lundi 5 février 2024

RÉVOLUTION POUR UNE NOUVELLE HAÏTI

 

RÉVOLUTION POUR UNE NOUVELLE HAÏTI 

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RÉVOLUTION POUR UNE NOUVELLE HAÏTI

Albert Camus définit la révolution comme “un mouvement où l’opprimé considère que son oppression va trop loin”À mon humble avis, cela suppose que le sentiment de révolte est d’abord nourri de tripes et de cœur avant d’être intellectualisé ou médiatisé. Le soulèvement soudain est une explosion de soi, de tout son être. D’ailleurs, le révolté va plus loin de ce qu’il a toujours accepté dans l’injustice. Il prend les armes, tue, pille et détruit… Ce n’est pas la tête qui réfléchit à ce moment-là, mais le corps.

Je ne parle pas ici des Révolutions de couleurs de type « Maïdan » ni du Printemps arabequi n’étaient rien d’autre que des coups d’État fascistes fomentés, financés, orchestrés par les puissances occidentales, dont les États-Unis et ses suppôts, pour contrer l’influence de la Russie dans certains pays. C’était tout simplement des insurrections nationalistes manipulées voire carrément des mouvements indépendantistes antirusses, ayant pour seul objectif de se soulever contre l’ordre politique établi en vue d’imposer de soi-disant projets émancipateurs pour finalement s’aligner sur un modèle de gouvernance bien défini.

Une vraie révolution sous-entend le désir de bouleversement radical de l’ordre socio-économique, dans une dynamique de changement fondamental, et bien au-delà. Autrement dit, un chambardement total par une puissante volonté de rupture et de réinventions politiques inédites… La ligne révolutionnaire implique non seulement un discours radical, une rhétorique guerrière et un symbolisme pragmatique comportant ses propres orthodoxies mais également une conscientisation généralisée. En ce sens, des dégâts matériels et des pertes en vies humaines seront à déplorer. Dieu seul sait!

Les nombreuses manifestations de rue, jusque-là, motivées par des considérations ponctuelles, sont plus que justes. Les aspirations populaires restent insatisfaites. Le développement économique stagne. L’ombre de la mort va et revient à chaque instant. La situation est dramatique. En désespoir de cause, la révolution reste donc l’ultime recours, la grande secousse fondatrice d’un nouveau monde. C’est le seul moyen de rompre les chaînes de la servitude, du sous-développement et de l’insécurité pour affirmer notre personnalité et notre dignité d’homme libre.

Cependant, il est un peu trop facile de prendre les palabres et les proclamations d’un leader politique qui préfère jouer sur les mots plutôt que de rechercher les voies et moyens  pour aboutir à un véritable soulèvement historique. Le projet de révolution 2.0, née de la prise de conscience de l’état de misère et d’affaiblissement de la population, ne peut être l’affaire d’un homme. Onze millions d’âmes condamnées sont concernées. Et pour rompre avec cette mort incomplète dont ils font face tous les jours et toutes les nuits, les Haïtiens doivent se réapproprier la possibilité de refaire l’histoire.

Un vent souffle. Il souffle du nord au sud et ne pourra pas longtemps être étouffé. Ce qui crée l’étincelle de cette perturbation, c’est le besoin urgent et non-négociable d’un changement durable. Des divisions sont susceptibles de compliquer le développement et l’aboutissement du mouvement. Mais elles ne seront pas insurmontables. Dans l’état actuel des choses, la meilleure alternative est de faire front commun contre l’ennemi.

La véritable révolution à laquelle nous aspirons tous doit commencer dans notre mentalité, dans notre cœur. En effet, il est impératif, dès à présent, de penser Haïti autrement, de parler d’Haïti autrement et d’imaginer le chemin de la nouvelle Haïti autrement. Le peuple haïtien a trop souffert. Il arrive un moment où chaque ineptie doit avoir un début et une fin pour qu’une nouvelle renaissance puisse voir le jour.

Le temps de la nouvelle Haïti est proche. Une nouvelle Haïti avec des femmes nouvelles et des hommes nouveaux. Des femmes et des hommes qui ont Haïti dans le cœur, dans le sang, dans le cerveau et dans l’esprit et qui n’accepteront jamais qu’un homme ou une quelconque entité ou même un État puisse leur imposer quoi que ce soit. La nouvelle Haïti nécessite non seulement la décolonisation mais aussi la responsabilisation. Entendez par-là, nous organiser par nous-mêmes, pour nous-mêmes et pour notre propre destinée. Nous marcherons avec tous les pays qui veulent marcher avec nous et qui nous traitent avec respect. Et nous combattrons ceux qui seront dans une dynamique de nous imposer un agenda qui n’est pas en adéquation avec nos aspirations et nos réalités. Une autre page d’histoire va s’écrire.
Vive la révolution!

mercredi 3 janvier 2024

DE L’INDÉCENCE JUSQU’À L’ÉCŒUREMENT

 

DE L’INDÉCENCE JUSQU’À L’ÉCŒUREMENT 

DE L’INDÉCENCE JUSQU’À L’ÉCŒUREMENT

  • par Heidi Fortuné, Magistrat

Le juge d’instruction conduit les investigations les plus approfondies avant le procès, afin de saisir tous les faits de la cause. Il mène son enquête à charge et à décharge, de manière exhaustive, avec l’ambition de découvrir des indices, en procédant, conformément à la loi, à tous les actes d’informations utiles à la manifestation de la vérité.

Dans le cadre de son instruction, le juge convoque les témoins et les personnes soupçonnées pour être auditionnées ou interrogées en sa chambre d’instruction criminelle, mais non se faire inviter à domicile par ces derniers pour prendre un apéritif et des repas à chaque pause.

On peut déjà supposer une partialité flagrante qui empêchera un examen objectif du dossier. Qu’il s’agisse du Président de la République, du Premier Ministre ou, autres potentats du pouvoir, il faut suivre la procédure indiquée.

Le code d’instruction criminelle ne prévoit pas de telle méthode. Et cela n’aurait aucun sens.

Les articles 400 et suivants sont mal interprétés. Le respect des lois et des procédures est un impératif universel. On a plusieurs exemples sous nos yeux : des péripéties de Donald Trump en passant par les déboires du Premier Ministre israélien Benyamin Netanyahou, sans oublier les démêlés judiciaires de Nicolas Sarkozy et plus récemment la condamnation avec sursis d’Éric Dupond-Moretti, Garde des Sceaux en France…ils ont tous été contraints à se présenter devant les tribunaux, à se soumettre aux actes de procédure et à se plier aux injonctions imposées par la justice parce que tout simplement ils ne sont pas au-dessus de la loi.

En Haïti, le système judiciaire entretient une relation étroite, mais particulière avec le pouvoir politique. Séparée de lui conformément au principe de la séparation des pouvoirs, la justice agit dans le cadre des lois. Cependant, son indépendance est régulièrement questionnée, et mise à l’épreuve face au comportement des acteurs.

La politisation de la justice a toujours posé problème, d’où cette longue tradition de dépendance. C’est la raison pour laquelle le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ) et l’École de la Magistrature (EMA) ont été créés.

Cette évolution était essentielle à la garantie de l’indépendance des magistrats dans la détermination de la poursuite pénale, mais ne résout jusqu’à présent pas la question. Je prends en exemple le dossier de l’assassinat du président haïtien Jovenel Moïse. Je suis incapable de dire quel était l’état d’esprit du magistrat quand il a jugé opportun de se rendre dans la résidence officielle du Premier Ministre pour procéder à son audition à titre de témoin régulièrement cité à comparaitre par-devant lui dans le cadre de l’instruction de cette affaire.

Mais, c’est une vraie honte. Honte à la justice! Honte à nos politiques! J’ignore ce qui a bien pu se passer dans sa tête. Ce que je sais par contre, c’est que ce faisant, il a atteint un degré d’ignominie qui, à coup sûr, laissera des traces pour la suite de sa carrière. J’appelle cela une profanation de l’indépendance de la Magistrature. Ce comportement bas, petit et indécent en dit long sur la personnalité de ce directeur d’enquête et l’ordonnance finale qui en suivra.

Si un juge veut être respecté, il faut déjà qu’il soit respectable. Je ne reproche pas à ce monsieur sa tendance ou son rapprochement avec le pouvoir politique, cela m’indiffère royalement. Je lui reproche ses manœuvres, au demeurant bien risibles dans l’état actuel des choses.

J’ai honte pour la Magistrature et ses dérives dangereuses. Quand on est juge, on doit être au-dessus de tout soupçon, chose qu’à l’évidence il ne comprend pas. Mais il est là, le scandale. Elle est là, l’abomination. Je me contrefous de ses états d’âme et de ses pensées. Je me contrefous de comprendre la syntaxe de son argumentation. Ce qui est certain, son comportement crée des polémiques imbéciles à des fins partisanes.

Il y a franchement des femmes et des hommes qui sèment les ruines et la peine dans ce pays sans même un frisson de gêne. Et consciemment ou pas, le juge a craché au visage de tous les magistrats intègres, a sali la mémoire du président assassiné et a piétiné la douleur de sa famille et de ses amis. Finalement, on ne sait même pas à qui on veut rendre justice dans cette histoire.

Dans toute autre démocratie, une poursuite serait envisagée par la direction de l’inspection judiciaire pour manquement aux devoirs, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité contre ce magistrat.

Je rêve d’une justice qui aura les moyens de ses ambitions et où la Magistrature sera vraiment indépendante; qu’il n’y aura plus de dossiers dits “politiques” et que tous seront égaux devant la loi, pas seulement en théorie, mais aussi en pratique. Impossible me dira-t-on! Je le sais bien. Malgré tout, je continue à faire le même rêve toutes les nuits… pourvu que cela puisse se réaliser, même un peu, demain ou après-demain. Un jour en tout cas.

  • Heidi FORTUNÉ, Magistrat
  • Ancien Juge d’Instruction
  • Cap-Haïtien, Haïti, ce 03 janvier 2024
  • http//: heidifortune.blogspot.com