mercredi 23 mai 2007

LES MAGISTRATS SONT-ILS RESPONSABLES DES MALHEURS DE LA MAGISTRATURE ?

LES MAGISTRATS SONT-ILS RESPONSABLES DES MALHEURS DE LA MAGISTRATURE ?

Par Me Heidi Fortuné...

Quand on parle de dysfonctionnement du système judiciaire haïtien, tout le monde pointe du doigt les Magistrats. La justice est un tout cohérent composée de divers éléments entre autres : Juges, officiers du Parquet, avocats, greffiers, huissiers, policiers, experts et personnel de soutien. La magistrature en est l’une de ses composantes, c’est même la plus importante.
Ailleurs, dans les grands pays, elle est administrée par le Ministre de la justice et le Président de la cour suprême. Mais, chez nous, elle est vouée à elle-même.

On demande aux Magistrats de garantir les droits des justiciables pendant que eux-mêmes n’ont pas de garantie. Ils ne disposent pas de moyen pour remplir à bien leur mission. Ils sont mal rémunérés et n’ont aucune sécurité que ce soit sociale ou environnementale.
Quand les organisations des droits humains disent dans leurs rapports que les Magistrats sont responsables de la surpopulation carcérale et en général du cancer qui ronge le système, cela nous fait rire. En quoi les Magistrats puissent-ils être responsables de la mauvaise administration d’une institution ? L’article 136 de la constitution stipule clairement que « le Président de la république veille à la stabilité des institutions et assure le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ».

Les Magistrats sont traités en parents pauvres par rapport aux parlementaires et aux membres de l’exécutif. On n’a qu’à jeter un coup d’oeil sur le budget qui est alloué à la justice. Du côté des sénateurs, des députés et du gouvernement, c’est l’accalmie...on ne les entend pas se plaindre. Les temps sont durs mais pas pour tout le monde.

Nous crions haut et fort que les Magistrats ne sont pas responsables des malheurs de la magistrature. Les juges de paix qui n’ont pas le niveau requis, les commissaires du gouvernement incompétents et corrompus sont nommés par qui ? La refonte des codes devrait être la charge de qui ? La restauration des tribunaux, la formation continue, la spécialisation dans des domaines spécifiques, les moyens matériels et techniques, l’école de la magistrature sont sous la responsabilité de qui ? Les postes vacants doivent être comblés par qui ? Un Magistrat qui rentre chez lui en tap-tap après une audience criminelle, la faute incombe à qui ? Les maisons de justice où sont entassés les Magistrats ne sont pas informatisées ni électrifiées ni même sécurisées, qui est responsable de ces irrégularités ? Et pour finir, le budget de la république, impliquant par ricochet celui de la magistrature, est élaboré, proposé, discuté et voté par qui ?
Nous laissons à chacun le soin de répondre. Si malgré tout, on persiste à croire que les
Magistrats sont responsables des malheurs de la magistrature ; de deux choses, soit on est faible d’esprit, soit on est de mauvaise foi. Les Magistrats ne doivent pas être pris comme bouc émissaires. Le traitement qu’on leur inflige ne fait pas honneur au pays. Les séminaires organisés, de temps à autre, par le ministère de la justice, parrainés dans la majorité des cas par la communauté internationale ne résoudront pas les problèmes.

La magistrature suppose une infrastructure considérable et des stratégies bien définies. La question de salaire raisonnable est d’ordre primordial. Les diatribes lancées, à tout bout de champ, contre les Magistrats ne changeront pas la situation tant qu’on ne les aura pas mis dans une situation confortable de bien-être et d’indépendance et un atmosphère de confiance et de non-ingérence où ils seront à l’abri de toute tentation et de toute corruption.
On est toujours prêt à condamner la magistrature mais on ferme les yeux sur les causes de son dysfonctionnement. Le gouvernement, les organisations des droits humains, la communauté internationale ne perdent pas leur temps à réfléchir sur les problèmes que confrontent les Magistrats dans leur vécu quotidien.

Le cri pressant que nous lançons est : Aidez-les, ils aideront Haïti. On doit savoir qu’une société qui ne respecte pas ses Juges et ne fait pas foi en son système judiciaire travaille à son autodestruction. Si la magistrature est un commerce rentable pour certain, pour d’autres, elle reste une profession noble, respectable, honorable. Pour exister et être respectée la magistrature doit être prise en charge.

Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 22 Avril 2007

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