samedi 13 octobre 2007

LA RENTRÉE JUDICIAIRE 2007-2008

LA RENTRÉE JUDICIAIRE 2007-2008

La justice haitienne a repris du service ce premier lundi d’octobre pour l’année judiciaire 2007-2008. Une reprise qui marque en même temps la réouverture officielle de tous les tribunaux de la république.

Le moment solennel qu’est la rentrée judiciaire nous permet de prendre un temps d’arrêt pour faire le point sur nos déceptions, nos espoirs et nos souhaits.

Nous considérons que l’heure n’est plus aux interrogations mais à l’action. Donc, la réforme apparait comme étant une voie à privilégier et se justifie entièrement devant la situation lamentable de la justice. Mais, qu’il soit dit entre nous, les trois nouvelles lois votées par le parlement ne vont pas changer les choses.

Nous insistons pour dire aujourd’hui plus que jamais que les réformes en profondeur dont la justice a besoin nécessitent du temps et de la sérénité. Ce qu’il faut présentement, c’est renforcer l’indépendance et la force des juges.

Nous ne pouvons pas aborder ce nouvel exercice sans mentionner la nécessité pour les magistrats de s’adapter aux nouvelles réalités tout en préservant les valeurs fondamentales de la profession, disons-le, en pleine mutation. Nous pensons, entre autres, à la mondialisation, à l’évolution du droit, à la mobilité des avocats, à la concurrence accrue, phénomènes inévitables auxquels nous devons faire face en faisant preuve d’originalité et de créativité.

A ce sujet, l’État doit nous permettre de moderniser les véhicules de la pratique professionnelle. Sans une telle modernisation, il nous sera quasi impossible de relever les nombreux défis que nous devons affronter tous ensemble, plus unis que jamais et cela toujours dans la poursuite de l’excellence.

Nous avons constaté que la justice n’est pas la même pour tout le monde. Elle va au ralenti ou à plusieurs vitesses, selon les critères sociaux ou économiques, alors que selon les prescrits républicains, le riche et le pauvre sont égaux devant la loi. Il y a une tendance discriminatoire dans la distribution de la justice. « Aux grands corrompus, miséricorde ! Aux petits corrompus, misère et corde » !

Nous dénoncons, avec force, les inégalités de traitement relevées au niveau de l’institution judiciaire, parfois au sein d’une même juridiction en raison d’accointances politiques. Par exemple, la différence de moyens et de traitement se manifeste entre les membres du parquet soumis au gouvernement et les juges d’instruction sur qui aucun pouvoir n’a d’autorité.
Autre remarque : les promotions sont accordées sur des critères politiques ou de docilité et non de compétence.

Des juges de paix, sont en poste depuis quinze ans et ne sont jamais l’objet d’affectation nouvelle ni de promotion pendant que des individus qui ont à peine leur licence en droit sont nommés directement en première instance, au mépris des considérations liées à la carrière professionnelle.

Nous ne terminerons pas sans aborder le problème de la corruption. Pour enrayer ce fléau au niveau de la justice, il faut un grand ménage dans la magistrature, la police, les greffes, le notariat, chez les huissiers, les officiers d’Etat civil et les arpenteurs...

La loi est une pour tous, c’est la condition « sine qua non » de la liberté. Elle doit être obéie non pas par peur de sanction, mais par devoir.
Espérons que nos inquiétudes et nos recommandations auront retenu l’attention des autorités concernées.

Excellente année judiciaire à tous !


Heidi FORTUNÉ
Magistrat, juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 07 octobre 2007 http://heidifortune.blogspot.com

UCREF, MAGISTRATURE ET CORRUPTION

UCREF, MAGISTRATURE ET CORRUPTION

Le code d’instruction criminelle haïtien traite essentiellement des pouvoirs des divers acteurs de la chaîne pénale, et de la procédure devant les tribunaux pour sanctionner les infractions et indemniser les victimes.

L’attribution d’une prime forfaitaire par l’Unité Centrale de Renseignements Financiers (UCREF) à certains magistrats de Port-au-Prince ne repose sur aucune justification ni aucune disposition légale. Une telle situation constitue évidemment une forme de corruption de nature à autoriser des pressions directes de cette institution sur l’activité juridictionnelle de ces magistrats. En outre, elle expose les agents concernés à un traitement inégalitaire par rapport aux autres magistrats de la république, particulièrement ceux de la province.

Avec ce nouveau scandale, la justice vient de perdre sa sacralité et le peu qui lui restait de sa crédibilité. Il y a quelque chose de très déroutant dans cette affaire. Cette triste illustration marque, en effet, une dérive sans précédent dans l’organisation judiciaire en Haïti. L’émotion est trop grande. Le pire : des magistrats que l’on croyait au-dessus de tout soupçon y sont mêlés.
Ah ! « L’argent brise les pierres ».

D’après une feuille de paie rendue publique et qui concerne le mois de juillet 2007, il s’agit de primes accordées dans le cadre d’un Projet de Constitution d’une Chaîne Pénale et d’Aide ponctuelle au renforcement de certaines institutions luttant contre la drogue, le blanchiment et la corruption. Il importe de se questionner sur la légalité de la constitution de cette cellule dorée.

Parlant de chaîne pénale, que viennent chercher des chauffeurs, des secrétaires, des greffiers et des huissiers dans tout cela ? L’on se doit aussi de se demander : d’où proviennent les fonds utilisés par l’UCREF pour primer ces privilégiés ? Est-ce du trésor public ou s’agit-il tout simplement de fonds séquestrés dans le cadre de ses activités ?

On dira ce qu’on voudra mais ce mode de procéder de l’UCREF est mené de façon cavalière, sans aucune concertation ; ce qui dénote une sorte de clientélisme, de copinage et de favoritisme...des termes intimement liés à la corruption. En plus, cette approche est susceptible de porter atteinte à l’indépendance des juges.

En France par exemple, il existe des « primes au mérite » pour les magistrats mais elles se donnent en vertu d’un décret relatif au régime indemnitaire des magistrats de l’ordre judiciaire, en fonction de la contribution du magistrat au bon fonctionnement de la justice. Ces sommes accordées à titre d’encouragement s’octroient annuellement et se comptabilisent en pourcentages clairement définis. Pour cela, toute une gamme de mesures de contrôle et d’inspection est mise en place pour éviter toute discrimination ou magouille.

Tel n’est pas le cas ici, eu égard aux montants perçus mensuellement par les magistrats impliqués dans cette sale combine. Notre système judiciaire est malade à tout point de vue, et nous estimons que sa mise à plat est nécessaire. Même quand cela va choquer, nous pensons également qu’il faut questionner l’intégrité de ces magistrats dont nous déplorons la conduite.

Nous désavouons publiquement cette pratique de l’UCREF qui met en péril, non seulement, l’indépendance de la magistrature mais également l’avenir du pays tout entier. Si, en tant qu’institution légalement prévue par la loi, sa mission consiste à enquêter sur des cas de malversation, de gabegie administrative et de blanchiment d’argent provenant du trafic illicite de la drogue et autres infractions graves, en étroite collaboration avec la justice, cela ne sous-entend nullement qu’elle peut soudoyer voire corrompre les divers acteurs de la chaîne pénale qui lui apportent leur concours. Ce faisant, elle outrepasse ses limites, brise sa sphère de compétence, va au-delà de son champ d’action et viole la loi. Les auteurs et complices de cette infamie devront tirer les conséquences qui en découlent.

Un État de Droit, une vraie Démocratie
doit répondre par l’action publique
des crimes de Magistrats.


Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 30 septembre 2007