mardi 22 mai 2007

LA PROBLÉMATIQUE : POLICE/JUSTICE

LA PROBLÉMATIQUE POLICE/JUSTICE
Par Me Heidi Fortuné

Assez souvent, on entend les hauts responsables de l’institution policière dire : «La police arrête, la justice libère ». Ils renvoient dès lors la responsabilité de l’insécurité grandissante sur les Magistrats. Ce sont-là des manoeuvres visant à discréditer davantage la magistrature. C’est de la mauvaise presse, rien d’autre. Malheureusement, les hommes politiques, les membres de la société civile, les journalistes les plus lucides et les plus brillants y croient.
La police qui a pour mission de protéger et servir est avant tout auxiliaire de la justice. Elle est donc le premier maillon dans la chaîne pénale, avec un lien de subordination sans équivoque. Son travail consiste essentiellement à rechercher, appréhender et déférer par-devant la justice les auteurs des infractions.

Mais pour ce faire, elle a des délais et des procédures à respecter. Une violation de droit ou un vice de forme peut faire basculer la décision espérée au profit du prévenu. Le plus souvent, le procès échappe au Ministère Public parce que le dossier n’a pas été bien préparé par la police. Ou plus exactement, parce que l’enquête policière a été faussée.
Permettez-nous de poser certaines questions et de faire du même coup quelques remarques :

Un citoyen reproché d’association de malfaiteurs est battu à mort dans une garde à vue de la république. Y a-t-il une différence entre le policier bourreau et le détenu martyrisé ? Aucune. Aux yeux de la justice, les deux sont des hors-la-loi. Que dire de ces auditions et interrogatoires en public, sous les feux croisés des caméras de télévision ? Et personne n’a le courage de dire non à ses pratiques illégales qui violent le principe de la présomption d’innocence et qui font de nous un État où même les règles les plus élémentaires ne sont pas respectées. Il n’est pas question de nier l’évidence. Ceci est inacceptable.

En Haïti, la police est le premier violateur des droits humains. Parallèlement, Le Juge est le garant de ces droits. On le traite de toutes les épithètes quand il applique la loi, en faveur du droit, au mépris de certaines considérations et intérêts.
A-t-il tort de libérer, lors d’une action en ‘’habeas corpus’’ pour détention illégale (touchant seulement la forme et non le fond), une personne, fut-ce un criminel, qui a passé trente jours en garde à vue sans être déférée par-devant la justice pendant que la constitution y prévoit quarante-huit heures ?

Est-il pour autant un corrompu, le fait d’écarter dans un dossier l’arme à feu d’un présumé bandit, saisie en absence de celui-ci lors d’une perquisition irrégulière menée par la police chez cet individu en dehors de toute flagrance ?
Est-ce qu’il mérite le peloton d’exécution, le Magistrat qui, après avoir entendu une affaire, décide, d’après la loi et sa conscience, de renvoyer hors des liens de la détention un accusé dont la culpabilité n’est pas prouvée ni démontrée par la partie poursuivante ?
Loin d’être un complice ou une partie, le juge est un arbitre.

En vertu de quel texte de loi, le Doyen du tribunal criminel peut condamner quelqu’un pour trafic illicite de stupéfiants quand le corps du délit est resté entre les mains de la police ou lorsque celui-ci est testé négatif scientifiquement ?
Demander à un Magistrat de condamner de prétendus kidnappeurs, au mépris de la loi, malgré l’inconsistance du dossier et l’absence d’évidence, parce que c’est un fait social actuel, ce n’est pas rendre justice, c’est tout simplement de l’orgie judiciaire.

Entendre le responsable de la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) traiter sur les ondes un Magistrat de voyou en cravate, c’est révoltant ; et quand c’est le #8470; 1 de l’institution policière qui accuse et outrage publiquement la magistrature dans son ensemble, en présence de ses supérieurs hiérarchiques, le chef du gouvernement et le ministre de la justice, sans être inquiété...ce n’est pas seulement un scandale, c’est un complot.

Si la justice devrait enquêter sur les avoirs financiers des policiers, seulement un petit nombre serait apte à faire partie de l’institution. Si on devrait dédommager les citoyens victimes d’exactions policières et de violations de droit, toutes les recettes de l’Etat ne suffiraient pas. Pourtant, ce sont eux qui reçoivent les médailles, ce sont eux qui sont honorés, ce sont encore eux qu’on encense. Et pour couronner le tout, le gouvernement leur offre non seulement une prime de risque mais également le « pain quotidien » pour services rendus à la nation.

Le monde de la politique en Haïti est complètement aléatoire et cynique où tout se réduit à l’influence et à la manipulation. La police est peut-être la force. Mais n’oublions jamais qu’à l’autre extrémité de la chaîne, il y a la justice qui triomphe toujours.
Elle est comme la lune dont on n’aperçoit qu’une face peu attrayante. Cependant, de l’autre côté, sur la face cachée, les Magistrats peuvent imaginer le meilleur. Et il faudra bien qu’ils vivent avec cette contradiction.

Les accusations portées contre eux par le directeur générale de l’institution policière et ses subalternes, pour la plupart mensongères, gratuites et sans fondement, ne diminuent en rien leur valeur d’homme ni leur intégrité. Au contraire, cette polémique leur rendra plus forts et plus indépendants.
En dépit de cette politique de favoritisme, la police est et restera toujours auxiliaire de la justice.

Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 29 Avril 2007

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