samedi 15 mai 2010

ÉCHEC D’UNE RÉFORME

ÉCHEC D’UNE RÉFORME

Avant même qu’elle ne commence, la réforme judiciaire va déjà dans le mur. Elle ne prend pas vraiment en compte ce qui doit l’être, préférant plutôt des aménagements superficiels et cosmétiques. Elle va dans la lignée du conservatisme haïtien dont le mot d’ordre reste : « surtout ne rien changer en profondeur ». C’est encore une fois l’inadaptation foncière de l’esprit étroit de nos dirigeants à la modernité qui se met en lumière. Les mêmes méthodes, les mêmes habitudes, les mêmes connivences sont là. Le droit haïtien reste tout aussi archaïque que féodal. Pourtant, un changement profond et réel y était indispensable et incontestable.

Pour réformer, il faut identifier l’objectif et mettre les moyens pour y arriver. Mais pour identifier l’objectif, encore faut-il se poser les bonnes questions. Voila deux ans et demi que le processus de réforme est engagée au niveau de la justice haïtienne et aucun changement majeur, aucune incidence apparente n’ont été ressentis par ce passage. Aujourd’hui, nous assistons à l’échec cuisant d’une réforme qui, jusqu'à maintenant, ne se concrétise pas sur le terrain. Les maux de notre système judiciaire sont tellement nombreux que même une radioscopie électromagnétique n’est pas suffisante pour y remédier.

La réforme, ce n’est pas d’offrir seulement aux chefs de juridictions des véhicules et des frais de fonctionnement, il faut également penser aux officiers de police judiciaire et principalement aux Magistrats instructeurs qui représentent la force motrice et le noyau central de la chaîne pénale. Il faut comprendre que le Doyen et le Commissaire du Gouvernement ne sont aucunement impliqués dans l’enquête criminelle proprement dite. La réforme, ce n’est pas d’octroyer à certains magistrats proches du pouvoir de petits avantages, ce n’est pas seulement l’ajustement des salaires, c’est d’avoir une justice rapide et efficace qui répond aux vœux des justiciables. La réforme suppose une redéfinition du rôle des Parquets, une meilleure distribution des moyens de la justice, une professionnalisation et une spécialisation accrues des Magistrats, des primes de risques, des avantages sociaux pour les Juges et un renforcement de la continuité du service public de la justice.

Avec la création de l’Ecole de la Magistrature, on devrait revoir le mode actuel de nomination des Magistrats et consacrer leur inamovibilité effective dans toute l’acceptation du terme. La réforme judiciaire devrait prendre en compte la refonte de nos codes de lois, simplifier la procédure pour un divorce par consentement mutuel en supprimant l’audience obligatoire devant le juge lorsqu’il n’y a pas d’enfant à charge. La réforme devrait favoriser la collégialité des Magistrats dans des cas particuliers et penser à la dépénalisation (sauf en cas d’insolvabilité ou de récidive) de certaines infractions telles : les contentieux de la propriété intellectuelle et la diffamation. La réforme devrait également supprimer la présence du Ministère Public au procès civil et alléger les procédures en développant les modes alternatifs de règlements à l’amiable. La conciliation et la médiation devraient être aussi renforcées. Une procédure participative de négociation assistée d’un avocat serait créée, et proposée par l’avocat à son client. En cas d’échec, le dossier serait transmis à un tribunal. La réforme devrait enfin préconiser au procès pénal les procédures simplifiées du plaider-coupable (comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité en dehors de toute mise en examen) et proposer un renforcement de la compétence des Juges.

L’Exécutif ne manifeste aucune volonté pour renforcer la justice ou pour améliorer son efficacité et sa visibilité. Il fallait penser à la construction de véritables Palais de Justice où les citoyens trouveraient de la conciliation, de la médiation civile et pénale, des consultations juridiques gratuites, un guichet unique du greffe et un réseau informatique branché sur internet au service des Magistrats. Patauger et s’agiter dans l’eau ne veut pas dire qu’on est en train de nager. En d’autres termes, il y a une différence entre s’activer et accomplir quelque chose qui en vaut la peine. Il est évident que les gens faisant partie de la Commission pour la Réforme du Droit et de la Justice(CRDJ) n’ont pas de vision novatrice…tout comme le gouvernement qui les a nommés d’ailleurs. Et pour preuve, la soi-disant réforme a finalement accouché d’une souris. Croyez-nous, elle sera remise en question sous peu pour impasse. Et pour éviter cela…des discussions doivent s’ouvrir. Sinon, il faudra donc faire avec pendant longtemps encore…pour le meilleur et surtout pour le pire.


Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haitien, Haïti, Ce 15 mai 2010

dimanche 9 mai 2010

UNE LOI INDÉCENTE

UNE LOI INDÉCENTE

Réunis séparément en audience extraordinaire, une majorité de députés et sénateurs réactionnaires, médiocres, sans conviction et sans moralité ont voté une loi scélérate, indécente, anti-démocratique, catastrophique et périlleuse dont l’unique objectif est de permettre au Chef de l’Etat d’agir en marge de la Constitution comme bon lui semble sans devoir rendre compte de sa gestion. Le Président voulait sa loi et il l’a obtenue grâce à des mandarins serviles et des caméléons, pour la plupart, en jupon qui ont apporté leur soutien à l’adoption du texte. Pour justifier leur comportement de vendus, ils déclarent que cette loi dite « loi d’urgence » était vitale pour le pays. Alléluia ! Fou qui s’y croit ! La gangrène qui tue notre démocratie est portée par ceux-là même qui la représentent.

Les dangers auxquels cette loi nous expose sont tellement nombreux que la sonnette d’alarme doit être tirée maintenant avant que cela ne soit trop tard si ce n’est déjà le cas. On ne fait pas ça au peuple haïtien après avoir vécu ce qu’il a vécu. On est en train d’étouffer voire sacrifier ses libertés fondamentales au profit d’intérêts personnels. Finalement, quel pays veut-on reconstruire ? Est-ce un pays moderne permettant au citoyen d’évoluer dans un environnement égalitaire et d’affronter avec dignité les problématiques du quotidien ou plutôt un pays/filtre permettant d’asseoir un élitisme de mauvaise augure où il est loisible de choisir des petits copains coquins au dépend de la majorité ôtée de ses moindres aspirations citoyennes ? Telles sont les questions que chaque haïtien devrait légitimement poser. Malheureusement, la stérilité intellectuelle de nos élites est flagrante et ressemble à une démission volontarisme d’une mission qui naturellement les incombe. Cette élite sans projet clairement défini ne propose pas un chemin porteur d’espoir pour les jeunes. Et comment s’étonner qu’elle ait des difficultés à s’entendre et s’organiser ?

Si le pays ne veut pas de cette loi, il faut le signifier clairement et fortement. Pour certains, la loi d’urgence n’est autre que la phase préliminaire d’un projet en gestation. Pour d’autres, c’est le fruit d’un apprenti dictateur qui espère garder le pouvoir au delà de son mandat constitutionnel en jouant avec un système qu’il connait bien et dont il souhaite changer les règles qui ne lui seront que trop favorables à long terme. De toute façon, les raisons qui ont poussé l’Exécutif à prendre cette loi ne sont pas clairement affichées, ce qui est à la réflexion inquiétante. Est-ce pour améliorer les conditions de vie d’une population languie de promesses-foutaises ? Est-ce pour finir avec la misère sociale et les désolations engendrées par le séisme du 12 janvier 2010 ? Comment ne pas fantasmer dessus quand on ne connait pas les véritables intentions du Chef de la Magistrature Suprême ? Ce n’est pas la certitude qui rend fou mais plutôt le doute. Et parmi les raisons qui existent pour s’opposer à la loi d’urgence, la plus forte est le flou qui l’entoure.

Après la catastrophe, l’impératif serait de modifier les mentalités et les méthodes de gouvernance or jusqu'à présent, la même rengaine se répète : corruption, impunité, petits arrangements entre amis, rapports de force formels…voilà pourquoi, il ne faut rien attendre de cette loi. Quatre mois après, la population est dans la rue, et la saison cyclonique qui approche ne va en rien arranger sa situation. Pendant ce temps, le Président de la République multiplie ses démarches anticonstitutionnelles. De manière assez surprenante et incohérente, l’amendement de l’article 232 de l’actuelle loi électorale ainsi proposé est de nature à créer des distorsions difficilement admissibles. La Cour de Cassation devrait dire son mot…


Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haitien, Haïti, ce 09 mai 2010