mercredi 23 mai 2007

LA JUSTICE MISE EN ACCUSATION...

LA JUSTICE MISE EN ACCUSATION...
Par Me Heidi Fortuné

La justice haïtienne ne constitue pas un corps complet de préceptes absolus et immuables. Ce n’est pas à dire que le système ne reconnaît pas l’existence de certains principes mais les règles destinées à organiser et à développer ces principes ne sont guères respectées ou tout simplement présentent un caractère assez contingent et surtout très variable selon que vous serez riche, puissant ou misérable, noir, mulâtre ou blanc.

En choisissant le chemin du Droit, englobant la Magistrature et l’Avocature, nous nous sommes engagé solennellement de comparer, de régulariser et de statuer équitablement devant Dieu et au nom de la république selon les faits et surtout selon notre conscience. Nous avons, pour ainsi dire, une responsabilité envers le plus grand nombre, le monde des défavorisés, des dominés et des exploités, celui des masses populaires, des enfants, des jeunes, des femmes, des paysans et des ouvriers.

En vérité, à quoi cela sert-il d’être Magistrat ou Avocat, si la justice doit continuer à être l’apanage des hommes politiquement et économiquement forts ? Et ne devrait-on pas avoir honte de jouer au super-juriste si la justice doit encore demeurer le privilège de quelques-uns face au constat scandaleux du sort des ‘’ laisser pour compte ’’ ? Et comment peut-on, en tant que disciple de Saint Jude, Saint Yves, Thémis...et autres, rester insensible face à cette situation dégradante dans laquelle s’embourbe de jour en jour la justice haitienne ? Enfin, comment en tant que membre actif du système, se voiler la face devant l’état exécrable de nos tribunaux, le comportement d’affairiste des greffiers, huissiers, policiers et la mentalité viciée des avocats, juges et commissaires du gouvernement qui n’ont pas changé de visage depuis près de deux siècles ? Et on pourrait continuer ainsi à l’infini...

Par le fait de mettre aujourd’hui la justice dans son ensemble en accusation, de plaindre cette race d’élites moyennardes, aventuristes et opportunistes, ces petits agents qui ne rêvent que de corruption, intrigues, méchancetés, tout ce qui rappelle le négativisme, pour quelques avantages pécuniaires et matériels ; oui, par le fait même de s’en plaindre, les mettre à nu et les dénoncer, peut-être arriverons-nous à faire de la justice de chez nous ce que normalement elle devrait être : « une vertu morale qui fait rendre à chacun ce qui lui est dû ».Si on n’est pas capable de poser cette action...où allons-nous ?

Pour l’histoire qui dira aux générations futures ce que nous avons été, ce que la justice a été de notre temps, comment on a assisté comme des lâches à la dégradation de notre système judiciaire et avec quelle passivité on a encaissé les injustices de notre justice, on se doit de réagir pour dénoncer certaines pratiques, on se doit de lutter pour mettre sur pied un nouveau système. A ce moment-là, « Liberté, Egalité, Fraternité » ne sera plus un simple formulaire pour dresser les actes publics mais un cri d’équité et d’honnêteté derrière lequel se cache la justice triomphante.


Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti

Ce 08 Avril 2007

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