mercredi 30 juillet 2008

À BAS LES SALAUDS

À BAS LES SALAUDS

Une cascade d’événements en l’espace d’une semaine : l’association, établie par la Chambre d’Instruction Criminelle, de policiers hauts gradés avec les barons de la pègre, la cavale avérée de certains d’entre eux, la mise en cause des responsables du service d’investigation dans le Nord, appelés à s’expliquer sur certains dossiers, l’émission de mandats de comparution, d’amener et de dépôt par la justice…la question policière se trouve aujourd’hui au centre du débat sur la sécurité. La principale force publique haïtienne défend-elle efficacement les citoyens contre les kidnappeurs ?

Le constat est sans appel : le problème de l’efficience de la Police Nationale d’Haïti est posé avec la même acuité que celui de la moralisation de la société. Le nombre et le statut des policiers impliqués dans les enlèvements contre rançon illustrent l’état de délabrement avancé dans lequel se trouve actuellement l’institution policière. Des bandits, sans foi ni loi, ont bâti leur fortune sans être inquiétés. Certains ont été, avec la complicité de quelques officiers de police, jusqu'à constituer de véritables entreprises criminelles. Comment accuser la justice de laxisme et de faiblesse quand son bras séculier est corrompu jusqu’aux os ?

L’État est livré aux malfaiteurs. Des fonctionnaires occupant des postes sensibles au sein de la police travaillent main dans la main avec la mafia, au point où même les informations classées « Top Secret » au niveau des services de renseignements judiciaires sont connues dans le milieu mafieux. On peut légitimement s’attendre à ce que cela ait des effets négatifs sur la qualité du travail des magistrats et réduise l’efficacité de la mise en application des lois. Cette situation peut-elle encore durer longtemps ?

De simples policiers roulent dans des voitures flambant neuves, habitent des maisons de rêve, vivent au-dessus de leurs moyens en affichant une aisance matérielle que même les cadres supérieurs de la hiérarchie policière ne peuvent se permettre. Sous le couvert commode de lutte contre l’insécurité, ils s’adonnent à des activités illicites telles : kidnapping, racket, trafic de drogue, etc... Dans quelle catégorie comportementale doit-on insérer ces agents du diable sinon dans celle des salauds ?

L’entité policière, l’unique force de sécurité publique opérationnelle sur le territoire national depuis la démobilisation de l’Armée d’Haïti en 1994, est un outil central de la construction de l’État de Droit. Son rôle fondamental consiste à protéger la vie et les biens des citoyens contre les criminels. Une police mal payée et corrompue est une proie facile pour les ‘’parrains’’. Elle doit être mise, tout comme la magistrature, à l’abri des pulsions corruptives. Il faut se rappeler que ces deux institutions sont faites d’individualités dont la résistance face à la profusion pécuniaire doit être constamment consolidée par le contrôle et la motivation.

Même si, après coup, une volonté remarquable a pu être constatée ; la police haïtienne se trouve malgré tout dans la ligne de mire de la justice et de la population. Ceux qui tenteront de l’exploiter ou de l’utiliser à des fins détournées joueront leur destin. Le message consiste aujourd’hui à dire aux kidnappeurs qu’ils ne pourront plus compter sur la collaboration de certains policiers. Le réveil brutal de l’appareil judiciaire face à cette situation est salutaire. Il est venu à point nommé pour stopper la tumeur des connexions mafieuses.

Des informations font état de liaisons scandaleuses entre la police et la mafia. En vérité, ceux-là qui ont choisi de recourir à l’argent sale pour arrondir leur chèque de fin de mois ont, en effet, franchi le miroir. Ceux-là qui font du commerce de l’enlèvement ciblé leur source d’enrichissement doivent savoir que, tôt ou tard, ils seront extirpés à jamais de notre société. Ceux-là qui ont choisi la corruption seront bientôt mis hors d’état de nuire et de blanchir. La population attend impatiemment des gestes forts et ne cesse de répéter sous toutes les formes : « À bas les salauds » ! Saura-t-on trouver des hommes et des femmes pour accomplir cette œuvre de salubrité publique ? La parole est à la justice. Pourvu qu’elle sévisse !

Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 25 juillet 2008