Cela étant, le Ministère Public a toute la latitude de faire basculer le procès en sa faveur puisque les dépositions de l’accusé et des témoins sont les facteurs déterminants sur lesquels le Juge de siège va se baser pour former et asseoir sa conviction sur le cas pendant devant lui d’où… les faits d’audience. Donc, c’est comme un blanc-seing autorisant le Ministère Public à exercer toutes sortes d’intimidation et de pressions psychologiques sur le prévenu, déjà en position de faiblesse. Il peut même, en dehors des règles déontologiques et d’éthique, l’obliger à plaider coupable, le porter à accuser d’autres personnes ou lui arracher des aveux avec promesses d’excuses ou circonstances atténuantes, souventes fois, non tenues. Quand on sait que certains représentants du Ministère Public sont peu soucieux de moralité quant aux moyens qu’ils utilisent pour atteindre leur but. Non ! Dans la pratique, le principe d’égalité des armes n’existe pas et n’a jamais existé dans le droit pénal haïtien.

Comment comprendre que votre adversaire a le pouvoir de procéder à votre arrestation, vous envoyer et garder ensuite en prison pendant un certain temps et après, vous poursuivre devant un tribunal ? Même quand, préalablement, il est appelé par-devant le Doyen, conformément aux articles 26, 26-1 et 26-2 de la Constitution, pour répondre du caractère illégal et arbitraire de l’arrestation ou du placement en détention, soit il ne se présente pas à l’audience et infirme la composition du tribunal qui ne peut prendre siège convenablement, soit il vient à l’audience et fait fi de la décision rendue « Au nom de la République » par le tribunal en faveur du prévenu. Déjà, ce dernier ne comprend même pas que le Ministère Public est son adversaire… donc, tout comme lui, une partie au procès ; il le prend pour un juge. Maintenant, de quoi est-ce qu’on parle exactement ? De l’égalité des chances, peut-être ? Malheureusement, ni l’Association Nationale des Magistrats et les Barreaux de la République ni la société civile et l’opinion publique n’ont jamais dénoncé ces laideurs de notre système juridique voire les mettre en question.

Théoriquement, le procès, et en particulier le procès pénal, n’est pas un combat où chacune des parties n’a qu’un but : remporter la victoire. La mission du Ministère Public n’est pas de gagner ni d’obtenir la condamnation de l’accusé ou du prévenu, mais d’aboutir à la manifestation de la vérité et d’en déduire les conséquences, qu’elles soient favorables ou défavorables aux victimes ou aux prévenus. Un procès a pour raison d’être de contribuer à la justice et à la paix entre les hommes, non à la victoire des uns et à la défaite des autres. En ce sens… le langage guerrier, le comportement perfide, anti social et malveillant ne conviennent pas à des hommes de lois…qu’ils soient Magistrats du Parquet ou Avocats.


Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haitien, Haïti,
ce 18 juillet 2010

samedi 15 mai 2010

ÉCHEC D’UNE RÉFORME

ÉCHEC D’UNE RÉFORME

Avant même qu’elle ne commence, la réforme judiciaire va déjà dans le mur. Elle ne prend pas vraiment en compte ce qui doit l’être, préférant plutôt des aménagements superficiels et cosmétiques. Elle va dans la lignée du conservatisme haïtien dont le mot d’ordre reste : « surtout ne rien changer en profondeur ». C’est encore une fois l’inadaptation foncière de l’esprit étroit de nos dirigeants à la modernité qui se met en lumière. Les mêmes méthodes, les mêmes habitudes, les mêmes connivences sont là. Le droit haïtien reste tout aussi archaïque que féodal. Pourtant, un changement profond et réel y était indispensable et incontestable.

Pour réformer, il faut identifier l’objectif et mettre les moyens pour y arriver. Mais pour identifier l’objectif, encore faut-il se poser les bonnes questions. Voila deux ans et demi que le processus de réforme est engagée au niveau de la justice haïtienne et aucun changement majeur, aucune incidence apparente n’ont été ressentis par ce passage. Aujourd’hui, nous assistons à l’échec cuisant d’une réforme qui, jusqu'à maintenant, ne se concrétise pas sur le terrain. Les maux de notre système judiciaire sont tellement nombreux que même une radioscopie électromagnétique n’est pas suffisante pour y remédier.

La réforme, ce n’est pas d’offrir seulement aux chefs de juridictions des véhicules et des frais de fonctionnement, il faut également penser aux officiers de police judiciaire et principalement aux Magistrats instructeurs qui représentent la force motrice et le noyau central de la chaîne pénale. Il faut comprendre que le Doyen et le Commissaire du Gouvernement ne sont aucunement impliqués dans l’enquête criminelle proprement dite. La réforme, ce n’est pas d’octroyer à certains magistrats proches du pouvoir de petits avantages, ce n’est pas seulement l’ajustement des salaires, c’est d’avoir une justice rapide et efficace qui répond aux vœux des justiciables. La réforme suppose une redéfinition du rôle des Parquets, une meilleure distribution des moyens de la justice, une professionnalisation et une spécialisation accrues des Magistrats, des primes de risques, des avantages sociaux pour les Juges et un renforcement de la continuité du service public de la justice.

Avec la création de l’Ecole de la Magistrature, on devrait revoir le mode actuel de nomination des Magistrats et consacrer leur inamovibilité effective dans toute l’acceptation du terme. La réforme judiciaire devrait prendre en compte la refonte de nos codes de lois, simplifier la procédure pour un divorce par consentement mutuel en supprimant l’audience obligatoire devant le juge lorsqu’il n’y a pas d’enfant à charge. La réforme devrait favoriser la collégialité des Magistrats dans des cas particuliers et penser à la dépénalisation (sauf en cas d’insolvabilité ou de récidive) de certaines infractions telles : les contentieux de la propriété intellectuelle et la diffamation. La réforme devrait également supprimer la présence du Ministère Public au procès civil et alléger les procédures en développant les modes alternatifs de règlements à l’amiable. La conciliation et la médiation devraient être aussi renforcées. Une procédure participative de négociation assistée d’un avocat serait créée, et proposée par l’avocat à son client. En cas d’échec, le dossier serait transmis à un tribunal. La réforme devrait enfin préconiser au procès pénal les procédures simplifiées du plaider-coupable (comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité en dehors de toute mise en examen) et proposer un renforcement de la compétence des Juges.

L’Exécutif ne manifeste aucune volonté pour renforcer la justice ou pour améliorer son efficacité et sa visibilité. Il fallait penser à la construction de véritables Palais de Justice où les citoyens trouveraient de la conciliation, de la médiation civile et pénale, des consultations juridiques gratuites, un guichet unique du greffe et un réseau informatique branché sur internet au service des Magistrats. Patauger et s’agiter dans l’eau ne veut pas dire qu’on est en train de nager. En d’autres termes, il y a une différence entre s’activer et accomplir quelque chose qui en vaut la peine. Il est évident que les gens faisant partie de la Commission pour la Réforme du Droit et de la Justice(CRDJ) n’ont pas de vision novatrice…tout comme le gouvernement qui les a nommés d’ailleurs. Et pour preuve, la soi-disant réforme a finalement accouché d’une souris. Croyez-nous, elle sera remise en question sous peu pour impasse. Et pour éviter cela…des discussions doivent s’ouvrir. Sinon, il faudra donc faire avec pendant longtemps encore…pour le meilleur et surtout pour le pire.


Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haitien, Haïti, Ce 15 mai 2010

dimanche 9 mai 2010

UNE LOI INDÉCENTE

UNE LOI INDÉCENTE

Réunis séparément en audience extraordinaire, une majorité de députés et sénateurs réactionnaires, médiocres, sans conviction et sans moralité ont voté une loi scélérate, indécente, anti-démocratique, catastrophique et périlleuse dont l’unique objectif est de permettre au Chef de l’Etat d’agir en marge de la Constitution comme bon lui semble sans devoir rendre compte de sa gestion. Le Président voulait sa loi et il l’a obtenue grâce à des mandarins serviles et des caméléons, pour la plupart, en jupon qui ont apporté leur soutien à l’adoption du texte. Pour justifier leur comportement de vendus, ils déclarent que cette loi dite « loi d’urgence » était vitale pour le pays. Alléluia ! Fou qui s’y croit ! La gangrène qui tue notre démocratie est portée par ceux-là même qui la représentent.

Les dangers auxquels cette loi nous expose sont tellement nombreux que la sonnette d’alarme doit être tirée maintenant avant que cela ne soit trop tard si ce n’est déjà le cas. On ne fait pas ça au peuple haïtien après avoir vécu ce qu’il a vécu. On est en train d’étouffer voire sacrifier ses libertés fondamentales au profit d’intérêts personnels. Finalement, quel pays veut-on reconstruire ? Est-ce un pays moderne permettant au citoyen d’évoluer dans un environnement égalitaire et d’affronter avec dignité les problématiques du quotidien ou plutôt un pays/filtre permettant d’asseoir un élitisme de mauvaise augure où il est loisible de choisir des petits copains coquins au dépend de la majorité ôtée de ses moindres aspirations citoyennes ? Telles sont les questions que chaque haïtien devrait légitimement poser. Malheureusement, la stérilité intellectuelle de nos élites est flagrante et ressemble à une démission volontarisme d’une mission qui naturellement les incombe. Cette élite sans projet clairement défini ne propose pas un chemin porteur d’espoir pour les jeunes. Et comment s’étonner qu’elle ait des difficultés à s’entendre et s’organiser ?

Si le pays ne veut pas de cette loi, il faut le signifier clairement et fortement. Pour certains, la loi d’urgence n’est autre que la phase préliminaire d’un projet en gestation. Pour d’autres, c’est le fruit d’un apprenti dictateur qui espère garder le pouvoir au delà de son mandat constitutionnel en jouant avec un système qu’il connait bien et dont il souhaite changer les règles qui ne lui seront que trop favorables à long terme. De toute façon, les raisons qui ont poussé l’Exécutif à prendre cette loi ne sont pas clairement affichées, ce qui est à la réflexion inquiétante. Est-ce pour améliorer les conditions de vie d’une population languie de promesses-foutaises ? Est-ce pour finir avec la misère sociale et les désolations engendrées par le séisme du 12 janvier 2010 ? Comment ne pas fantasmer dessus quand on ne connait pas les véritables intentions du Chef de la Magistrature Suprême ? Ce n’est pas la certitude qui rend fou mais plutôt le doute. Et parmi les raisons qui existent pour s’opposer à la loi d’urgence, la plus forte est le flou qui l’entoure.

Après la catastrophe, l’impératif serait de modifier les mentalités et les méthodes de gouvernance or jusqu'à présent, la même rengaine se répète : corruption, impunité, petits arrangements entre amis, rapports de force formels…voilà pourquoi, il ne faut rien attendre de cette loi. Quatre mois après, la population est dans la rue, et la saison cyclonique qui approche ne va en rien arranger sa situation. Pendant ce temps, le Président de la République multiplie ses démarches anticonstitutionnelles. De manière assez surprenante et incohérente, l’amendement de l’article 232 de l’actuelle loi électorale ainsi proposé est de nature à créer des distorsions difficilement admissibles. La Cour de Cassation devrait dire son mot…


Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haitien, Haïti, ce 09 mai 2010