mardi 4 septembre 2007

BILAN DE L'ANNÉE JUDICIAIRE 2006-2007

L’année judiciaire qui se termine au moment où nous écrivons ces lignes n’a pas été vraiment riche en réalisations. Le bilan est plutot mitigé. Mise à part la ratification par le parlement de deux des trois projets de lois relatifs à la réforme et quelques rencontres de sensibilisation au palais national, rien de concret n’a été fait. Tout au contraire, certaines indécences politiques sont venues affaiblir davantage le système. Quelques magistrats ont fermé la porte derrière eux...et la disparition tragique du président de la cour d’appel des Gonaives, Me Hugues Saint-Pierre, dans des conditions troublantes, a été reçue comme un coup de massue au sein de la magistrature haïtienne.
Pour finir, le phénomène des prisons, au moment où la police fait de son mieux pour mettre hors d’état de nuire certains gros bandits, suscite de nombreuses inquiétudes de la part des organisations des droits humains et de la société civile.
2007 fut donc une année, à la fois, triste et tiède pour la justice. Les problèmes restent les mêmes et sont nombreux.
Nous écrivions, il y a quelques mois, que les perspectives de la réforme restaient peu attrayantes à beaucoup de point de vue et la réalite n’a malheureusement pas démenti le pessimisme dont nous faisions preuve.
Notre justice va mal non pas parce qu’elle ne dispose pas de moyens mais bien plus parce que les moyens qui lui sont dévolus sont excessivement mal pensés ou incomplets.
A l’image de bien d’autres activités d’intérêt général, la justice haitienne souffre du manque de volonté et de cohérence des décisions politiques.
Elle est bien trop souvent l’objet d’enjeu et de positionnement idéologique alors même qu’elle devait tout simplement être prise pour ce qu’elle est, à savoir, un service public régalien consacré par la constitution.
La perte de confiance du justiciable en la justice induit une crise d’identité et de légitimité d’autant plus grave qu’il s’agit de l’institution suprême, de l’ultime recours contre l’injustice.
Avec un budget ridicule, lamentable, honteux, indigne...peut-on espérer grand-chose des acteurs judiciaires ?
Les Magistrats ne sont pas confortables dans l’exercice de leur profession, et ceci, à tout point de vue. C’est pourquoi bon nombre d’entre-eux, excellents professionnels d’une rare qualité intellectuelle ont abandonné car non seulement le salaire n’est valorisant pour des journées entières d’instruction mais aussi les conditions de travail ne font pas honneur à leur statut.
Tout le monde est d’accord pour la modernisation de la justice mais cependant cela n’a pas l’air d’être une priorité politique. L’Etat préfère investir l’argent des contribuables ailleurs, ce qui nous semble complètement démentiel et irraisonné.
Il faut le dire, certains signaux illustrent la volonté de maintenir la justice parmi les priorités gouvernementales. Cependant, en notre qualité de praticien, et malgré certaines déclarations rassurantes, nous disons que la réforme judiciaire n’est pas pour demain.
Nous serons encore là à l’ouverture de la nouvelle année judiciaire 2007-2008 pour scruter le paysage juridique, observer la vie dans les cours et tribunaux, dénoncer les irrégularites et y donner le plus large écho.
Nous critiquons tous ceux qui utilisent le dysfonctionnement et la faiblesse de la justice à des fins mercantiles, qu’ils soient juges mafieux, politiciens véreux, responsables de droits humains intéressés, organisations non gouvernementales (ONG) bidons ou autres...
Nous envoyons une pensée spéciale à toutes celles et à tous ceux qui militent véritablement en faveur d’un nouveau système judiciaire. Nous pensons à la difficulté de leur tâche et au poids de leurs responsabilités.
Une autre justice est possible, il suffit tout simplement d’avoir un peu de volonté politique agrémentée d’une bonne organisation de traitement et de recruter à cette fin un personnel qualifié.

Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 12 août 2007

EXTRAIT DE LA COMMUNICATION DE ME HEIDI FORTUNÉ

COLLOQUE SUR LA GOUVERNANCE ET LA CORRUPTION ORGANISÉ PAR L’ULCC DU 20 AU 23 AOÛT 2007-

EXTRAIT DE SON INTERVENTION -

Lorsqu’en décembre 2000, j’ai accédé au corps judiciaire, j’étais fier d’appartenir à la seule institution de l’État dont le nom est une vertu : la justice. Ma conception de la magistrature était simple. Elle se fondait sur la signification du mot qui évoque la grandeur, la supériorité, et sur le rôle social des juges. Pour moi, du magistrat, on devait attendre plus que des qualités. C’est donc, tout naturellement que j’espérais pouvoir m’épanouir dans la magistrature.
Mais, après plus de six années d’exercice de cette profession que j’aime tant et pour laquelle je me suis investi sans compter, je constate avec regret et amertume que l’organisation administrative dans laquelle sont enserrés les magistrats met en danger les plus vulnérables et jette la suspicion sur les plus courageux.
Cela ne correspond ni à mes idéaux de justice, ni à ma conception de la magistrature. Dans ces conditions, il ne me reste pas beaucoup d’alternatives : en fait, elles sont deux. Soit je me confonds dans la moule, soit je rentre en rebellion.
Comme je n’ai pas été éduqué dans l’acceptation de compromission, j’ai choisi de défendre le système en dénoncant ses malheurs et son dysfonctionnement avec toutes les conséquences que cela peut entrainer.
Je me bats pour la justice de mon pays comme je l’aurais fait pour n’importe quelle autre cause noble...
La corruption est devenue un principe. Soit tu rentres dans le mouvement, et tu deviens riche. Soit tu restes en marge de ce phénomène, et tu auras du mal à voir le bout du tunnel. Peu importe ce qu’on dit ou ce qu’on pense, je fais mon choix.
Quand un magistrat accepte de l’argent ou des biens de quelqu’un qui a son dossier devant lui, peu importe ce qu’ils se sont dits, moi, j’y vois la corruption. Les justifications du genre « ce sont des cadeaux, des dons » me semblent fallacieuses. Personnellement, je considère que s’il y a un seul magistrat corrompu, cela est très grave parce qu’il va brimer un citoyen en faveur d’un autre, voire quand c’est plusieurs.
Il ne faut pas se voiler la face, l’ampleur de la corruption au sein de la justice est plus que modérée, je suis bien placé pour le dire. Il faut simplement avoir le courage de sanctionner les magistrats indélicats, ceux-là qui, avec un salaire de dix mille, quinze mille ou vintg mille gourdes, une épouse qui ne travaille pas, des maîtresses et des enfants, sont capables de mener une vie de nabab. Ils doivent s’expliquer et partager leur secret, sinon ils doivent payer leur corruption.
Si l’on attend de voir des contrats de corruption avant de sanctionner, je vous jure qu’on attendra bien longtemps.
‘’La corruption qui sévit dans la société haitienne n’épargne pas le monde judiciaire, le juge n’étant pas isolé de son milieu’’. Je suis d’accord. Cependant, j’insiste sur le fait que celui qui prétend juger les autres devraient se mettre au-dessus de la mêlée.
Aujourd’hui, pour beaucoup de citoyens, la justice est aux ordres et donne raison à celui qui a de l’argent pour corrompre. Ainsi, le combat contre la corruption ne doit pas être mené isolément dans la mesure où « s’il y a des corrompus, il y a des corrupteurs ». Ce qui implique une responsabilité partagée.
Il faudra finalement que l’haitien se convainc qu’il est possible d’avoir raison en justice, sans avoir à user des pots-de-vin ou des relations.
Je m’appelle Heidi Fortuné. Je suis Magistrat, Juge d’Instruction Près le Tribunal de Première Instance du Cap-Haïtien.
Merci !