samedi 18 juillet 2015

À QUAND UNE SOCIÉTÉ DE SANCTIONS EN HAÏTI?


À QUAND UNE SOCIÉTÉ DE SANCTIONS EN HAÏTI?


La mauvaise gestion de la chose publique a un caractère récurrent ces derniers temps. Il ne se passe guère de semaine sans qu’un esclandre, en images ou en scènes, ne fasse l’objet d’une mise en mots. Il ne revient pas seulement aux juges ou aux tribunaux de sanctionner les écarts. L’ensemble des organisations socioprofessionnelles et des mouvements associatifs, supposés représenter le pays réel (société civile) par opposition à la classe politique, doit prendre position quand il y a des comportements qui vont à l’encontre des règles établies. Malheureusement, la société prend tellement peur de ses dirigeants que les dérives deviennent un fait social acceptable. Et le fait de ne pas prêter attention à ceux qui sont hors normes, de ne pas vouloir les dénoncer, de ne pas réagir, correspond à un véritable drame qui est celui de la mort sociale.

En 2011, le taux de change se chiffrait autour de quarante et une gourdes pour un dollar; aujourd’hui en 2015, il avoisine les soixante gourdes. Des voix auraient dû s’élever pour demander la démission du gouverneur de la Banque de la République d’Haïti (BRH), responsable de ce gouffre, ce, pour avoir assisté, toléré, accepté les dérapages fâcheux dans la trésorerie nationale faits par le régime en place qui n’a vraiment réussi dans aucun domaine. Curieusement, elles  se sont toutes tues ! Comme si tout le monde était incapable de parler ou de faire connaitre son opinion.

La corruption peut exister dans n’importe quelle organisation humaine. Cependant, en Haïti, c’est au sein des pouvoirs publics qu’elle est la plus répandue. La présidence, la police, le parlement et le système judiciaire sont les institutions les plus corrompues du pays. Comme la Bible le dit : « Il n’y a pas d’homme juste sur terre… » Mais nos dirigeants ont choisi carrément d’être pourris et malhonnêtes. On sait que le Chef de l’État a utilisé sa position pour favoriser illégalement sa famille et ses amis qui s’approprient, exproprient voire détournent carrément des fonds. La corruption et l’injustice, l’incertitude et la faim sont encore plus présentes aujourd’hui qu’elles ne l’étaient avant l’arrivée de l’actuelle équipe au pouvoir. L'Amérique nous a imposé son homme. Le Président en exercice du Conseil Électoral Provisoire (CEP) a vendu la mèche. Des diplomates internationaux ont confirmé. Et les gens savent plus que jamais que le Président de la République, dont l'indécence des propos choque plus d'un, les a trompés. Pourtant, la population ne voit toujours pas la nécessité de sortir de sa résignation et de se dire qu’elle doit se révolter.

L’exemple doit venir d’en haut. Chercher à faire disparaitre la corruption au sein de la police, de la justice et la douane tout en la tolérant au palais national et à la primature est une hypocrisie. Nous avons une société dormante en Haïti. La justice marche à reculons malgré de grands efforts du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ) qui montre certes un nouveau visage mais encore réticent à prendre les sanctions qui s’imposent contre des magistrats difficilement rattrapables. La justice se vend jusqu'à présent et des juges continuent à salir leur robe au mépris des règles  de l’éthique. La police est aux abonnés absents. Des hauts gradés s’adonnent à des activités mafieuses au su et au vu de leur supérieur. Les narcotrafiquants envahissent les espaces tant privés que publics. On les voit au palais national, au parlement. On les accepte dans les ministères, dans les salons, dans les écoles, dans les fêtes mondaines…au sein de la "haute société" qui reste coite comme frappée de mutisme et d’immobilité.

La fierté, l’intégrité, l’honnêteté et le sens de responsabilité font cruellement défaut à nos hommes et femmes d'État. La diplomatie haïtienne a piteusement échoué dans le dossier de rapatriement des compatriotes vivant illégalement en République Dominicaine. A-t-on déjà vu dans l’histoire une Haïti aussi lâche, laide, petite, pitoyable depuis l’indépendance ? La mémoire de nos Pères a été souillée. Tout un peuple a été outragé, humilié. Les maladresses du gouvernement dans la gestion de cette crise sont inadmissibles et devraient susciter la réprobation générale. Cependant, la classe politique, l’opposition et la société civile haïtiennes ne prennent aucune mesure visant à riposter contre l’attitude raciste de nos voisins dominicains qui appliquent une politique migratoire hostile contre les ressortissants haïtiens, fondée sur la supériorité de race que le monde entier a rejetée et condamnée. Pourtant, cela ne représenterait aucune difficulté à fermer nos frontières en guise de représailles, nous porterions ainsi un gros coup à leur économie, plus précisément aux produits destinés à l’exportation vers Haïti; mais hélas, nous n’avons ni orgueil ni courage.
Entre nous soit dit : Nul dirigeant n’est à l’abri de la faute de gestion ou d’une infraction pénale. À quand donc une société de sanctions en Haïti ?

Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti, ce 18 juillet 2015

dimanche 4 janvier 2015

2014: L’ANNÉE NOIRE DE LA JUSTICE



2014: L’ANNÉE NOIRE DE LA JUSTICE

La justice haïtienne, exsangue, malmenée, bousculée voire même paralysée, a connu les pires moments de son histoire durant l’année 2014. L’institution a évolué dans le mauvais sens et cela devrait continuer en 2015. Montrer qu’on peut nommer n’importe qui où on veut et donner des ordres n’importe comment…voilà la résultante de la politique pénale du gouvernement qui a fait entrer la justice dans l’ère du soupçon. La politisation extrême de certains dossiers a montré l’impératif de garder dans le système des éléments intègres et indépendants de l’Exécutif. Cependant, l’infirme quantité de Magistrats  qui tiennent le haut de l’affiche cachent mal leur faiblesse structurelle et sont vite l’objet de tracasseries et tentatives de déstabilisation de la part des membres de l’équipe au pouvoir qui ne veulent pas d’un système judiciaire qui pourrait s’opposer ou s’attaquer à leurs intérêts et oublient trop souvent que la justice est une caractéristique déterminante de la bien portance socioéconomique d’un pays.

Le critère de la promotion au sein de la justice devient la soumission. Seulement une trentaine de Magistrats ont été reconduits durant l’année 2014. La Présidence, sur les conseils du Garde des sceaux, ne prend pas en compte tous les avis favorables du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire relatifs au renouvellement du mandat des Juges. Jamais la Magistrature n’a été autant insultée, humiliée par un gouvernement. Pourquoi voulez-vous que les délinquants respectent les Magistrats quand le ministre de la justice les traite avec désintérêt et dans l’indifférence générale ? En somme, brandir le spectre de non renouvellement de mandat de X ou Y est très efficace. Cela a eu un effet dévastateur sur l’activité professionnelle et le rendement du Magistrat en attente qui est à la fois paralysé et angoissé par la perspective d’être écarté sans raison apparente. Il y a eu énormément de souffrance au travail dans la Magistrature durant l’année écoulée, et aucun Magistrat ne veut en parler. Révocations arbitraires, transferts illégaux, pressions psychologiques, dépressions nerveuses…voilà entre autres le lot de misères des Juges. Plus on est vulnérable, plus on est victime de ces types d’harcèlement qui ne dit pas son nom.

Pour être véritablement indépendant, il faut se moquer de la notation et de la carrière. J’ai connu moi-même la détresse morale et j’ai eu pas mal de contrariétés dans l’exercice de la profession. J’ai été qualifié de trouble-fête et d’électron libre à cause de ma force de caractère. On me reproche de mettre trop de ‘’beau monde ‘’ en examen. Il y a eu des attaques très fortes contre moi de la part d’officiels très haut placés. Et des brimades, j’en ai subies pour avoir osé… Des situations un peu perverses qui peuvent vous empêcher de progresser et de faire votre travail convenablement. C’est décourageant ! Vous vous impliquez corps et âme dans votre boulot et voilà ce que vous avez comme récompense. En vérité, c’est plus que frustrant !

Généralement, la politique entre au prétoire  mais à présent, la justice s’invite au palais. Chose qui n’a jamais été réalisée auparavant ! Bien sûr, mon mandat est renouvelé mais je ne vous dirai pas comment… Il y a eu de folles rumeurs et le contexte était tendu. Je suis toujours là. Et qu’il soit dit en passant : je ne suis pas là pour passer mon temps à être convoqué par ma hiérarchie, j’ai du boulot et mes dossiers ne sont pas simples. Je veux pouvoir travailler en toute quiétude. La hiérarchie devrait plutôt soutenir les juges en délicatesse avec l’Exécutif et non de leur mettre doublement la pression. La justice est à bout de souffle, et si jamais on ne trouve pas des solutions pour la redynamiser, on va vraiment vers la disparition de l’État de droit qui n’est encore qu’à la phase d’embryon et qui commence à peine à se développer. Pour cela, le pouvoir Exécutif ne doit avoir aucun rôle dans la carrière des Magistrats. Il faut sortir du schéma « le Président décide seul ». Il faut un véritable échange de vues sur la question et la discussion doit associer la société civile, les parlementaires, les magistrats, pour voir comment couper le lien entre l’Exécutif et le Judiciaire. Mais si ça doit venir d’un seul homme, je vous le garantis, on n’est pas près de sortir de l’auberge.

Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’instruction
Cap-Haïtien, Haïti, ce 03 janvier 2015