dimanche 13 décembre 2009

NOËL DES MAGISTRATS

NOËL DES MAGISTRATS

La Justice est la pierre angulaire de toute démocratie. Elle représente le levier principal pour le développement de notre pays. Les investisseurs se manifesteront si leur confiance est acquise. Les citoyens évolueront normalement s’ils sont assurés que leurs droits les plus élémentaires sont garantis et le taux de criminalité baissera si des peines exemplaires sont requises et appliquées envers et contre tous ceux qui violent la loi. Les observateurs nationaux et étrangers, les instances financières internationales, les politiciens (toutes tendances confondues) s’accordent sur la nécessité pour Haïti de disposer d’une Justice indépendante et efficace, à la mesure de ses ambitions politiques, économiques et sociales. Mais, cela ne pourra pas se faire avec des codes datant de 1835, un arsenal juridique presque vide et des Magistrats mal entretenus.

Malheureusement, les dirigeants ne sont pas de cet avis. Ils pensent que tous les Juges sont des corrompus et ne méritent pas d’être bien traités. Nous avons au sein de l’appareil judiciaire, tout comme au sein de l’Exécutif et du Parlement des voleurs en toge, des racketteurs en cravate et des pourvoyeurs pour qui les écritures ne sont pas lisibles. Mais, nous en avons également de bons et fiers Magistrats qui instruisent opiniâtrement des affaires délicates et sulfureuses sans peur de prendre à rebrousse-poil quelques grands élus, notables ou criminels notoires. Nous avons des Magistrats insensibles au charme et à l’influence du pouvoir et de l’argent, allergiques aux compromis qui favorisent les carrières. Nous avons des Magistrats qui prennent parfois des décisions très courageuses, au moment même ou d’autres confrères alimentent le flot des positions obscurantistes. Non, il ne faut pas mélanger les torchons et les serviettes. Depuis toujours, la Justice et les hommes qui la servent loyalement ont toujours été discrets, trop discrets peut-être. Pourtant, leur rôle demeure aussi colossal que mal connu et, pour cette raison même, mal reconnu.

Dans la vie, on doit être cohérent dans ce qu’on fait, dit et défend. Si on sait que le remède contre la corruption est indiscutablement la punition ; alors, pourquoi gaspiller de l’argent dans des colloques de stratégie et autres campagnes de sensibilisation ? La solution est là, on n’a pas à enfoncer une porte déjà ouverte. Le véritable problème c’est qu’en Haïti, tout est politique alors que dans d’autres pays, tout est juridique. Nos voisins dominicains viennent de nous donner l’exemple dans le dossier du nommé Amaral Duclona où c’est la Cour Suprême, et non le Ministère de la Justice ou la police, qui a décidé de l’extradition de ce dernier vers la France. Nous haïssons ce que font certaines personnes au nom de la République. Nous condamnons et dénonçons avec force ce qu’est devenue la justice au Cap-Haitien…toutes ces affaires jugées avec parti-pris ou classées sans suite, parce que ‘’selon que vous serez riche ou pauvre…’’

Le puissant et le misérable ne sont plus égaux devant la loi par les temps qui courent. Ceux qui ont de l’argent ou un titre nobiliaire ont toujours raison et ceux qui n’ont ni l’un ni l’autre sont toujours coupables. Seuls les indigents commettent des infractions. Allez faire un tour dans les prisons, visitez les cellules, consultez les répertoires de condamnations et vous verrez. Le plus triste dans tout cela, les décisions de nos tribunaux ne donnent pratiquement pas lieu à débat. Au niveau universitaire, le commentaire ‘’d’Arrêt‘’ semble être passé de mode ; sûrement du fait des difficultés techniques et intellectuelles qu’il soulève. Avouons toutefois que la disparition du ‘’Bulletin des Arrêts’’ de la Cour de Cassation a contribué à cette situation. Ainsi va la Justice !

Nous sommes à quelques jours de Noël, et jamais cette période traditionnellement de fête ne nous a paru commencer de manière plus cruelle ni plus triste pour la Magistrature. 20 décembre 2007 – 20 décembre 2009. Bientôt deux ans depuis la publication des lois portant sur le Statut des Magistrats, le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire et l’École de la Magistrature dans le journal officiel de la République. Deux ans depuis que les Juges attendent impatiemment l’arrivée du Père Noël au Palais de Justice… tandis qu’on réveillonne tous les soirs de l’autre côté du Champ de Mars. Décidément, la Présidence montre une belle constance dans son hostilité aux Magistrats et à la réforme judiciaire. Et, il faut être vraiment aveugle pour ne pas voir ce qui se trame. Triste noël, en vérité, des Magistrats !

Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 13 décembre 2009

samedi 31 octobre 2009

AU BOUT DU LASSO

AU BOUT DU LASSO
Les mensonges, les mauvaises actions ont une odeur. Même quand vous les dissimulez, ils remontent toujours à la surface. Nous respirons chaque jour les puanteurs exacerbées de la corruption et les fermentations imprévisibles des assassins d’État. Ce qui se passe aujourd’hui en Haïti est plus que révoltant. L’équipe au pouvoir est trop clémente avec les voleurs, les corrompus et les criminels. Ailleurs, les déclarations du bandit, interpellé en République Dominicaine par les autorités de ce pays auraient renversé l’ordre des choses. Chez nous, cela est pris comme un fait divers par la classe politique, le Parlement et la société civile. Après avoir entendu tout ce que ce gibier de potence a dit et fait, nous déduisons que le silence du Gouvernement est bizarre, complice…voire coupable.

À force d’encaisser des coups bas ou d’accepter l’intolérable, les citoyens commencent à perdre leur capacité d’indignation. Nous constatons un repli identitaire et culturel chez l’Haïtien. La jeunesse est devenue une période de transition très longue parce que le comportement de nos dirigeants génère chez eux beaucoup de frustrations et de découragements. Sur huit millions d’habitants, sept millions vivent à un niveau de pauvreté inacceptable. Nous ne sommes pas loin d’un séisme social. Nous avons des gens qui ne respectent ni les enfants, ni les jeunes, ni les vieillards, ni les choses, ni les vies, ni les biens, ni les lois, pas même les animaux. Nous sommes à bout ; si on ne fait rien…c’est la nation entière qui s’éteint. Et nous pensons que les choses ne vont bouger d’un iota s’il n’y a pas une réelle prise de conscience et un réveil brutal de la majorité silencieuse. L’enfermement peut être une chose abominable lorsqu’on ne sait pas quand on en sortira.

Depuis son avènement, le Pouvoir en place passe en dérision, humilie, démolit la Magistrature haïtienne. Pourtant, les Honorables Juges…principalement, ceux de la Cour de Cassation, se croisent les bras. Ils n’ont pas le courage de dire au Président de la République : ‘’Écoutez Monsieur, c’est assez’’ ! L’Autre avait raison de dire que « si les citoyens ne se soulèvent pas, c’est qu’ils ne sont pas des Hommes ». L’année dernière, des milliers de Juges ont défilé à travers les rues d’Islamabad (Pakistan) pendant plusieurs semaines pour exiger la réintégration du Président de la plus Haute Cour du pays, révoqué illégalement par le Chef de l’État Pervez Musharaf qui allait perdre son fauteuil par la suite. La Justice haïtienne est à la traîne ; la bête est malade et blessée jusqu'à l’écoeurement…et les Magistrats ne font rien. Nous vivons dans un système où tout le monde a peur de prendre position. Nous sommes indigné à cause du vécu que nous avons sous les yeux. Malheureusement, nous n’arriverons jamais tout seul à changer le cours des choses. La méchanceté des uns et des autres s’oppose à nos aspirations. Nous ne possédons rien à part notre âme et notre personnalité. Mais, nous ne les vendrons pas. Certains Magistrats courent après l’argent, cependant, l’argent ne vaut rien si on ne peut pas se regarder dans la glace. Le respect de soi, c’est la devise la plus parfaite.

Au moment d’écrire ce texte, un policier égyptien, de passage en notre Chambre d’Instruction Criminelle, eut à nous dire, avec une révérence hors du commun, que chez lui, un Juge c’est comme un dieu tant il est respecté et vénéré. En tout cas, c’est le contraire qui est vrai dans notre singulier « petit pays ». Le temps est donc venu pour que le système judiciaire se libère du pouvoir Exécutif. Cela fait près de deux ans que la loi sur l’ajustement de salaire et le statut des Magistrats est publiée, toujours pas de réforme à l’horizon. L’École de la Magistrature (EMA) est réduite à un simple local et n’existe que de nom ; le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ) est jeté aux oubliettes ; les moyens promis aux Cabinets d’Instruction des diverses juridictions sont détournés au profit d’autres entités et à d’autres fins ; les Magistrats attendent leur vingt-deux (22) mois d’arriéré de salaire ; la mobilisation contre la corruption s’évapore dans la nuit...Peut-être qu’il faudra d’autres lois si celles-ci se révèlent si difficiles à mettre en application.

Tout récemment, la Chine a procédé à la pendaison de plusieurs hauts fonctionnaires du régime pour corruption. Aux États-Unis d’Amérique, le milliardaire Bernard Madoff croupit derrière les barreaux pour escroquerie et la CIA est dans le collimateur de la Cour Suprême pour traitements inhumains et dégradants infligés aux personnes accusées de terrorisme. En Europe et dans certains pays d’Afrique, la Justice fait la loi et règne en maître. En Haïti, on doit arrêter cette hémorragie qu’est l’impunité. Les assassins sont là…au bout de notre lasso, nous n’avons qu’à tirer sur la corde pour les neutraliser. Quand les choses vont mal, quand la criminalité fait rage, quand les enfants ne peuvent aller à l’école et que les père et mère sont aux abois, quand le sang se met à couler dans la rue…il y a forcément un responsable, et ce responsable doit aller en prison.

HEIDI FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti,
Ce 31 octobre 2009

dimanche 5 juillet 2009

2009: RIEN DE NEUF

2009: RIEN DE NEUF

En faisant l’analyse de la situation d’Haïti après le premier semestre de l’exercice 2009 : honteux est l’unique mot qui nous vient à l’esprit. Aujourd’hui encore, comme récemment, comme depuis des années…rien de neuf. Nous ne comprenons toujours pas pourquoi les lois sur la réforme judiciaire ne sont pas d’application, deux ans après leur publication. Explication officielle : ‘’Pas de Président à la Cour de Cassation’’. Tiens donc !

Pourquoi depuis tout ce temps, il n’y a pas un titulaire à la tête de la Cour Suprême haïtienne ? Quand les lois de réforme furent votées en 2007, la plus haute instance de la pyramide judiciaire était déjà veuve de Président ; et nous devons croire que c’est à cause de cela que le processus devant déboucher sur la mise sur pied du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ) et le remaniement effectif du système est paralysé ? De qui se moque t-on ?

Beaucoup d’idées fausses circulent sur la véritable nature de la nonchalance des dirigeants à rendre la Justice indépendante et efficace. Nous ne prétendons pas connaître la vérité, nous essayons seulement de comprendre le motif qui les pousse à adopter une telle attitude. Jusqu’à présent, ils refusent de s’expliquer. Mais si on n’a rien à cacher, pourquoi est-ce qu’on a peur de répondre aux questions et donner les vraies raisons ? Et dire que l’on voudrait nous faire croire que les Magistrats sont responsables des malheurs de la Magistrature alors que le simple bon sens dément cette théorie.

La corruption, le trafic de la drogue, le blanchiment d’argent et l’impunité règnent en maître en Haïti. Des Hauts fonctionnaires et des Parlementaires sont indexés dans plusieurs cas de malversation, entre autres : ONA-CNE-MAE. Vous croyez encore que c’est l’absence d’un Président à la tête de la Cour de Cassation qui bloque l’instruction de ces dossiers et empêche aux Magistrats d’avoir un meilleur salaire et des moyens pour mener à bien leur mission ? Vous pensez aussi que c’est cela qui entrave et renvoie aux calendes grecques la réouverture de l’École de la Magistrature ? Vous acceptez que c’est à cause de l’absence du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire que les mandats de plusieurs dizaines de Magistrats ne sont pas renouvelés ?

Pourquoi après deux ans, l’on est encore là ? Pourquoi il faut attendre que les poussières tombent sur les dossiers pour les traiter ? Nous reposons les mêmes questions : De quoi a-t-on peur et pourquoi ? Huit millions de personnes attendent les réponses. L’Exécutif, sur pression de Parlementaires dépourvus totalement de cultures intellectuelle et démocratique, continue à parachuter des individus bassement serviles, de plus, sans qualification au sein de l’appareil judiciaire…Et maintenant, dites-nous si nous n’avons pas raison d’être en colère. Comment voulez-vous qu’un pays soit debout si son système judiciaire est à genou ? Et que faut-il faire pour que les autres Magistrats de la République réagissent enfin ?

Nous savons qu’en Haïti, il n’y a pas assez de place pour des voix dissidentes. Si vous allez à contre sens, vous êtes contre le pouvoir et donc un ennemi. Mais en fait, ce n’est pas de la place qui manque, ce sont les gens prêts à prendre le risque. Si on veut vraiment d’une nouvelle Haïti, il faut prendre des risques. Tous ceux qui tentent de faire changer les choses sont dénigrés, ridiculisés, calomniés ou…assassinés mais qu’importe, il faut se battre. Nos critiques n’apporteront sûrement rien de nouveau concernant la politique de justice du gouvernement mais nous exigeons tout de même des réponses.

Dans toutes les actions importantes de notre vie professionnelle, nous avons toujours été mobilisé par des motifs respectables et conformes à notre idéal fondamental qui est de contribuer à notre manière à rendre la justice meilleure. Nous ne sommes ni un leader ni un révolutionnaire ; nous sommes un citoyen avisé, un patriote né, un Magistrat engagé. Nous essayons de défendre le système judiciaire contre ceux qui l’ont abîmé, violé et pillé.

La situation est terrible mais plus terrible encore est l’absence d’espoir pour nous autres jeunes cadres, amputés, sacrifiés sur l’autel de l’absurdité parce que peut-être deux ou trois personnes n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur une question. Pendant ce temps, le pays souffre, le peuple meurt de faim, la corruption gagne du terrain. Notre déception est à la mesure du fétichisme démocratique dans lequel plusieurs de nos compatriotes ont cru. Cependant, tout n’est pas perdu. Nous invitons donc les citoyens honnêtes et conséquents à veiller à la qualité de leur représentation car une autre Haïti est encore possible.

La justice est retenue en otage depuis plus de deux cents ans par un petit groupe d’individus prêts à tout pour la maintenir à leur merci. Nous sommes en 2009, alors, jeunes de mon pays, universitaires, collègues Magistrats, militants des Droits humains, avocats, journalistes, haïtiennes et haïtiens de l’intérieur ou d’ailleurs, qu’est-ce que vous attendez pour réagir ? Cela ne tient qu’à vous et à vous seul… Exigez des réponses !


Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 04 juillet 2009

mardi 27 janvier 2009

TROP DE VERS DANS LE FRUIT

TROP DE VERS DANS LE FRUIT

Aujourd’hui, certains pensent que Haïti, avec un Président élu au suffrage universel, un Gouvernement, un Parlement , une force de police pour rechercher les auteurs des infractions et des Tribunaux pour régler les conflits sociaux, est une démocratie. Ceux-là qui partagent cette idée se posent très rarement la question du « comment ». Comment fonctionnent toutes ces institutions ?

À travers les trois pouvoirs que sont l’Exécutif, le Législatif et le Judiciaire qui constituent le fondement même de l’État, nous avons une accumulation de comportements qui sont inacceptables. Tenez ! Quand, le plus sérieusement du monde, le Gouvernement fait fi des décisions judiciaires, que dans les couloirs du Parlement on achète des votes ou qu’au niveau des Tribunaux, la justice se vend aux plus offrants…sommes-nous encore en démocratie ?

On peut bien construire des lycées, alphabétiser les masses rurales, former des professionnels par dizaines de milliers; l’Université peut se bien porter, les églises peuvent être bondées, la tempérance peut gagner du terrain, et la connaissance, au sens large, se répandre à pas de géant ; mais tant que la justice sera dans l’état d’abjection dans lequel elle se trouve présentement, on ne pourra compter sur un redressement moral dans ce pays.

Les valeurs morales ne peuvent que régresser et régresseront d’année en année ; le sentiment populaire ne peut que se dégrader d’année en année ; l’Exécutif, le Législatif et le Judiciaire ne pourront, année en année, que se déconsidérer aux yeux des honnêtes gens ; et d’année en année, la mémoire des Pères de l’Indépendance sera toujours plus outragée par la mauvaise foi de leurs enfants dégénérés.

Croyez-moi, l’espoir de voir changer les choses de l’intérieur s’amenuise de plus en plus. Une autre Haïti n’est pas possible pour le moment car les exceptions confirmant la règle de la corruption sont en quantité trop négligeable. Même ceux qui prétendent représenter la population se laissent corrompre… Il y a trop de vers dans le fruit.

Une autre Haïti sera possible quand chacun, avec ses qualités intellectuelles et morales, pourra accéder à n’importe quelle fonction publique sans préalablement ramper et plier le genou. Une autre Haïti sera possible quand le Gouvernement s’engagera à lutter véritablement contre la corruption, en particulier, celle pratiquée aux plus hauts niveaux, et à améliorer la transparence et l’imputabilité.

Une autre Haïti sera possible quand la production nationale sera relancée ; quand le règne de l’impunité aura pris fin ; quand la justice sera indépendante ; quand les parlementaires impliqués notamment dans le narcotrafic et les agents publics corrompus, auteurs de malversations, seront traduits par-devant les tribunaux ; et quand les lois contre la corruption, la drogue et le blanchiment d’argent seront applicables à tous.

Quand tout homme de mérite aura droit à un début de considération, alors nous croirons que nos dirigeants sont en train de recouvrer la raison. Mais tant que les choses restent comme elles sont, qu’un homme seul pose sa main sur toutes les fonctions de l’Etat, de la Magistrature Suprême au simple gardien…rien ni personne ne nous fera croire en des horizons meilleurs.


Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 27 janvier 2009

mercredi 21 janvier 2009

DES MILLIONS SOUS LES TOGES

DES MILLIONS SOUS LES TOGES

La République d’Haïti est en train d’offrir au reste du monde le triste spectacle d’un État en pleine régression morale et démocratique. L’histoire retiendra que c’est en fin 2008 que la corruption a atteint son paroxysme au sein de la Justice haïtienne. Dans un pays où tous les secteurs voient rouge, celui de la Magistrature s’est tristement illustré avec le pillage de plusieurs millions de dollars américains par des éléments de l’appareil judiciaire de Port de Paix. Les informations collectées, jusqu'à présent, mettent en cause principalement un Substitut du Commissaire du Gouvernement qui aurait distribué le pactole de la corruption à ses collègues.

Parmi les corrompus se trouvent quasiment tous les Magistrats de la juridiction, près d’une vingtaine de policiers, des autorités de très haut niveau, et sans surprise, le nom d’un Parlementaire est cité. On ne peut pas laisser la Justice aux mains de prébendiers sans scrupules qui violent les principes républicains au seul profit de leurs poches. Dans cette histoire puante et hideuse, la Justice n’a pas su laver à grande eau l’impureté qui a fini de la maculer. Et le pays ne se remet pas encore de ce scandale.

Les bons ne doivent pas périr avec les méchants, mais en existe-t-il de justes dans l’appareil judiciaire de Port de Paix ? En vérité, s’il y a un seul élément honnête et intègre parmi les Juges, nous pardonnerons à toute la magistrature locale, à cause de lui. Cette histoire nous rappelle étrangement celle de Sodome et Gomorrhe détruites par l’Eternel-Dieu pour s’être livrées, par profusion, au dérèglement des mœurs. Elle nous montre aussi combien la corruption peut contribuer à répandre le crime dans notre société. Déjà, un cadre de l’institution policière ayant goûté au fruit maudit a été empoisonné. Suicide ou homicide ? Nous attendons le résultat de l’enquête.

La somme de trente-deux millions de dollars américains aurait été cachée sous les robes noires des Magistrats suite à une descente des lieux effectuée chez l’oncle d’un narcotrafiquant. Alors que de « petits employés », simples auxiliaires de justice et deux Juges de Paix croupissent en prison, les grands Magistrats et autres autorités civiles et policières ont été épargnés. Paradoxe d’un dossier d’une si grande envergure. Deux poids, deux mesures !

En effet, une véritable mascarade coercitive et un traitement discriminatoire enveloppent ce dossier. Pendant que des personnes présumées corrompues sont placées sous mandat de dépôt à la suite de leur audition par le Parquet de la juridiction de la honte, d’autres ont été seulement mis en disponibilité, voire transférés ou promus au Ministère de la Justice. Au lieu d’appliquer la loi dans toute sa rigueur, ne serait-ce que pour donner un signal fort aux autres Magistrats tentés par des pratiques corruptrices, le Ministère de la Justice a mis la pédale douce. Cette attitude jugée scandaleuse s’apparente à une caution à de tels actes. En ce sens que les véritables fautifs ne sont passibles d’aucune peine.

En lieu et place d’une arrestation après révocation, la pièce maîtresse du puzzle a été tout simplement écartée de la Magistrature, avec la latitude d’aller jouir des millions qu’il a détournés, volés et pillés. Pendant ce temps, le Chef du Parquet, grande figure de la corruption à Port de Paix, contre qui sont tenues des déclarations fracassantes et accablantes, est muté au Ministère de la Justice…une sorte de retraite anticipée qui lui permettra de garder tous ses avantages liés à sa, désormais, ex-fonction de Commissaire du Gouvernement et de jouir de son argent en toute quiétude.

Le Ministère de la Justice n’est pas un repère de voyous ; et nous insistons pour dire que les auteurs, co-auteurs et complices du pillage des billets verts doivent être arrêtés et traduits devant les Tribunaux afin de les empêcher de profiter des fruits de leur kleptomanie. La corruption à grande échelle pratiquée par des personnes occupant des postes élevés dans la Magistrature peut, non seulement, avoir des effets dévastateurs sur la démocratie, la primauté du droit et le développement économique et social mais, elle peut aussi saper la confiance des justiciables, empêcher l’investissement étranger et miner le paysage judiciaire haïtien dans sa globalité.

Franchement, l’attitude des responsables du Ministère de la Justice est un autre scandale dans ce Scandale. Beaucoup d’incohérences sont notées dans la gestion du dossier. Malheureusement, c’est à chaque fois que ces genres de situation arrivent qu’on se rend compte de l’importance du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire créé par la loi du 20 décembre 2007, publiée dans le Journal Officiel de la République et non appliquée, jusqu'à date, par le Gouvernement. De toute façon, nous sommes là, et nous suivons pas à pas cette saga en attendant qu’elle nous révèle d’autres secrets, d’autres déceptions et d’autres… laideurs !

Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 20 janvier 2009