mercredi 25 juillet 2007

PROFIL DE Me HEIDI FORTUNÉ...


 Il est des hommes qui bâtissent leur carrière, il en est d’autres qui laissent faire les circonstances et s’y adaptent à ce point que leur parcours, qu’elles qu’en soient les étapes, parait n’avoir servi qu’à les préparer à occuper comme par nécessite la fonction que le hasard, en définitive, leur a confiée.

Heidi Fortuné est de ceux-ci. Lorsqu’il fallait en décembre 2000, désigner pour la première fois dans le système judiciaire haïtien, en tout cas, au Cap-Haïtien, le plus jeune Magistrat du Parquet, il s’impose comme l’archétype de la fonction si bien que nul ne songea à ce moment qu’un autre put remplir mieux ce rôle.

L’existence d’un homme est marquée par le sceau de ce qu’il a  vu, fait, entendu, senti, goûté, reçu au début de sa carrière. A vingt ans déjà, il avait en lui de grandes vertus : courage, ténacité, abnégation, générosité.

Fraîchement diplômé de l’École de la Magistrature, le voici, le même jour de ses vingt-huit ans, Substitut du Commissaire du Gouvernement, hantant les salles d’audiences du Palais de Justice du Cap-Haïtien, sa ville natale où il a étudié le Droit et côtoyé ceux qui deviendront ses collègues et adversaires.

Capois dans l’âme et jusque dans le sang ; Homme de principes, de convictions plutôt que de passions, il pressent déjà qu’il est moins enclin à faire triompher une thèse, sa thèse, qu’à rechercher la pacification des conflits dans une vérité consentie.   Aspirait-il au métier de Juge depuis son enfance ? Ce qui est certain, aussitôt nommé, il a fait valoir son esprit de rigueur et sa méticulosité, son dévouement au service public, sa modestie et aussi ses qualités de loyauté et d’amitié si précieuses pour calmer les tourmentes qui agitent un Parquet en crise perpétuelle, administré, dans la plupart des cas, soit par un partisan zélé du pouvoir en place, soit par un homme d’affaires sans scrupules cherchant à se refaire sur les justiciables.

Il le dit tout le temps : il a gardé et garde encore des souvenirs émus des cinq années qu’il y a passées. Cependant, il apprendra aussi, à ses dépens, le poids du formalisme des rapports hiérarchiques non conformes à l’éthique, à la morale et à l’honnêteté. Il se rappelle aujourd’hui encore, non sans dégoût, de ses déboires avec un chef du Parquet. Il a failli claquer la porte, n’était-ce l’intervention fulgurante du ministre de la justice d’alors. Ses plus anciens amis le savent : avant même l’Université, il avait choisi ce qui est beau, ce qui est vrai, ce qui est juste et de bannir sans indulgence vanité, mesquinerie, faux-semblant, hypocrisie et corruption.

En 2006 commence un nouvel épisode : on le retrouve au Tribunal de Première Instance où il exercera les fonctions de Juge et Juge d’Instruction. La justice contient toutes les autres vertus ; c’est pourquoi Heidi Fortuné n’a jamais imaginé d’être autre chose que Magistrat. Rien ne laisse cet homme au grand caractère indifférent : la douleur d’un détenu, le désarroi du monde, le chant des oiseaux, le coucher du soleil, la beauté des choses de la vie, l’éducation de ses deux enfants Leila Heidi et Chris Heidi...

Cet époux délicat, ce jeune père de famille attentif a connu aussi la souffrance comme tout homme, tant dans sa vie privée que professionnelle. Il est convaincu de la nécessite d’une réforme en profondeur dans le système judiciaire mais ne sait quoi faire pour porter les dirigeants politiques à réagir et à prendre conscience de l’urgence.

C’est le Magistrat Instructeur le plus compétent et le plus prolifique du système judiciaire haïtien en termes de rendement. Son indépendance et son intégrité se passent de commentaires. Jusqu’ici, il a fait un parcours sans faute avec une issue prévisible... Le verrait-on terminer sa carrière à la tête de la Cour de Cassation de la République ?
Il n’a que 41 ans. Qui vivra verra !

 Avril 2014

mardi 24 juillet 2007

HOMMAGE À UN GRAND MAGISTRAT

Ce texte a été conçu par Me Fortuné pour témoigner la souffrance, le vide laissé par le départ précipité du président de la Cour d'appel des Gonaïves, Me Hugues Saint- Pierre en date du 5 avril 2007, suite à un accident de voiture pendant qu'il descendait un véhicule faisant le trajet en commun. Le texte de Me Fortuné exprime non seulement la douleur de la famille, mais aussi la perte d'un grand magistrat qui a su contribuer à la formation des jeunes juristes haïtiens. En aprenant le décès de ce grand homme de la communauté juridique, le juriste haitien a adressé un message de sympathie sur son blogue à tous les gens qui le connaissaient...

HOMMAGE À UN GRAND MAGISTRAT

Par Me Heidi Fortuné
26 avril 2007

Nous sommes obligé , à contre coeur, de faire nos adieux et rendre un dernier hommage à une personne remarquable dont tout un monde pleure la disparition ;une personne que nous avons estimée, admirée, aimée.Nous devons dire la crainte que nous inspire cet hommage nécessairement superficiel et qui, pour les proches, pour les gens qui l’ont connu, ne peut jamais dire l’essentiel, ne peut restituer la vérité d’un homme quand il est de cette qualité. Nous pensons à sa famille, à ses amis, à ceux qui l’ont côtoyé, qu’il s’agisse de ses collègues ou de ses étudiants, qui tous aujourd’hui, partagent un même chagrin, en communion intense avec son souvenir.

Il était pour nous autres, avec ses 75 ans, une référence, un recours permanent. Son départ brutal nous rappelle combien était forte cette présence qui tissait en nous, autour du vide, une sécurité et un bonheur d’être.Quelle fin injuste ! Et dans quelle condition !Un Magistrat ne meurt pas dans pareille circonstance.Qui pis est, Hugues Saint-Pierre. Non... pas lui. Convoqué par le ministère de la justice sur le‘’massacre de la Scierie’’ et se fait renverser par une voiture à sa descente d’autobus. C’est plus que choquant. « La mort n’a pas de klaxon » dit le proverbe, en ce sens qu’elle peut arriver, n’importe où et n’importe quand, sans avertissement mais s’il avait une voiture et un chauffeur à sa disposition, en sa qualité de Président de la cour d’appel des Gonaives, il n’aurait pas recours au transport en commun et probablement, laProvidence lui aurait épargné cette fin de vie odieuse marquée par le sang et la souffrance physique.Malheureusement, nous devons nous résigner à l’inadmissible. Mais, un être tel que lui, laisse des traces profondes chez tous ceux qui lui ont serré la main, même une seule fois, comme ce fut notre cas. Nous repensons avec émotions à notre rencontre avec lui le 05 mars dernier, lors d’une formation sur la gestion administrative et financière, à l’hôtel Villa Saint-Louis à Bourdon, Port-au-Prince, et à l’estime qu’il a suscité parmi les participants. Puisse la mémoire de ce Magistrat, qui fut grand,puisse la mémoire de cet homme qui fut un modèle, dece patriarche de la magistrature haitienne, s’épanouir en nous, de loin en loin, en souvenir ému des moments heureux. Au nom de tous les Magistrats de la juridiction duCap-Haitien, nous lui souhaitons bon voyage.Que la terre lui soit...alors là, vraiment légère !

Heidi FORTUNÉ
Magistrat,
Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
26 Avril 2007

lundi 23 juillet 2007

LA JUSTICE ET LA PRESSE : UNE RELATION “ JE T’AIME MOI NON PLUS ”

Si elles ne font pas le même chemin, elles se dirigent vers les mêmes objectifs d’équité et de transparence. La justice travaille pour régler les conflits entre les citoyens, dire le mot du droit, faire la part des choses conformément aux prescrits de la loi. C’est le moyen par excellence de régulation sociale. La presse, elle, s’adresse aussi au citoyen, donne la parole aux sans voix, communique, commente et argumente l’action du pouvoir judiciaire soit pour en relever les faiblesses, soit pour critiquer le mode de fonctionnement. Elles ont toutes deux une fonction sociale. La presse et la justice sont deux piliers de la démocratie, pourtant, elles entretiennent, depuis toujours, des rapports souvent tendus.

La source du conflit demeure, d’une part, les moyens d’information auxquels peuvent légitimement recourir les journalistes dans leur travail d’investigation, et d’autre part, le respect des limites et des contraintes, à eux imposées, par le législateur. En effet, alors que les médias invoquent la liberté d’expression, le droit à l’information et le secret des sources, la justice leur rappelle qu’ils sont aussi tenus de respecter certaines règles relatives à la vie privée, aux droits de la défense, au secret de l’enquête ou encore à la présomption d’innocence. Le constat est fait : beaucoup de journalistes traitent de domaines pour lesquelles ils ne sont pasoutillés.

Cela ne veut pas dire qu’ils ont une intention de nuire ou sont guidés par la mauvaise foi. Nous voulons dire tout simplement par-là qu’une formation générale est insuffisante pour permettre à un journaliste de rendre compte d’un domaine aussi technique que celui couvert par la justice. Dans l’accomplissement de leur mission, les journalistes doivent founir au public une information exacte, aussi complète et objective que possible et faire preuve de la plus grande circonspection tant dans la recherche de l’information que dans sa diffusion, sans porter atteinte au crédit desindividus ou déformer les faits.

Certes, la presse a le droit de porter un jugement, de critiquer, de formuler des appréciations relatives aux actes des personnes qui exercent particulièrement une fonction publique, telles les juges par exemple, mais cette liberté est néanmoins limitée, d’un côté, par l’obligation de vérité au sujet des faits et, de l’autre, par l’interdiction de tenir, à leur endroit, des propos calomnieux, injurieux, malveillants, dénigrants, infamants ou deshonorants. Dans sa mission d’information, la presse doit veiller à ne pas répandre des rumeurs qui pourraient causer un préjudice à des tiers, lorsqu’elle n’en a vérifié ni la provenance ni la conformité à la vérité.

En aucun cas, le journaliste professionnel ne doit faire un usage démesuré ou encore un abus excessif de son statut. Si la constitution haitienne garantit expressément la liberté de la presse et consacre sans équivoque le droit à la parole, cela ne veut pas dire que tout détenteur d’un micro et d’un magnéto peut en profiter pour nuire aux gens et porter atteinte à leur réputation. En ce qui concerne la justice, nous disons aux journalistes que « le fait de publier les actes d’accusation et de procédure, les commentaires tendant, avant une décision de justice, à influencer les témoins, les jurés ou les juges sont considérés comme délit de presse », infraction prévue et punie par l’article 16 de la loi du 31 juillet 1986...afin qu’ils n’en ignorent et n’en prétextent cause d’ignorance. Les informations liées à l’actualité judiciaire doivent être traitées et analysées par des spécialistes et non par n’importe quel profane.

Heidi FORTUNÉ
Magistrat,
Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 22 juillet 2007

LA RÉFORME PÉNITENTIAIRE : L’AUTRE DÉFI...

Le terme ‘’régime pénitentiaire ou carcéral’’ s’entendde la condition des personnes emprisonnées ouincarcérées à la suite d’une condamnation prononcée par l’autorité judiciaire compétente pour infraction.Tout détenu doit être traité avec le respect dû à la dignité et à la valeur inhérentes à l’être humain. Les prisons doivent s’acquitter de leurs responsabilités conformément aux objectifs sociaux de l’Etat et aux responsabilités fondamentales qui lui incombent pour promouvoir le bien-être etl’épanouissement de tous les membres de la société.

Les normes internationales en matière de détention imposent un certain nombre de règles relatives à laprison. Le droit haïtien fournit les règles minima nécessaires à la protection des droits des prisonniers. Aussi, la constitution dispose-t-elle : ‘’ le régime des prisons doit répondre aux normes attachées aurespect de la dignité humaine selon la loi sur la matière’’ (art.51). Ces principes sont-ils vraiment respectés et dans quel état se trouvent nos centres de détention ?Le problème ainsi posé est important et d’actualité. La situation s’est détériorée à travers tout le pays et les causes sont variées.

Les établissements pénitentiaires sont prêts à exploser compte tenu du manque chronique de place etd’infrastructures. La population carcérale a augmenté mais ni les locaux, ni l’institution ne sont adaptés à l’évolution de la nouvelle génération de condamnés, pour la plupart, très dangereux. Le profil des détenus a changé. Il sont d’horizons divers : trafiquants de drogue, auteurs d’enlèvements, criminels expulsés des Etats-Unis et du Canada, sans oublier, les puissants chefs de gang récemment épinglés. La vétusté des bâtiments, l’absence de soins médicaux, la violence entre détenus, l’inadéquation de la nourriture et le développement des maladies sexuellement transmissibles suite à des viols et les évasions répétées doivent être soulignés. Le dysfonctionnement du système judiciaire favorise également la surpopulation carcérale. Cinquante-quatre personnes dans une cellule dépourvue de lits et d’installations sanitaires.

Une pièce de quatres mètres carrés, à peine aérée, dégageant une chaleur d’enfer et une odeur nauséabonde. Seuls quelques-uns arrivent à s’allonger pour dormir. Les autres restent debout ou recroquevillés dans un coin, attendant le lever du jour. Dans une autre cellule, les détenus se couchent par relais, certains dorment le matin, d’autres, le soir. Nous pensons que cela doit interpeller des consciences. Il ne faut pas dire la prison c’est pour les autres car on ne sait jamais... Nous risquons de voir, sous peu, notre système carcéral s’effondrer comme un château de cartes si rien n’est fait dans l’immédiat. Un plan de redressement serait naturellement souhaité même si nous doutons de la volonté réelle des responsables de l’Etat pour améliorer les choses. En Haïti, la politique de l’autruche reste une constante, et c’est très désolant. S’occuper des prisons est une urgence républicaine.

Certains évoquent la nécessité d’une loi pénitentiaire mais de même ‘’qu’on ne change pas la société par décret’’, nous sommes persuadé qu’on ne changera pas les prisons par la seule loi. Car la situation actuelle montre que la majorité des problèmes s’explique non pas en raison de l’application des règlements existants, mais par l’inapplication de ces règlements, confrontée à l’épreuve des faits. La vie dans les centres carcéraux haïtiens est une véritable monotonie, les détenus sont en commun dejour et de nuit, ce qui donne lieu à des abus regrettables : promiscuité odieuse, corruption morale et physique, constitution de véritables associations de malfaiteurs, etc.…On n’a pas besoin d’être grand clerc pour comprendre que la formation professionnelle des délinquants peut contribuer directement à leur rééducation, mais là nous sommes en train de rêver. S’il y a beaucoup à faire pour améliorer les conditions de détention, nous estimons que priorité doit être donnée au désengorgement des maisons d’arrêt, dont la situation est aujourd’hui indigne d’une démocratie. La nécessité d’effectuer un véritable audit de la situation est impérieuse mais il reste à savoir lequel de nos dirigeants sera assez courageux pour le lancer.

Heidi FORTUNÉ
Magistrat,
Juge d’instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 15 juillet 2007