samedi 22 mars 2008

L’INCULPÉ AU CABINET D’INSTRUCTION

L’INCULPÉ AU CABINET D’INSTRUCTION

Au Cabinet d’Instruction, tout inculpé doit être expressément informé de son droit: de se faire assister d’un avocat ou d’un témoin de son choix lors de sa première comparution et de ne pas être interrogé en absence de celui-ci ; de demander le bénéfice de l’assistance judiciaire s’il n’a pas les moyens de se procurer les services d’un homme de l’art ; de demander en toute état de cause sa mise en liberté provisoire sous condition de se présenter à toutes les phases de la procédure et pour l’exécution du jugement, aussitôt qu’il en sera requis ; de faire appel contre toute ordonnance définitive du Juge d’Instruction.

Ceci est le côté idéal…normatif de la question. Mais, qu’en est-il véritablement de la situation de l’inculpé au Cabinet d’Instruction ?

Ce qu’on constate, c’est que les prescrits de la loi ne sont pas respectés. L’inculpé passe des mois voire des années en détention préventive prolongée sous mandat de dépôt du Juge d’Instruction avant que celui-ci ne rende son ordonnance de clôture. Dans la plupart des cas, il n’est pas assisté au niveau du Cabinet d’Instruction, et n’est pas mis au courant de ses droits. Il est interrogé assez souvent, sous pression et avec discrimination comme s’il était déjà jugé coupable. Or, le magistrat doit instruire à charge et à décharge en tenant compte du principe en vertu duquel toute personne accusée d’une infraction pénale est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.

Autre remarque : l’inculpé est interrogé en créole, alors que la transcription est faite en français sur le procès-verbal d’interrogatoire. On entend les avocats de la défense dire à l’audience : ‘’ Le magistrat a trahi la pensée de mon client puisque ce dernier avait déposé en créole.’’ Tout ceci, pour dire que le comportement de certains magistrats instructeurs dans la gestion de dossiers laisse à désirer.

Est-ce un problème de moyens, est-ce un problème de textes trop désuets ou de compétence tout simplement? Et comment pallier ces irrégularités ? De toute façon, les magistrats concernés doivent savoir que, même en régime d’incarcération, l’inculpé continue à jouir de certains droits et de garanties judiciaires, consacrés par la constitution et les traités internationaux signés et ratifiés par Haïti. Ils doivent se rappeler que le respect des principes traduit la qualité et l’efficacité de la justice ou du système pénal et que « le droit ne s’arrête pas à la porte de la prison ».

Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 23 mars 2008

mercredi 19 mars 2008

DE LA BINATIONALITÉ

DE LA BINATIONALITÉ

La double nationalité se définit par l’appartenance simultanée à la nationalité de deux États. C’est donc le fait de posséder deux nationalités et d’appartenir à deux pays différents. Certains États comme le Congo (RDC), la Chine, le Japon, la Finlande et Haïti l’interdisent expressément. D’autres l’autorisent pleinement et simplement. D’autres, enfin, ne l’interdisent que pour l’exercice de certains mandats ou fonctions publiques.

Dire qu’un passeport est un simple livret de voyage qui n’engage pas la nationalité d’une personne n’est pas exact. Le passeport est un document officiel délivré à ses ressortissants par l’administration d’un pays, certifiant l’identité de son détenteur pour lui permettre de circuler à l’étranger.

En spéculant de la sorte sur la problématique de la double nationalité, nous soulevons un faux débat. On a compliqué le sujet à tel point qu’il est maintenant difficile à chacun de se retrouver. Mêmes les autorités qui s’y engageaient ne parviennent pas à en trouver l’issue.

Juridiquement, l’article 15 de la Constitution ne prête à aucune équivoque : « La double nationalité Haïtienne et Étrangère n’est admise dans aucun cas ». Mais politiquement, on est en droit de poser la question : ‘’Cette disposition est-elle juste ou injuste au regard de la situation socio-économique du pays ? C’est-à-dire : La double nationalité serait-elle bénéfique ou non pour Haïti ? Et c’est là que devrait centrer le débat.

Le problème est simplement politique et non juridique. Personnellement, je pense qu’on devrait réviser plusieurs articles de la constitution, notamment l’article 15, pour permettre aux compatriotes qui, pour une raison ou pour une autre, avaient, dans un moment de leur vie, acquis une nationalité étrangère, de garder ou reprendre leur nationalité d’origine ; avec des restrictions pour certaines fonctions politiques ou publiques. Cette réserve reste à débattre et à préciser.

Nous avons trop de compétences à l’étranger, nous en avons aussi en Haïti mais elles sont minimes et ne sont pas au timon des affaires de l’Etat. Les pays du Maghreb : Tunisie, Algérie, Maroc, Libye et Mauritanie, ont largement profité de leurs binationaux. Haïti pourrait également bénéficier de la science de ses nombreux fils savants, éparpillés à travers le monde.

Maintenant, qu’en est-il de ceux-là qui ont sciemment transgressé la loi haïtienne en se faisant délivrer, par des manœuvres frauduleuses et dans l’intention de tromper, un passeport pour lequel il n’était pas habilité ? Ces individus sont agents infracteurs au même titre que le pauvre paysan qui a volé un régime de bananes et qui croupit en prison, attendant instamment, l’heure de son jugement.

À travers le monde, la double nationalité n’a rien de controversée au regard des législations. Qu’elle soit autorisée ou non, elle n’est autre qu’une théorie de l’organisation d’un État souverain par rapport à sa politique. Certains pensent qu’on ne peut pas s’asseoir sur deux chaises à la fois et qu’il faut choisir, d’autant que l’article 14 de la constitution de 1987 offre l’opportunité de recouvrer la nationalité haïtienne. D’autres le voient différemment…et les opinions n’en finissent plus.

Cependant, il n’est un secret pour personne que, aux Etats-Unis et au Canada, la double nationalité pose des problèmes lors de l’embauche dans les sociétés très sérieuses car il y a un manque de confiance par rapport au statut binational du demandeur d’emploi. Et cela peut se comprendre. En France, hier encore, un chef de parti, M. Jean-Marie Le Pen, a demandé publiquement à la Ministre de la justice, Madame Rachida Dati, née en Saône-et-Loire, de décliner sa nationalité, sachant qu’elle est de père marocain et de mère algérienne. C’est une façon pour dire que cela a fait et fait encore l’objet de débat politique dans plusieurs pays. Doit-on l’autoriser en Haïti ? La nation entière et chaque Haïtien indistinctement devront dire leur mot.

Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 19 mars 2008