samedi 31 octobre 2009

AU BOUT DU LASSO

AU BOUT DU LASSO
Les mensonges, les mauvaises actions ont une odeur. Même quand vous les dissimulez, ils remontent toujours à la surface. Nous respirons chaque jour les puanteurs exacerbées de la corruption et les fermentations imprévisibles des assassins d’État. Ce qui se passe aujourd’hui en Haïti est plus que révoltant. L’équipe au pouvoir est trop clémente avec les voleurs, les corrompus et les criminels. Ailleurs, les déclarations du bandit, interpellé en République Dominicaine par les autorités de ce pays auraient renversé l’ordre des choses. Chez nous, cela est pris comme un fait divers par la classe politique, le Parlement et la société civile. Après avoir entendu tout ce que ce gibier de potence a dit et fait, nous déduisons que le silence du Gouvernement est bizarre, complice…voire coupable.

À force d’encaisser des coups bas ou d’accepter l’intolérable, les citoyens commencent à perdre leur capacité d’indignation. Nous constatons un repli identitaire et culturel chez l’Haïtien. La jeunesse est devenue une période de transition très longue parce que le comportement de nos dirigeants génère chez eux beaucoup de frustrations et de découragements. Sur huit millions d’habitants, sept millions vivent à un niveau de pauvreté inacceptable. Nous ne sommes pas loin d’un séisme social. Nous avons des gens qui ne respectent ni les enfants, ni les jeunes, ni les vieillards, ni les choses, ni les vies, ni les biens, ni les lois, pas même les animaux. Nous sommes à bout ; si on ne fait rien…c’est la nation entière qui s’éteint. Et nous pensons que les choses ne vont bouger d’un iota s’il n’y a pas une réelle prise de conscience et un réveil brutal de la majorité silencieuse. L’enfermement peut être une chose abominable lorsqu’on ne sait pas quand on en sortira.

Depuis son avènement, le Pouvoir en place passe en dérision, humilie, démolit la Magistrature haïtienne. Pourtant, les Honorables Juges…principalement, ceux de la Cour de Cassation, se croisent les bras. Ils n’ont pas le courage de dire au Président de la République : ‘’Écoutez Monsieur, c’est assez’’ ! L’Autre avait raison de dire que « si les citoyens ne se soulèvent pas, c’est qu’ils ne sont pas des Hommes ». L’année dernière, des milliers de Juges ont défilé à travers les rues d’Islamabad (Pakistan) pendant plusieurs semaines pour exiger la réintégration du Président de la plus Haute Cour du pays, révoqué illégalement par le Chef de l’État Pervez Musharaf qui allait perdre son fauteuil par la suite. La Justice haïtienne est à la traîne ; la bête est malade et blessée jusqu'à l’écoeurement…et les Magistrats ne font rien. Nous vivons dans un système où tout le monde a peur de prendre position. Nous sommes indigné à cause du vécu que nous avons sous les yeux. Malheureusement, nous n’arriverons jamais tout seul à changer le cours des choses. La méchanceté des uns et des autres s’oppose à nos aspirations. Nous ne possédons rien à part notre âme et notre personnalité. Mais, nous ne les vendrons pas. Certains Magistrats courent après l’argent, cependant, l’argent ne vaut rien si on ne peut pas se regarder dans la glace. Le respect de soi, c’est la devise la plus parfaite.

Au moment d’écrire ce texte, un policier égyptien, de passage en notre Chambre d’Instruction Criminelle, eut à nous dire, avec une révérence hors du commun, que chez lui, un Juge c’est comme un dieu tant il est respecté et vénéré. En tout cas, c’est le contraire qui est vrai dans notre singulier « petit pays ». Le temps est donc venu pour que le système judiciaire se libère du pouvoir Exécutif. Cela fait près de deux ans que la loi sur l’ajustement de salaire et le statut des Magistrats est publiée, toujours pas de réforme à l’horizon. L’École de la Magistrature (EMA) est réduite à un simple local et n’existe que de nom ; le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ) est jeté aux oubliettes ; les moyens promis aux Cabinets d’Instruction des diverses juridictions sont détournés au profit d’autres entités et à d’autres fins ; les Magistrats attendent leur vingt-deux (22) mois d’arriéré de salaire ; la mobilisation contre la corruption s’évapore dans la nuit...Peut-être qu’il faudra d’autres lois si celles-ci se révèlent si difficiles à mettre en application.

Tout récemment, la Chine a procédé à la pendaison de plusieurs hauts fonctionnaires du régime pour corruption. Aux États-Unis d’Amérique, le milliardaire Bernard Madoff croupit derrière les barreaux pour escroquerie et la CIA est dans le collimateur de la Cour Suprême pour traitements inhumains et dégradants infligés aux personnes accusées de terrorisme. En Europe et dans certains pays d’Afrique, la Justice fait la loi et règne en maître. En Haïti, on doit arrêter cette hémorragie qu’est l’impunité. Les assassins sont là…au bout de notre lasso, nous n’avons qu’à tirer sur la corde pour les neutraliser. Quand les choses vont mal, quand la criminalité fait rage, quand les enfants ne peuvent aller à l’école et que les père et mère sont aux abois, quand le sang se met à couler dans la rue…il y a forcément un responsable, et ce responsable doit aller en prison.

HEIDI FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti,
Ce 31 octobre 2009