lundi 11 juin 2007

JUSTICE: QUELLE RÉFORME ET POUR QUELLE SOCIÉTÉ ?

L'honorable magistrat du Cap-Haïtien, Me Heidi Fortuné, n'est pas un juge instructeur comme les autres. Chaque semaine, il se propose de livrer à ses fidèles lecteurs une communication qui incite à la réflexion. Il refuse de garder le silence devant les injustices constantes des autorités responsables. Il se fait le devoir d'émettre son opinion en tant que citoyen et juriste de surcroît, pour sauvegarder la dignité de sa profession. Cet éminent juriste du Cap fait honneur non seulement à la magistrature, mais aussi à la communauté juridique haïtienne. Le juriste haitien est très fier de ce juge instructeur qui utilise sa liberté d'expression pour denoncer les maux du système juridique haïtien. Me Fortuné, je vous admire pour votre courage et les passionnés du droit continuent à vous supporter... J.M. Mondésir.
Bonne lecture...

JUSTICE: QUELLE RÉFORME ET POUR QUELLE SOCIÉTÉ ?
Par Me Heidi Fortuné

Les conditions de fonctionnement du pouvoir judiciaire restent particulièrement préoccupantes. Si la justice est dans la tourmente, cela doit conduire les autorités politiques, comme les membres de l’ordre judiciaire à repenser leur rôle et à construire leur éthique.
On ne peut admettre que l’exécutif viole délibérément le principe de l’indépendance de la Magistrature, en traitant les juges et notamment les commissaires du gouvernement, avec autant d’irrespects, comme de simples chargés de mission.

On ne peut admettre que des parlementaires prennent d’assaut le ministère de la justice, en dépit du principe de la séparation des pouvoirs consacré par les articles 59 et 60 de la constitution, pour exiger la révocation de Magistrats honnêtes , blanchis sous le harnais, et la nomination de proches, souventes fois incompétents, en dehors des normes d’admission prévues par la loi.
Les politiques doivent cesser de s’immiscer dans les affaires de la justice et arrêter les démarches manipulatrices et les machinations diaboliques.
Nous voudrions souligner par-là, l’importance d’une réforme de l’Etat en particulier et de la société en général dans toutes leurs structures.

Il est inadmissible également qu’un justiciable arrive au tribunal et que la première chose qu’on lui dit ait rapport avec l’argent. Une opération « mains propres » est nécessaire en ce sens.
D’un autre côté, il est tout aussi dangereux d’avoir au sein d’une profession un nombre de plus en plus important de ses membres qui ne peuvent trouver les moyens d’une vie décente dans son exercice.
Cela nous conduit à songer à la situation de certains Magistrats brillants, pour la pupart très jeunes qui, après avoir prêté serment et porté la toge et la toque pendant quelque temps, ont préféré laisser la Magistrature au profit d’organisations leur offrant un salaire intéressant. Qu’on ne les blâme pas ; on doit plutôt questionner l’Etat.
Le citoyen doit respecter l’autorité judiciaire même quand il n’approuve pas sa décision. Il faut se mettre dans la tête que le Juge peut errer comme tout homme.
C’est la raison pour laquelle le législateur a prévu les voies de recours. La société haitienne doit changer de mentalité et amender son comportement envers la justice.
Aucune réforme n’est utile si elle ne s’inspire pas de ces principes de base.
Malheureusement, en Haiti, on n’associe pas les idées selon la logique, mais selon son intérêt.
Que peut-on espérer d’une réforme élaborée par le ministère de la justice uniquement, sans une véritable participation des secteurs vitaux de la vie nationale, principalement des Magistrats et des avocats ?
Il ne s’agit pas simplement de réformer la justice haïtienne mais de corriger ce que nous appelons dans son ensemble : un arriéré judiciaire.
Les perspectives de la réforme restent pour nous peu attrayantes à beaucoup de points de vue et même font naitre quelques inquiétudes. Nous ne voulons pas être pessimiste mais nous avons l’impression que cela va créer une satisfaction bien illusoire.

Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 10 juin 2007