lundi 17 juin 2013

LE CAUCHEMAR CONTINUE

LE CAUCHEMAR CONTINUE

L’imagination créatrice, le changement des organisations, l’évolution des mentalités devraient être les préoccupations premières des hommes de responsabilité. Le monde évolue mais rien ne semble évoluer dans le quotidien judiciaire haïtien qui déçoit un peu plus chaque jour le citoyen lambda et les pauvres gens. La façon dont la Justice est brocardée par les plus hautes autorités gouvernementales constitue un véritable sujet d’alarme. Même s’il n’est pas récent, le phénomène est inquiétant quand, à cette institution fondamentale de la République, de la démocratie et de l’État de droit, les coups sont portés par  ceux qui sont précisément en charge de la faire respecter. Depuis la nuit des temps et jusqu'à présent, il n’existe chez nous aucun pouvoir judiciaire réellement indépendant à la fois de l’Exécutif et du Législatif, si ce n’est…dans les mots. Les Magistrats haïtiens ne jouissent d’aucune autre légitimité démocratique : seulement de celle, technique procurée par le diplôme d’une école.

La Justice haïtienne ne souffre pas seulement des maux de son manque d’indépendance et de moyens. Elle souffre aussi  de trop d’impunité de certains Magistrats. Le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ) montre son incapacité à juger les Magistrats fautifs…pour ne pas dire coupables. Rien n’a changé. On connait les Commissaires du Gouvernement qui rançonnent les justiciables et collaborent étroitement avec les narcotrafiquants. Le Ministère de la Justice est non seulement complaisant avec les copains mais continue également à tolérer au sein de l’appareil judiciaire les Magistrats ayant fauté, faisant par ainsi la promotion de la corruption au détriment de l’honnêteté et de l’intégrité.

Ils sont nombreux ces derniers temps, les vilains qui portent la toge et la toque ! Ils font la pluie et le beau temps et rendent la Justice non pas selon la loi mais selon l’argent. Ces comportements récurrents, mercantiles et manifestes, même quand ils ont des conséquences insupportables, suscitent la réprobation et créent des scandales, ne donnent lieu ni aux réprimandes ni au renvoi. Facile, trop facile ! Un Ministre qui ne fait pas son travail correctement doit être renvoyé de tout gouvernement sérieux. Haïti est le seul pays au monde où le Magistrat qui s’adonne à la corruption, au lieu d’être écarté et sanctionné, est récompensé. N’importe quoi !

Nous ne cachons pas notre exaspération car la coupe est pleine. Il faut un véritable assainissement au sein de l’appareil judiciaire y compris du Ministère de la Justice. La Magistrature est au bord de l’apoplexie et le cauchemar continue : vingt-deux (22) mois d’arriérés de salaire depuis l’entrée en vigueur, le 20 décembre 2007, des lois sur la réforme  judiciaire, le salaire réel tel que prévu par l’article 48 de la loi portant statut de la Magistrature, la certification et le renouvellement du mandat des Juges, absence de moyens principalement pour les Magistrats Instructeurs, fer de lance de l’enquête criminelle…et une réévaluation en hausse de leur salaire actuel assorti d’un budget annuel de fonctionnement, la refonte des codes, l’informatisation des Tribunaux, la révision de la garantie d’assurance, la formation sans interruption et la spécialisation des Magistrats… Afin  que nul n’en ignore et n’en prétexte cause d’ignorance.

Il se confirme tous les jours aux yeux de la communauté internationale que la justice rendue chez nous fait figure de mauvaise plaisanterie, avec des Magistrats incompétents et corrompus, des codes de lois désuets et des procédures à la fois scabreuses, marrantes et abracadabrantes. Pendant que l’actuel gouvernement clame haut et fort que «  Haïti is open for business », la justice  « is out of record ». On a parfois l’impression qu’il suffit de dire une chose, bonne ou mauvaise, dans un sens donné, pour être automatiquement considéré comme un chevalier blanc. Déclarer le pays ‘’ouvert aux affaires’’ n’a rien d’infamant, tout au contraire mais cela ne suffit pas à conférer de médailles ni l’hermine du bon sens à son instigateur. Cela manque de sel. Les consciences normales et non subversives apprécieront le slogan, l’intention et la démarche mais les investisseurs étrangers ne sont ni dupes ni naïfs pour croire que les Tribunaux rendent la justice en Haïti.

Il revient donc au Président de la République, et à lui seul, en sa qualité de garant de la bonne marche des institutions étatiques, de mettre fin à ce cauchemar sans fin en prenant les mesures qui s’imposent sinon il augmentera la longue liste noire des Chefs d’État qui, par leur allure faussement désinvolte voire légère, ont affaibli le système par peur de se voir,  un jour, obligé de lui rendre compte.


Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haitien, Haïti, ce 17 juin 2013