vendredi 3 juin 2011

DROIT ET PAUVRETÉ EN HAÏTI

DROIT ET PAUVRETÉ EN HAÏTI

Par pauvreté ou population pauvre, on voit la situation d’une personne qui n’a pas d’argent, ou très peu, pour subsister et vivre décemment ; ou encore, d’un groupe de personnes qui n’a pas accès aux biens nécessaires à la survie minimale : nourriture et eau potable, vêtement et logement, soins médicaux et éducation. Elle doit être appréhendée comme un phénomène produit par des structures, des comportements et des institutions. A noter que le trait essentiel de ce polymorphisme ne réside pas seulement dans un manque de revenus mais aussi et surtout dans la non-participation au mode de vie commun, c’est-à-dire, dans la négation de la citoyenneté. La pauvreté implique avant tout le manque de toutes sortes de ressources non pécuniaires et engendre l’exclusion sociale. En Haïti surtout, cette réalité est complexe, diffuse et difficilement saisissable.

Les pauvres cumulent les handicaps sociaux. Ils ne disposent ni du pouvoir ni de l’autorité nécessaire pour faire valoir leurs intérêts, leurs besoins, leurs valeurs, leur style de vie (bref, leur variante culturelle résultant de leurs conditions de vie spécifiques) dans la façon dont la société s’organise. Ils ne participent pas à la formation des besoins reconnus par la société. Ils ne disposent pas de l’autorité sociale nécessaire pour se défendre contre les stéréotypes négatifs dont ils sont l’objet. Et les institutions faites pour y remédier telles le ministère des affaires sociales, les caisses d’assistance sociales et autres… sont de moins en moins adéquates d’où la nécessité de considérer le droit comme un des éléments structurels importants dans la production de la pauvreté, même si, à d’autres égards, il fait semblant de la combattre.

Si notre démocratie, à travers notre charte fondamentale, tient à nous épargner et préserver de certains soucis sociaux, il n’en demeure pas moins vrai que l’application des droits inhérents aux citoyens est pure utopie. Sans nous immiscer dans des controverses et des particularités de certains ordres juridiques, le bien-être social de l’Homme est garanti dans toutes les Constitutions du monde. Ceci dit, les États ont pour obligation de renforcer la protection et l’intégration des citoyens dans la sphère des droits constitutionnellement protégés. Remarquons que la Constitution haïtienne de 1987 combat la pauvreté sous toutes ses formes en se prononçant sur la gratuité de certains services de base (santé, éducation, justice, nourriture…) en mettant le citoyen à l’abri de toute transaction pécuniaire mais, somme toute, au prix d’un vide juridique évident. Que doit-on faire quand ces dispositions constitutionnelles ne sont pas respectées ? Quel recours ? Quelle sanction et qui sanctionner ? La Constitution, même au niveau de ses dispositions transitoires, ne prévoit aucune obligation morale contraignante pour faire appliquer ces prescrits-là.

Les droits socio-économiques comme celui d’avoir un niveau de vie suffisant pour assurer son bien-être et celui de sa famille, notamment pour l’alimentation, le logement, l’éducation, les soins médicaux, sont les plus fréquemment violés, et de loin. Leur violation ne date pas d’hier, et se fait en marge de la démocratie, de l’État de droit et de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme ratifiée par Haïti. Paradoxalement, c’est toujours nos gouvernements eux-mêmes, avec la complicité de quelques éléments de la bourgeoisie traditionnelle, qui font obstacle à une indépendance économique minimale de la masse défavorisée et contribuent ainsi, de manière systématique, à entretenir l’extrême pauvreté dans le pays. Une pauvreté dont les effets sont sidérants d’après les chiffres publiés par les Nations-Unies. On évalue à un pourcentage élevé, mais vraiment très élevé, le nombre d’individus qui sont régulièrement mal nourris, qui n’ont pas accès à l’eau potable, qui n’ont pas accès à des soins les plus élémentaires, qui n’ont pas de logement convenable et qui sont illettrés.

Il faut une législation adéquate, des dirigeants honnêtes, la sensibilisation et la participation effective de la bourgeoisie pour lutter contre la pauvreté en Haïti. Le déficit juridique qui prévaut dans notre Constitution doit être corrigé par des réformes institutionnelles qui rendraient la réalité moins pesante pour les plus démunis car toute législation, selon son adéquation ou son inadéquation aux conditions d’existence de ces derniers, constitue soit un facteur de lutte contre la pauvreté, soit un facteur de développement de celle-ci. Combattre la pauvreté doit être donc un devoir moral important et urgent pour tout gouvernement sérieux qui aura à cœur d’établir des lois qui faciliteront son endiguement. Cela exigera aussi de la part des citoyens riches un ralliement à la cause, tout en se disant que d’autres personnes dans la même situation qu’eux n’y participent que peu ou pas du tout, que leur propre contribution est purement volontaire et que, quelque soit le montant de leurs dons, ils pourraient sauver des frères et sœurs de la famine et de la maladie. En ce sens, la bourgeoisie pourrait aider le gouvernement à financer des programmes d’assistance sociale comme l’accès à des soins de santé, à l’éducation primaire, au microcrédit, au restaurant public, etc.…C’est à ce moment seulement qu’on pourra parler du rêve haïtien et de la nouvelle Haïti.

Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haitien, Haïti
Ce 03 juin 2011