lundi 5 février 2024

RÉVOLUTION POUR UNE NOUVELLE HAÏTI

 

RÉVOLUTION POUR UNE NOUVELLE HAÏTI 

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RÉVOLUTION POUR UNE NOUVELLE HAÏTI

Albert Camus définit la révolution comme “un mouvement où l’opprimé considère que son oppression va trop loin”À mon humble avis, cela suppose que le sentiment de révolte est d’abord nourri de tripes et de cœur avant d’être intellectualisé ou médiatisé. Le soulèvement soudain est une explosion de soi, de tout son être. D’ailleurs, le révolté va plus loin de ce qu’il a toujours accepté dans l’injustice. Il prend les armes, tue, pille et détruit… Ce n’est pas la tête qui réfléchit à ce moment-là, mais le corps.

Je ne parle pas ici des Révolutions de couleurs de type « Maïdan » ni du Printemps arabequi n’étaient rien d’autre que des coups d’État fascistes fomentés, financés, orchestrés par les puissances occidentales, dont les États-Unis et ses suppôts, pour contrer l’influence de la Russie dans certains pays. C’était tout simplement des insurrections nationalistes manipulées voire carrément des mouvements indépendantistes antirusses, ayant pour seul objectif de se soulever contre l’ordre politique établi en vue d’imposer de soi-disant projets émancipateurs pour finalement s’aligner sur un modèle de gouvernance bien défini.

Une vraie révolution sous-entend le désir de bouleversement radical de l’ordre socio-économique, dans une dynamique de changement fondamental, et bien au-delà. Autrement dit, un chambardement total par une puissante volonté de rupture et de réinventions politiques inédites… La ligne révolutionnaire implique non seulement un discours radical, une rhétorique guerrière et un symbolisme pragmatique comportant ses propres orthodoxies mais également une conscientisation généralisée. En ce sens, des dégâts matériels et des pertes en vies humaines seront à déplorer. Dieu seul sait!

Les nombreuses manifestations de rue, jusque-là, motivées par des considérations ponctuelles, sont plus que justes. Les aspirations populaires restent insatisfaites. Le développement économique stagne. L’ombre de la mort va et revient à chaque instant. La situation est dramatique. En désespoir de cause, la révolution reste donc l’ultime recours, la grande secousse fondatrice d’un nouveau monde. C’est le seul moyen de rompre les chaînes de la servitude, du sous-développement et de l’insécurité pour affirmer notre personnalité et notre dignité d’homme libre.

Cependant, il est un peu trop facile de prendre les palabres et les proclamations d’un leader politique qui préfère jouer sur les mots plutôt que de rechercher les voies et moyens  pour aboutir à un véritable soulèvement historique. Le projet de révolution 2.0, née de la prise de conscience de l’état de misère et d’affaiblissement de la population, ne peut être l’affaire d’un homme. Onze millions d’âmes condamnées sont concernées. Et pour rompre avec cette mort incomplète dont ils font face tous les jours et toutes les nuits, les Haïtiens doivent se réapproprier la possibilité de refaire l’histoire.

Un vent souffle. Il souffle du nord au sud et ne pourra pas longtemps être étouffé. Ce qui crée l’étincelle de cette perturbation, c’est le besoin urgent et non-négociable d’un changement durable. Des divisions sont susceptibles de compliquer le développement et l’aboutissement du mouvement. Mais elles ne seront pas insurmontables. Dans l’état actuel des choses, la meilleure alternative est de faire front commun contre l’ennemi.

La véritable révolution à laquelle nous aspirons tous doit commencer dans notre mentalité, dans notre cœur. En effet, il est impératif, dès à présent, de penser Haïti autrement, de parler d’Haïti autrement et d’imaginer le chemin de la nouvelle Haïti autrement. Le peuple haïtien a trop souffert. Il arrive un moment où chaque ineptie doit avoir un début et une fin pour qu’une nouvelle renaissance puisse voir le jour.

Le temps de la nouvelle Haïti est proche. Une nouvelle Haïti avec des femmes nouvelles et des hommes nouveaux. Des femmes et des hommes qui ont Haïti dans le cœur, dans le sang, dans le cerveau et dans l’esprit et qui n’accepteront jamais qu’un homme ou une quelconque entité ou même un État puisse leur imposer quoi que ce soit. La nouvelle Haïti nécessite non seulement la décolonisation mais aussi la responsabilisation. Entendez par-là, nous organiser par nous-mêmes, pour nous-mêmes et pour notre propre destinée. Nous marcherons avec tous les pays qui veulent marcher avec nous et qui nous traitent avec respect. Et nous combattrons ceux qui seront dans une dynamique de nous imposer un agenda qui n’est pas en adéquation avec nos aspirations et nos réalités. Une autre page d’histoire va s’écrire.
Vive la révolution!

mercredi 3 janvier 2024

DE L’INDÉCENCE JUSQU’À L’ÉCŒUREMENT

 

DE L’INDÉCENCE JUSQU’À L’ÉCŒUREMENT 

DE L’INDÉCENCE JUSQU’À L’ÉCŒUREMENT

  • par Heidi Fortuné, Magistrat

Le juge d’instruction conduit les investigations les plus approfondies avant le procès, afin de saisir tous les faits de la cause. Il mène son enquête à charge et à décharge, de manière exhaustive, avec l’ambition de découvrir des indices, en procédant, conformément à la loi, à tous les actes d’informations utiles à la manifestation de la vérité.

Dans le cadre de son instruction, le juge convoque les témoins et les personnes soupçonnées pour être auditionnées ou interrogées en sa chambre d’instruction criminelle, mais non se faire inviter à domicile par ces derniers pour prendre un apéritif et des repas à chaque pause.

On peut déjà supposer une partialité flagrante qui empêchera un examen objectif du dossier. Qu’il s’agisse du Président de la République, du Premier Ministre ou, autres potentats du pouvoir, il faut suivre la procédure indiquée.

Le code d’instruction criminelle ne prévoit pas de telle méthode. Et cela n’aurait aucun sens.

Les articles 400 et suivants sont mal interprétés. Le respect des lois et des procédures est un impératif universel. On a plusieurs exemples sous nos yeux : des péripéties de Donald Trump en passant par les déboires du Premier Ministre israélien Benyamin Netanyahou, sans oublier les démêlés judiciaires de Nicolas Sarkozy et plus récemment la condamnation avec sursis d’Éric Dupond-Moretti, Garde des Sceaux en France…ils ont tous été contraints à se présenter devant les tribunaux, à se soumettre aux actes de procédure et à se plier aux injonctions imposées par la justice parce que tout simplement ils ne sont pas au-dessus de la loi.

En Haïti, le système judiciaire entretient une relation étroite, mais particulière avec le pouvoir politique. Séparée de lui conformément au principe de la séparation des pouvoirs, la justice agit dans le cadre des lois. Cependant, son indépendance est régulièrement questionnée, et mise à l’épreuve face au comportement des acteurs.

La politisation de la justice a toujours posé problème, d’où cette longue tradition de dépendance. C’est la raison pour laquelle le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ) et l’École de la Magistrature (EMA) ont été créés.

Cette évolution était essentielle à la garantie de l’indépendance des magistrats dans la détermination de la poursuite pénale, mais ne résout jusqu’à présent pas la question. Je prends en exemple le dossier de l’assassinat du président haïtien Jovenel Moïse. Je suis incapable de dire quel était l’état d’esprit du magistrat quand il a jugé opportun de se rendre dans la résidence officielle du Premier Ministre pour procéder à son audition à titre de témoin régulièrement cité à comparaitre par-devant lui dans le cadre de l’instruction de cette affaire.

Mais, c’est une vraie honte. Honte à la justice! Honte à nos politiques! J’ignore ce qui a bien pu se passer dans sa tête. Ce que je sais par contre, c’est que ce faisant, il a atteint un degré d’ignominie qui, à coup sûr, laissera des traces pour la suite de sa carrière. J’appelle cela une profanation de l’indépendance de la Magistrature. Ce comportement bas, petit et indécent en dit long sur la personnalité de ce directeur d’enquête et l’ordonnance finale qui en suivra.

Si un juge veut être respecté, il faut déjà qu’il soit respectable. Je ne reproche pas à ce monsieur sa tendance ou son rapprochement avec le pouvoir politique, cela m’indiffère royalement. Je lui reproche ses manœuvres, au demeurant bien risibles dans l’état actuel des choses.

J’ai honte pour la Magistrature et ses dérives dangereuses. Quand on est juge, on doit être au-dessus de tout soupçon, chose qu’à l’évidence il ne comprend pas. Mais il est là, le scandale. Elle est là, l’abomination. Je me contrefous de ses états d’âme et de ses pensées. Je me contrefous de comprendre la syntaxe de son argumentation. Ce qui est certain, son comportement crée des polémiques imbéciles à des fins partisanes.

Il y a franchement des femmes et des hommes qui sèment les ruines et la peine dans ce pays sans même un frisson de gêne. Et consciemment ou pas, le juge a craché au visage de tous les magistrats intègres, a sali la mémoire du président assassiné et a piétiné la douleur de sa famille et de ses amis. Finalement, on ne sait même pas à qui on veut rendre justice dans cette histoire.

Dans toute autre démocratie, une poursuite serait envisagée par la direction de l’inspection judiciaire pour manquement aux devoirs, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité contre ce magistrat.

Je rêve d’une justice qui aura les moyens de ses ambitions et où la Magistrature sera vraiment indépendante; qu’il n’y aura plus de dossiers dits “politiques” et que tous seront égaux devant la loi, pas seulement en théorie, mais aussi en pratique. Impossible me dira-t-on! Je le sais bien. Malgré tout, je continue à faire le même rêve toutes les nuits… pourvu que cela puisse se réaliser, même un peu, demain ou après-demain. Un jour en tout cas.

  • Heidi FORTUNÉ, Magistrat
  • Ancien Juge d’Instruction
  • Cap-Haïtien, Haïti, ce 03 janvier 2024
  • http//: heidifortune.blogspot.com

dimanche 8 octobre 2023

SI LA HONTE TUAIT

 

SI LA HONTE TUAIT

EFFERVESCENCE INTERNATIONALE

Quand on évoque la honte, c’est souvent à la pudeur qu’on pense aussitôt. Mais, après moult constats en rapport avec le comportement de certains dirigeants haïtiens, il semblerait que la honte n’a rien à voir avec la pudeur. Cela fait déjà plus d’un mois que la population dans le nord-est d’Haïti se bat pour leurs droits souverains et légitimes contre les autorités dominicaines. L’objet du litige: un canal! Le gouvernement haïtien s’est enfermé à double tour dans un mutisme absolu et s’est couché, malgré l’arrogance et les propos inacceptables du voisin. Se taire est complice. Et le silence est pire que la trahison.

D’emblée, j’admets que je ne dispose pas de toutes les informations auxquelles ont accès les autorités étatiques, et que je ne suis pas au fait des subtilités entourant le traité bilatéral signé entre mon pays et la République Dominicaine sur l’utilisation, par les deux antagonistes, de la rivière qui traverse les deux territoires. Je ne connais pas non plus les considérants ni les attendus qui motivent le texte officiel. Mais, en l’état actuel des choses, je me sens profondément offensé et choqué par l’attitude du Premier ministre haïtien face à l’insolence et au manque de respect du Président dominicain envers le peuple haïtien.

Les initiateurs de la construction de cette voie d’eau artificielle qui va desservir les habitants de la plaine de Maribaroux, ne reçoivent, jusqu’à présent, aucune aide venant du Locataire de la Primature si ce n’est des dons collectés entre frères et sœurs haïtiens dans un élan de patriotisme retrouvé, comme jamais auparavant. Celui-ci ignore tout bonnement les appels au secours de ses concitoyens laissés sans assistance, au beau milieu d’un conflit international complexe. Sa passivité et son inaction ne surprennent pas. Mais sous d’autres cieux, en d’autres lieux, je vous le dis, il aurait été tout simplement exécuté pour trahison.

Chef du gouvernement, comment pouvez-vous rester les bras croisés pendant qu’un pays hostile masse ses troupes à votre frontière sous la menace d’intervenir militairement pour stopper la construction d’un ouvrage érigé sur votre sol? Et que dire des propos inamicaux et racistes de la part d’officiels dominicains? Non, M. Abinader, je n’ai pas honte de mon pays, Haïti. J’ai honte de ses dirigeants dont le comportement indécent porte atteinte à la conception que nous, haïtiens, avons de la manière dont un gouvernement responsable devrait se comporter envers ses citoyens, conception fondée d’ailleurs sur notre propre Constitution.

Le peuple haïtien est dans ses bons droits et il lutte, à juste titre, pour des principes inhérents à sa souveraineté. Malédiction, à vous traîtres, traîtresses, tenants actuels du pouvoir qui rampez à plat ventre, pour aller demander pardon! Je ne sais pas combien de séries d’excuses ni combien d’années, vous seront nécessaires pour réparer ce déshonneur, refaire des ponts et établir une certaine confiance – jusque-là jamais gagnée – car présentement, vous êtes mal barrés. Heureusement pour vous, la honte ne tue pas, sinon nos cimetières seraient remplis de vos cadavres.

dimanche 6 août 2023

 

NI OUBLI…NI PARDON!


NI OUBLI…NI PARDON!

Haïti a une histoire fascinante. C’est l’une des nations les plus fières au monde. Malheureusement, sa trajectoire a été tragiquement sabotée par les actions des puissances étrangères. Tout au long de ses 220 ans d’existence, le pays a connu une suite de déboires invraisemblables marqués par les assassinats politiques, les coups d’État, la corruption, les opérations secrètes et les complots commandités par la France, par le Canada, et par les États-Unis qui ont mis en place un système de prédation économique sauvage à son encontre dans l’unique but de prolonger leur domination financière et géopolitique. Surnommée à juste titre: la Perle des Antilles, Haïti était en effet cinq fois plus riche que la Chine en 1960. En plus de ses mines d’or, elle produisait dans le temps, environ 60% du café et 50% du sucre, vendus à travers le monde. Comment diable, un pays qui possédait autant de richesses autrefois, soit-il si pauvre aujourd’hui? Ils lui ont carrément tout pris. Ils l’ont pillé et, aujourd’hui encore, ils continuent à le sucer jusqu’à la dernière goutte de sang. Ceci n’est pas seulement de la méchanceté, mais de la pure cruauté. C’est également l’une des injustices les plus répugnantes de l’histoire de l’Humanité. Et dire que des traîtres ont collaboré avec les prédateurs. Un ancien premier ministre, dans un spectacle fantasmagorique digne d’un esclave à talents sur le perron de l’Élysée eut à dire devant son maître Jacques Chirac qu’il n’y avait aucune base légale à la demande de restitution de la dette de l’indépendance réclamée par le gouvernement haïtien en 2003 et qu’on y renonce. Comment oublier ce président du Conseil Électoral Provisoire qui a manipulé, et a falsifié le résultat des élections présidentielles de 2011 sur demande des États-Unis? Les abus impérialistes sont en fait les véritables racines de la misère et du déclin économique d’Haïti. Souviens-toi et ne pardonne pas, peuple haïtien!

Actuellement, on parle d’envoyer des troupes sur le territoire national afin d’aider à rétablir la sécurité. L’enjeu du moment est d’alerter les compatriotes sur l’ampleur de la conspiration préparée secrètement contre le pays. Cela participe à faire émerger l’idée que les Haïtiens ne peuvent pas se prendre en charge et qu’ils ont besoin d’un tuteur. Comme quoi, près de vingt mille policiers professionnels dont des unités spécialisées, bien entrainées et vachement équipées, ne sont pas capables de venir à bout de quelques bandits squelettiques. Et pourtant, le problème pouvait être résolu avec le seul soutien de la population. Pour preuve, l’insécurité avait un certain temps totalement disparu avant de recommencer à défrayer la chronique. Des éléments de la société civile, des journalistes, des professionnels de métier sont enlevés. Un véritable cri de colère pour certains, un cri d’alerte pour d’autres. Cela fait deux ans qu’on laisse prospérer cette activité dans la capitale haïtienne où les gangs armés règnent en maître et seigneur. Ils font et défont à leur guise avec la complicité des autorités étatiques et sous le regard bienveillant de la communauté internationale. Le phénomène s’est radicalisé et a même évolué depuis que le gouvernement a interdit à la population de donner la chasse aux bandits. La remobilisation s’avère donc nécessaire et urgente, c’est le seul remède capable de guérir la maladie. Il faut que le mouvement recommence et s’amplifie, mais de façon bien ordonnée. Qu’on ne s’y méprenne pas! L’insécurité est un peu comme un chien couché, il devient dangereux dès qu’on lâche la bride. Les derniers événements montrent que cette bride a été lâchée. Dans la situation actuelle, il y a plus important que le droit et les conventions internationales, c’est la survie de la nation haïtienne et de chaque citoyen haïtien qui est menacée. On n’oubliera pas les victimes, on ne pardonnera jamais à leurs bourreaux!

 Neque remissionem, neque oblivionem. Ainsi soit-il!

 

 Heidi FORTUNÉ

 Cap-Haïtien, Haïti, ce 04 août 2023

mardi 30 mai 2023

Sans Langue de Bois ni Xyloglossie

 


Sans Langue de Bois ni Xyloglossie

SANS LANGUE DE BOIS NI XYLOGLOSSIE

Il est des pays contre lesquels le malheur semble s’acharner. Haïti en est, hélas, l’un des tristes exemples. De l’asservissement à l’insurrection, les esclaves haïtiens chassent les colons français et fondent leur propre nation. Le monde occidental, en particulier, les États-Unis d’Amérique, la France, l’Angleterre et l’Espagne feront payer cher sa témérité pendant des générations à la première République noire, pour avoir osé se rebeller. Ils ne reconnaîtront pas son indépendance qu’ils considèrent comme un mauvais exemple pour leurs propres esclaves et feront tout pour la rendre instable. Et depuis, c’est le chaos politique, le marasme économique, la mise sous tutelle, le pillage des richesses, le vol, la corruption, la mauvaise administration, ajouter à cela, les multiples catastrophes, à répétition, liées aux phénomènes climatiques. Le destin a toujours été cruel avec le peuple haïtien.

Privée d’État et d’élite, pillée par les étrangers et trahie par ses propres fils, Haïti est un pays martyr. Et, de soi-disant amis de la communauté internationale portent une part énorme de responsabilité dans le désastre. Aujourd’hui, on a le sentiment de vivre dans un territoire délaissé des pouvoirs publics au profit des bandes armées. Combien de personnes vivent encore chez elles à Port-au-Prince? Combien ont quitté leurs domiciles pour ne pas se faire massacrer? Des quartiers et des villages se vident chaque jour au rythme des avancées alarmantes de bandits. Le gouvernement laisse faire, les médias grand public se taisent carrément. La population est livrée à elle-même. Les citoyens sont aux abois. Partout, c’est la peur et le désespoir. Même les Nations Unies se désolidarisent. Et soudain, comme à chaque fois quand ça va mal, se met à dégager une énergie collective plus entrevue depuis longtemps… Le peuple crée un mouvement spontané de résistance consistant à traquer et tuer les bandits.

Les avantages que cette réaction populaire apporte ne sont pas à ignorer. Non seulement elle soutient une cause morale qui est d’éradiquer le banditisme, mais aussi, elle se justifie comme de facto une expression de souveraineté populaire. Toutefois, ceux-ci sont moindres par rapport aux dangers qu’elle peut engendrer, vu son caractère inique et illégal. Il est prescrit: ”Nul ne peut se faire justice lui-même”. Dans toute société démocratique, l’État monopolise le pouvoir de punir en interdisant toute forme de justice privée étant tenu de garantir le droit à la vie (art 3 DUDH). Mais, qu’en est-il lorsque ce même État manque à son obligation et à sa responsabilité? Que doivent faire les citoyens quand, de connivence, le gouvernement s’abstient de prendre des mesures pour prévenir et punir les bandes de malfaiteurs? Quand tout va mal, il n’y a pas trente-six solutions, c’est la révolte générale.

Certains diront que la justice populaire ne doit, en aucun cas, se substituer à l’autorité judiciaire. La vérité c’est que l’autorité judiciaire haïtienne n’a pas la confiance du public. On oublie trop vite les horreurs commises par les brigands. Des policiers coupés en petits morceaux, des personnes décapitées, une famille brûlée vive un dimanche matin, des femmes et de jeunes filles violées, les enlèvements contre rançon devenus de simples faits divers… Chaque jour, on attend sans espoir, se demandant instamment: à quand son tour, car au bout du compte, personne n’est épargné. Non, la réaction de la population n’est pas de la barbarie par rapport aux violences qu’elle a subies des gangs, ces derniers temps. Face aux ennemis qui menacent son existence, le peuple haïtien doit s’unir à chaque fois et il n’appartient à personne de lui dicter sa réaction.

Par contre, la tendance actuelle consistant à exécuter une personne sous prétexte qu’elle est de mèche avec les bandits présente un danger pour celle de qui elle émane: la société. C’est une orientation inquiétante qui se doit d’être arrêtée sinon, elle risque de devenir une pratique incontrôlable. Si au départ, la réponse des citoyens est perçue comme un moyen d’autodéfense et un message adressé aux apprentis délinquants et futurs hors-la-loi, elle ne doit pas cependant aboutir à l’anarchie. Qu’on le veuille ou non, il y aura une nouvelle Haïti fondée sur l’ordre et la justice. Les signes et les messages ne laissent aucun doute. Les choses vont changer, nous en sommes certains. La situation d’aujourd’hui n’est pas une fin en soi, mais un moyen de nous projeter vers un égrégore spirituel pour parachever la recomposition d’un nouvel ordre politique, économique et juridique. Quoique marginalisée et dominée, Haïti reste un mythe. Et la renaissance viendra inexorablement!

  • Heidi FORTUNÉ
  • Cap-Haïtien, Haïti, ce 22 mai 2023

lundi 10 avril 2023

LES VOYOUS DE LA RÉPUBLIQUE

 

LES VOYOUS DE LA RÉPUBLIQUE

Haïti est un territoire qui étonne toujours. Après avoir glorieusement vaincu l'armée de Napoléon sur les champs de bataille, nous affranchissant par ainsi du joug infernal du colonialisme, le Président Jean-Pierre Boyer, militaire endurci et général de son état, accepta de payer l'indemnité exigée par la France esclavagiste pour reconnaître l'indépendance d'Haïti. Le pire dans tout cela, c'est que pour acquitter, nous avions dû emprunter de l'argent à la France elle-même. Vous avez eu tort mon général. Tout d'abord parce que le paiement de cette dette honteuse a appauvri le pays, ensuite et c'est le plus important, près de deux cents ans après cette absurdité monstrueuse, on se rend compte que les traumatismes qui ont marqué notre existence n'ont pas servi à nous fortifier et nous rendre meilleurs.

Depuis l'indépendance et jusqu'à aujourd'hui, nous avons le génie d'inventer le machiavélisme politique que même les plus grands spécialistes de la politologie nous envient. Comble d'humiliations, le héros de la guerre de 1804 devenu président est parti pour l'exil à...Paris où il y meurt finalement. Voyez! Nous faisons toujours tout et son contraire en même temps. L'exemple de Boyer est un parmi tant d'autres. C'est donc au pluriel que les voyous se comptent en Haïti. On les retrouve surtout dans la justice, dans la presse, dans  l'église, dans la politique. Tout cela n'est pas très réjouissant et c'est même angoissant.

Parlant de la justice haïtienne, c'est dans les faits un service public sans services, compte tenu de l'indigence de ses moyens, son absence d'impartialité, la misère financière et documentaire de ses tribunaux, l'insuffisante formation professionnelle et morale des Magistrats en raison de la façon dont ils exercent leur office. Le juge n'a pas à s'écarter de la loi ni de sa conscience dans sa prise de décision. Pourtant, c'est le contraire qui est vrai. Dans la majorité des cas, tout se résume à une question d'argent. Bref, la cause est entendue.

Sans les nommer, on compte de très grands journalistes et analystes politiques en Haïti, des hommes de culture, des professionnels de haut calibre. Malgré tout, c'est un métier qui disparait de jour en jour. Il y a de ses voyous dans la presse en vérité. Des aventuriers qui prostituent à petit feu le journalisme haïtien. Quand ils ne s'alignent pas au côté du pouvoir ou des nantis, ils s'affichent fièrement avec les bandits. À cause d'eux, des âmes innocentes sont victimes et les scandales sont de plus en plus dévastateurs. Ils utilisent abusivement leur micro pour s'enrichir honteusement et donner des contre-vérités permanentes en diffusant de fausses informations. Comment un journaliste notoirement connu peut-il être associé ou même ami avec un chef de gang? Vous êtes tout simplement dégoûtants,  messieurs, et le pays en a marre de vous au même titre que certains membres du clergé. Qui, sain d'esprit, continuerait d'écouter ces prêtres défroqués et ces pasteurs à la noix qui, sans crainte de Dieu, s'adonnent à la contrebande d'armes et de munitions contribuant ainsi à semer le deuil au sein la population? Vous êtes déjà condamné à l'enfer mon révérend.

On n'a actuellement que des traîtres au sommet de l'État. Il y a une véritable soumission au dictat de l'international. Difficile de nos jours de trouver un politique prêt à ne pas plier l'échine. Le pays vibre depuis deux ans au rythme de l'insécurité. De bévues permanentes aux déclarations alambiquées, si des territoires sont effectivement perdus, alors il faut endosser son incapacité comme on endosse ses vertus...avec fierté. Malheureusement, à quelques-uns, ignorance et arrogance tiennent lieu de grandeur. Et dire qu'à chaque fois, nous permettons à ces gens de fuir le pays.

Rares sont les dirigeants ayant été chassés du pouvoir à ne pas rendre des comptes de leurs crimes envers leur peuple. Ceux qui se cramponnent aujourd'hui au pouvoir à Port-au-Prince, sans feuille de route ni projet de société et au-delà du raisonnable, doivent réfléchir. Qu'ils ne se trompent pas! Lorsque la rue sera transformée en révolution, ils seront lâchés par le parrain. La justice haïtienne étant ce qu'elle est, vous ne serez sans doute pas jugés mais vous aurez une fin de vie solitaire et vous serez décédés dans le déshonneur et l'indignité nationale, peut-être même comme certains... loin de votre pays.

Haïti a effectivement besoin d'un docteur pour l'aider à sortir du coma profond dans lequel il est plongé, mais pas d'un politicien déséquilibré, gardien de ses seuls fantasmes. Nous devons, dès à présent, penser à virer tous les voyous, faisant ou non l'objet de sanctions, et faire le grand ménage une bonne fois pour toutes, pour ensuite reconstruire une convention sociale entre Haïtiennes et Haïtiens, viable pour tous.

Cap-Haïtien, Haïti, ce 10 avril 2023

Heidi FORTUNÉ

dimanche 12 mars 2023

 

SOYEZ TOUS MAUDITS!

Il m'est très difficile d'écrire sur la justice haïtienne ces derniers temps. C'est un paysage que je connais sans vraiment le connaitre, que j'aime sans avoir vraiment envie d'y retourner, que je respecte par principe, tout en déplorant les dérives, lesquelles me désolent et me révoltent à la fois. Malgré tout, je suis et je demeure un Magistrat inflexible. Dès mon adolescence, j'ai éprouvé envers cette profession une tendresse impossible à réfréner, un élan venu du cœur où se mêlent la grandeur et le désir de servir. Tout au long de mon parcours, j'ai toujours ressenti en moi, après chaque décision prise ou ordonnance rendue, cette tranquillité d'esprit, cette singularité automatique d'avoir rendu justice à qui justice est due et cette fierté d'être le chaînon d'un système qui, malgré ses heurts et ses malheurs, continue encore d'exister.

À mes yeux, être Magistrat n'est pas synonyme de pouvoir ou de richesse, loin de là... C'est plutôt une manière d'être, de se tenir à la fois hors de l'histoire et en même temps en son centre, de demeurer en toute circonstance une sorte de vigile, de scrutateur des textes de lois, de sans cesse brandir le flambeau de l'éthique et de la conscience afin de faire briller autant que possible l'espérance et la droiture. Quand on se réclame co-dépositaire de la souveraineté nationale, on ne transige pas avec la loi, on ne s'amuse pas à détruire le pays, à tuer le rêve de la jeunesse,  à patauger dans la corruption et contrôler des bandes armées ou autres furies diaboliques au profit de l'international.

Aujourd'hui, la Magistrature n'existe que de nom. Le CSPJ est un véritable foutoir et ses membres ne sont, pour la plupart, que de vils corrompus. Honte à vous tous, responsables de mon pays! Que vous soyez de l'Exécutif ou du Judiciaire ou même anciens parlementaires de la dernière législature. Quel effet ça vous fait d'avoir trahi la patrie, d'avoir comploté avec des puissances étrangères, d'avoir assassiné un Président en fonction, peu importe que ce dernier s'était écarté du droit chemin? Quelle fierté vous en tirez, à massacrer des policiers et des journalistes, à armer des gangs sans pitié, à violer des jeunes filles, à kidnapper d'honnêtes citoyens et même des enfants devant leurs établissements scolaires... si ce n'est pour rendre le pays invivable au profit de tiers? Vous êtes trop lâches pour avouer que vous avez fait erreurs. Vous touchez le fond mais vous creusez encore. Au nom des victimes, je vous maudis! Et j'appelle sur vous la malédiction et la colère divine. Puissiez-vous mourir dans des tourments atroces et que les vers de terre, sachant vos iniquités, refusent de manger vos chairs empoisonnées!

Vous avez tué la justice et maintenant vous voulez tuer Haïti. Mais aussi dérisoire que puisse apparaître cette formule, nous ne vous laisserons pas faire. Et je vous préviens d'avance, je me fous complètement de savoir mon sort. Haïti d'abord! Et malheur aux traîtres!

Cap-Haïtien, Haïti, ce 12 mars 2023

Heidi FORTUNÉ