jeudi 1 mai 2008

JOURNAL D’UN MAGISTRAT

JOURNAL D’UN MAGISTRAT

Nous évoquions, il n’y a pas longtemps, nos motifs d’inquiétude au moment où s’ouvrait l’année judiciaire 2007-2008. Cette inquiétude était hélas justifiée. Six mois plus tard, la situation n’a fait que s’aggraver. Les lois de réforme ne sont pas appliquées, la présidence n’est pas enclin à commissionner les juges en fin de mandat, le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire est dans l’impasse, et, en guise d’ajustement de salaire, il est question de prélèvement sur la pitance mensuelle qu’on donne aux magistrats et qui leur permet à peine de survivre…pour le salut de la nation. Qu’on ne s’y méprenne pas ! Cette mesure ne résoudra un iota du problème. Franchement, le Président n’a pas de conseiller économique. La solution est ailleurs ! Quand on dépense sans utilité et avec excès les recettes de l’État, on appelle cela du gaspillage…et c’est cette vanne qu’il faut fermer.

La justice est en crise continue malgré la volonté de réussir chez les Juges, les organisations de défense des droits humains et les partenaires de la communauté internationale. D’autre part, la cherté de la vie et le ralentissement de l’économie pour ne pas parler de récession, n’épargnent pas les acteurs judiciaires, et cette situation suscite malheureusement une tendance qui va à l’encontre des efforts déjà obtenus. Le responsable de cette tragédie a un nom : le pouvoir politique.

On n’a jamais vu des politiciens aussi crétins dans toute l’histoire d’Haïti. Ils ont tellement mal utilisé l’argent des contribuables qu’ils sont obligés de recourir maintenant à des solutions sans lendemain pouvant entraîner le pays dans une dégénérescence dont les conséquences seront incalculables. On est loin des menues dépenses tolérées si l’on tient compte des malversations qui secouent certaines institutions étatiques, en particulier, la Chambre des Députés. Le pire, aucune poursuite n’est engagée contre ces honorables corrompus. Le gouvernement révèle ainsi sa faiblesse. Et quand l’État montre des signes d’incapacité, c’est tout le pacte social qui est menacé.

En Haïti, le Juge perd son imperium. Le rejet de l’institution judiciaire a toujours été un mot d’ordre pour les politiciens haïtiens peu soucieux à doter le pays d’une justice forte et indépendante. En vérité, il y a des attitudes qui ne peuvent que faire grand tort à la Magistrature. Non pas que nous bâtissions de grands espoirs sur le pouvoir central mais nous avions pensé, pour une fois, qu’il allait changer le destin d’un système en quête d’un renouveau. Malheureusement, la Justice est, encore une fois, victime de comportement discriminant et sans appel. Le fait par le gouvernement de ne pas tenir compte des lois de réforme, malgré leur ratification et leur publication au Journal officiel, est une intolérable outrage à tous les Magistrats de la république. Avoir des principes, c’est bien ; les appliquer, c’est mieux.

C’était hier, nous semble-t-il, que nous prenions notre plume pour écrire notre premier texte. Nous nous sommes efforcés, semaine après semaine, de faire écho des points les plus importants en rapport avec le dysfonctionnement du système judiciaire. Depuis, un an a passé ! Aujourd’hui encore, la force des choses nous met dans l’obligation de poursuivre le combat. Malgré les notes décourageantes de certains avocats et confrères du Temple, nous sentons l’indispensable besoin, tout en partant du constat, de mettre à nouveau en accusation. S’il n’est pas possible, en ces temps difficiles et incertains, de faire des prévisions pour la justice, qu’il nous soit permis cependant de former le vœu de voir s’atténuer les tensions politiques.

Si nous n’étions pas un Magistrat…nous ne serions certainement pas un politicien. Nous serions un animal, un petit animal. Nous serions un insecte…Mais pas n’importe lequel, nous serions une mouche : celle qui pique.


Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 01 mai 2008