mardi 22 mai 2007

QUI EST CENSÉ CONNAîTRE LA LOI ?

QUI EST CENSÉ CONNAÎTRE LA LOI?
Par Me Heidi Fortuné

A cette question, on répondra bien évidemment : les Magistrats en tout premier lieu ; viendront ensuite les avocats, les autorités politiques, les membres de la société civile organisée...jusqu’au simple citoyen.

Et, on n’aura pas tort. D’ailleurs, comme dit le vieux dicton : « nul n’est censé ignorer la loi».
La plupart des auteurs s’accordent à voir dans cet adage une règle de droit positif. La loi a force obligatoire pour tout le monde, même pour ceux qui ne la connaissent pas. On ne peut dès lors échapper à son application en prétendant l’ignorer, ou en soulevant l’argument du double sens ou de l’imprécision. Mais, cela ne veut pas dire que tous les citoyens doivent connaitre toutes les lois. Normalement, il devrait y avoir des exceptions : les mineurs et les déments par exemple.
La conséquence de cette règle, qui veut que personne ne puisse prétendre à l’ignorance du contenu de la loi, est que l’autorité qui l’édicte doit veiller à ce que toutes les personnes concernées soient informées.

Elle ne peut réclamer obéissance à une loi qu’elle n’a pas communiquée. Ce serait allé à l’encontre d’un principe d’équité tout à fait élémentaire. Donc, afin que nul n’en ignore et n’en prétexte cause d’ignorance, l’Etat doit, au minimum, faire la publicité de chaque nouvelle prescription adoptée, soit par annonce, affiche, débat ou film cinématographique.
La manière dont les lois sont rendues publiques n’est pas le même partout. En Haiti, une loi ne trouve son application qu’à la condition d’être publiée au Moniteur, le journal officiel de la république.

Maintenant, la question est de savoir : est-ce que la publication d’une loi au Moniteur a pour but de porter cette loi à la connaissance du public ?
Notre point de vue n’est pas d’intervenir dans ce débat mais d’aborder l’obligation pour l’autorité d’informer la population de la législation en vigueur et des règles qu’elle édicte. Car, on ne peut sanctionner quelqu’un sans qu’il n’ait jamais été prévenu de la règle à respecter.
Nous prenons un exemple banal mais qui a toute son importance dans le contexte haitien où les faits divers peuvent souvent se dégénérer en "Affaire d’Etat" et engendrer des crises dont les conséquences sont incalculables pour l’apprentissage démocratique que notre pays est en train de vivre.

Les panneaux et les feux de signalisation sont censés réglémenter la circulation et faciliter la vie à tous dans une communauté. Une rue est à sens unique, le service de la circulation est supposé placer un panneau ou tout signe connu des conducteurs et automobilistes indiquant clairement la direction autorisée dans cette artère. Mais, si ceci n’est pas fait et clairement fait, le citoyen peut, avec raison, prétendre ignorer cette disposition de la circulation.

Nous allons plus loin et vous allez aussi constater par vous-même que c’est très grave.
Saviez-vous que même les Magistrats n’ont pas à leur disposition certaines lois internes publiées, voire les accords internationaux votés et ratifiés ?

Nous citons : la nouvelle loi sur la circulation, la nouvelle loi sur la police d’assurance, la nouvelle loi sur la matricule fiscale, le nouveau décret sur le viol, le nouveau décret sur le kidnapping. Les deux derniers sont entrés en vigueur depuis plus d’un an, pourtant, les magistrats de la juridiction du Cap-Haïtien ne les possèdent pas encore. Ils sont obligés de s’adresser souventes fois à la section justice de la Minustah pour s’en procurer une copie.
Et ça fait pitié !

Depuis toujours, les Magistrats achètent leurs outils de travail, depuis la papeterie...jusqu’aux codes de lois. Ils se les procurent dans leurs poches et à prix fort. Jamais de courtoisie, aucune élégance du ministère de la justice ni même du gouvernement.
Les Magistrats se cassent la tête, parfois, se font humilier devant des cabinets d’avocats pour avoir un « Arrêt » rendu par la Cour de Cassation. Même le livret de la constitution de la république n’est pas disponible au ministère de la justice...pour les Magistrats. De la pitance qu’ils recoivent comme salaire, ils sont obligés d’acheter des ouvrages juridiques et autres... pour améliorer leur performance et tenir tête aux plaideurs.

Ces quelques illustrations démontrent éloquemment qu’en Haïti le principe «nul n’est censé ignorer la loi » n’est qu’un simple verbiage juridique dont les autorités concernées en font peu de cas. Mais tout de même, nous avons pour obligation de souligner à leur attention que la connaissance de la règlementation est essentielle, et pour les acteurs judiciaires, en l’occurence les Juges, et pour les sujets de droit, les justiciables. Il n’y aurait plus aucune sécurité juridique si quelqu’un devait être lié à des normes qui ne sont pas rendues publiques.

N’est-ce pas vrai que Dieu a écrit ses dix commandements dans la pierre, donnant l’ordre à Moïse de les porter à la connaissance du peuple élu ?
Vivement l’ancien droit !

Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 20 Mai 2007

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