samedi 3 novembre 2007

LE MINISTÈRE PUBLIC AU PROCÈS CIVIL : QUELLE UTILITÉ ?

LE MINISTÈRE PUBLIC AU PROCÈS CIVIL : QUELLE UTILITÉ ?

Le procès civil se révèle de nos jours très embarrassant. Tout d’abord, par les frais et dépens exorbitants, les délais interminables, les procédures décourageantes, les échanges d’écritures chicanières qui accompagnent l’action judiciaire, mais aussi par les interventions inutiles du Ministère Public qui font perdurer les débats. Avec de telles préoccupations, le justiciable ne risque pas d’oublier la réalité qu’il côtoie quotidiennement sous ses aspects les plus tristes.

Le procès civil apparait donc comme un luxe destiné à ceux qui ont des moyens et de la patience. Son domaine s’amenuise et suscite l’inquiétude.

« Le droit civil est trop vaste et trop complexe pour laisser le soin au seul magistrat de siège de dire le mot du droit ». C’est l’argument évoqué pour justifier la présence accomodante du Ministère Public au procès civil. Son principal rôle consiste à veiller à la stricte application de la loi et à maintenir l’équilibre entre les parties. Il est partie jointe, dit-on.

Avant même d’entrer dans le vif du sujet, il faudrait se rappeler de cette vérité d’évidence. Le Ministère Public, représentant de la société, ne peut prétendre à la neutralité, les protagonistes au procès étant des éléments du tissu social ; d’autant qu’il doit prendre position et ne peut se référer à la sagesse du tribunal.

La résolution du procès civil s’inspire uniquement et directement de la décision consacrée par le juge d’instance. Son rôle est d’appliquer la loi et de rendre justice à qui elle est due. La vérité judiciaire ne s’invente pas, elle se constate. La décision finale, c’est la formulation des principes auxquels correspondent la cause pendante par-devant le tribunal, et pour laquelle deux parties ne sont pas parvenues à s’entendre.

Le législateur était convaincu de la nécessité de rendre le procès civil plus simple et plus cohérent avec la présence du Ministère Public au prétoire, cependant, la réalité est tout autrement.

On doit être d’accord que le représentant du Ministère Public, organe de la loi, n’est pas indispensable au procès civil comme on le pense. Ses interventions et ses réquisitoires ne sont vraiment pas nécessaires dans la mesure où le juge de céans a la latitude et la capacité, selon le cas, de trancher ou de joindre au fond toutes les exceptions soulevées au cours de l’audience.

De plus, les membres du parquet se plaignent toujours de surcharge de dossiers et d’un trop plein d’attributions, il est grand temps que l’on commence par leur retirer certaines tâches marginales pour lesquelles ils ne sont pas utiles.

On peut toujours plaider que le Ministère Public contribue à la découverte d’une certaine cohérence pour arriver à une certaine forme de justice. Notre position est claire et arrêtée : quelle que soit la valeur des arguments qu’on va évoquer, la place du Ministère Public n’est d’aucune utilité au procès civil étant donné que la mission qui lui est attribuée est déjà dévolue au magistrat de siège qui, d’ailleurs, n’est pas lié par ses conclusions.

Nous persistons !

Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 04 novembre 2007

dimanche 28 octobre 2007

DE L’INAMOVIBILITÉ DES MAGISTRATS

DE L’INAMOVIBILITÉ DES MAGISTRATS

L’étude qui va suivre vise à fournir aux juristes avertis, aux journalistes spécialisés dans l’actualité judiciaire et aux citoyens les plus avisés matière à méditer sur le concept « inamovibilité des magistrats ».

Pour plus de commodité, nous soumettons d’emblée à l’attention de tous l’article 177 de la constitution qui stipule :
‘’Les juges de la Cour de Cassation, ceux des Cours d’Appel et des Tribunaux de Première Instance sont inamovibles. Ils ne peuvent être destitués que pour forfaiture légalement prononcée ou suspendus qu’à la suite d’une inculpation. Ils ne peuvent être l’objet d’affectation nouvelle, sans leur consentement, même en cas de promotion. Il ne peut être mis fin à leur service durant leur mandat qu’en cas d’incapacité physique ou mentale permanente dument constatée.’’ (Souligné par nous).

En vertu de l’inamovibilité, le juge, fut-il nommé ou élu, ne peut être ni révoqué, ni suspendu, ni même mis à la retraite prématurément, ni déplacé arbitrairement en dehors des cas et sans observation des formes et conditions prévues par la loi.

Y avait-il vraiment une difficulté d’interprétation ou tout simplement une volonté manifeste de ne faire qu’à notre tête ?

Les géniteurs de la constitution de 1987 ont fait une lecture erronée d’un principe de droit universellement accepté et reconnu. Les juges sont inamovibles, pourtant ils ne sont pas nommés à vie, mais sur la base d’un mandat. Flagrante contradiction !

L’inamovibilité suppose une durée indéterminée. Ce principe s’oppose, en outre, à ce qu’un juge soit révoqué ou destitué mais aussi à ce qu’il soit déplacé d’une juridiction à une autre ou promu sans son consentement. Mais nos respectables et valeureux constituants se sont perdus dans l’euphorie de la ‘’bamboche démocratique’’ en octroyant aux magistrats, à l’exception des juges de paix et des parquetiers, une durée de service.

En instituant le système des mandats pour les magistrats, la constitution abolit tout bonnement leur carrière. Et c’est là un paradoxe !

L’inamovibilité se perd dans le temps et n’est pas mesurable en terme de durée. Si nous restons dans l’étymologie du concept, les juges devraient conserver leur fonction toute leur vie. Cependant, l’épuration politique à chaque changement de régime reste pour eux une menace perpétuelle et un cauchemar.

Le mot ‘’inamovible’’ signifie : ancré, indestructible, indéfectible, inébranlable, immuable, immobile, assuré, stable, solide, indéboulonnable, intouchable, éternel (Le Nouveau Petit Robert, page 1143). Il est traduit en anglais « for life » (Media Dico : dictionnaire). Et dans toutes les autres langues, il a la même signification.

Quand on est magistrat, on l’est pour la vie, sous réserve d’être destitué ou révoqué pour forfaiture et autres manquements graves et incapacités physiques ou mentales permanentes. Cette définition est complétée par l’impossibilité de les nommer ou les muter sans leur consentement.

Nous avons la désagréable impression que les membres de l’assemblée constituante, composée à l’époque de quelques grosses pointures de la judicature et des éléments de la société civile dans sa grande majorité, n’avaient pas bien débattu la question. Elle a été mal cernée, mal dosée, mal traitée, mal interprêtée.

La constitution haitienne de 1987 est peut-être un chef-d’oeuvre du point de vue de l’esprit ; somme toute, elle est trop ambiguë. Non seulement elle est truffée de failles mais on y rencontre également des contradictions à chaque passage. C’est pourquoi, bon nombre de juristes, d’intellectuels et de personnalités politiques réclament sa révision ou l’amendement de certains articles.

A force d’y vouloir mettre des gardes-fou, on a accouché des hérésies et des frasques non sans conséquences sur la vie et la survie nationale. Les parapets qui y sont érigés n’ont servi, en fait, qu’à nous diviser et à nous dresser les uns contre les autres.

De manière générale, la république d’Haiti, à travers sa charte fondamentale, montre son attachement à ce qui est précaire, petit, mesquin et médiocre. Le débat est d’ores et déjà lancé mais pour notre part, nous pensons très sincèrement que la nomination des Juges pour une durée déterminée est une source d’instabilité qui peut déboucher sur des actes de corruption. Leur inamovibilité, au sens strict, serait essentiellement une garantie d’une bonne administration de la justice. Elle permettrait aux justiciables de pouvoir compter sur des juges qui ne sacrifient point la justice, ni la vérité à des considérations particulières.


Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 28 octobre 2007