lundi 18 juin 2007

LA RÉFORME JUDICIAIRE EN HAITI

Me Fortuné est un homme de parole; un juge qui se respecte malgré la carence des gens honnêtes dans ce pays. Me Fortuné est un juriste qui se sert de la Constitution et les lois de son pays comme boussole pour guider l'ensemble de ses décisions. C'est un juge instructeur qui n'a pas peur de dire tout haut ce que les autres n'osent pas prononcer tout bas. C'est un Capois qui a hérité les valeurs de Henri Christophe pour faire honneur à sa profession. Il denonce certains faits sans porter préjudice à quiconque. Il utilise un langage clair pour exprimer ses idées sans chercher la confrontation. Me Fortune est un juriste doué d'une plume savante qui sait allier la frustration à la colère par la magie des mots. Par respect pour ses fidèles lecteurs et lectrices, il s'est proposé d'offrir chaque semaine un texte de réflexion sur la situation de la justice en Haiti. Jusqu'à présent, il tient parole. Encore une fois, il nous livre son analyse à partir de ce qui suit... Mondésir

LA RÉFORME JUDICIAIRE EN HAITI
Par Me Heidi Fortuné

On en a beaucoup parlé. Il semble maintenant qu’on soit décidé à entrer dans la voie de la réalisation.
La réforme doit passer par le renforcement de l’état de droit et la renovation des incriminations, en tenant compte de la mutabilité du monde, par le respect des droits de l’homme, la défense de la personne humaine et la protection des plus faibles.
Elle doit tenir compte de la multiplication des infractions par rapport aux défauts de notre législation actuelle qui sont : archaïque, inadaptée, contradictoire, incomplète. Elle doit simplifier les textes et rajeunir le vocabulaire juridique. Les lois doivent être précises et accessibles. L’Etat doit prévoir un fonds d’entraide pour les victimes et une aide juridique au profit des démunis.
La réforme doit protéger les droits de la personne humaine, garantir une justice transparente, impartiale, efficace, rapide et accessible à tous.
Elle doit répondre à une double exigence, à la fois juridique et éthique. C’est-à-dire : doter notre arsenal juridique d’un ensemble cohérent de lois adaptées et exprimer les valeurs de notre société.
Dans leur évolution respective, il ne faut pas chercher à adapter les faits au droit mais bien le droit aux faits.
Une réforme qui ne revoit pas les délais, principalement d’instruction, les amendes, les sanctions pénales et les procédures scabreuses n’est pas une réforme.
Peut-on parler de réforme si les tarifs judiciaires ne sont pas redéfinis, si elle ne consacre pas le sursis assorti de mise à l’épreuve pour décompresser les centres de détention ? Quid du casier judiciaire ?
Quelle réforme il y aura si l’Etat ne prévoit pas la spécialisation des magistrats, la formation continue, l’informatisation des greffes, la traduction des textes de lois et des décisions judiciaires en créole, la construction de tribunaux et de prisons sans oublier des maisons d’accueil pour mineurs ?
On doit penser également à une réelle prise en charge de l’école de la magistrature, à revoir à la hausse les salaires judiciaires, à l’octroi de bourses d’études aux meilleurs performances en vue de recompenser les mérites et favoriser la concurrence vers l’excellence, à changer le statut des magistrats du parquet et l’appellation « commissaire du gouvernement » et enfin à une redéfinition du rôle du ministère de la justice et de la sécurité publique.
Et pendant qu’on y est : pourquoi ne pas initier, une fois pour toutes, la collégialité de juges en matière criminelle ?
L’administration de la preuve, que ce soit au civil ou au pénal, ne doit plus être limitative. Quand on sait que les photographies, les bandes sonores ou magnétiques et même les empreintes digitales ne font pas partie des modes de preuve légalement admis par la législation haïtienne...
Les Magistrats en ont marre de supporter un système comportant autant d’hérésies juridiques. La refonte des codes est une nécessité.
Chez nous, on se plaint toujours de difficultés économiques. Les donations et les aides en devises apportées par des tiers au niveau de la justice, qu’il s’agit de la communauté internationale ou des organismes locaux impliquent de grandes redevances.
Redevances qui, au moment opportun, ne pourront être honorées, qu’au détriment des haitiens. Toute chose a un prix dans la vie...même la gratuité.
Ne pourrait-on pas établir un système de caution facultative en matière de contravention de simple police et délit correctionnel pour éviter que l’agent infracteur aille en prison ? Il paierait en quelque sorte sa détention, sa liberté, si on veut, en attendant la tenue de son jugement. Pour cela, il faudrait mettre en place un dispositif de surveillance efficace sur nos frontières et renforcer les contrôles d’identité.
Cela éviterait la surpopulation de nos maisons d’arrêt et rapporterait également des revenus à l’Etat. Et cet argent, de même que les recettes découlant des peines pécuniaires et de l’enregistrement des actes judiciaires ainsi que le budget de la justice qui serait géré par le président de la cour de cassation, avec un droit de regard du ministre de tutelle, pourraient aider à surmonter les problèmes financiers de la magistrature. Ce serait un signe évident vers l’autonomie et l’indépendance.
Si on doit envisager un quelconque rapport de subordination entre le ministre de la justice et le « commissaire du gouvernement », cela devrait se faire uniquement par l’entremise du chef du parquet près la cour de cassation. Ce dernier, alors coiffé d’un double chapeau, politique/justice, sera considéré comme le supérieur hiérarchique des parquetiers des juridictions inférieures qui recevront de lui toutes les réquisitions du garde des sceaux de la république.
La carrière des juges, très négligée ces derniers temps, mérite d’être revalorisée. L’inspection judiciaire ne doit pas être oubliée.
Il n’y a pas de corrompu sans corrupteur, en ce sens qu’on doit apporter quelques modifications profondes au décret du 29 mars 1979 régissant la profession d’avocats car un grand nombre d’entre eux font la honte du métier, au mépris de toutes règles d’éthique et déontologique.
La loi de réforme n’a pas sa raison si elle ne tiendra pas compte de ces observations d’ordre général considérées, à notre humble avis, comme des axes prioritaires incontournables.
Et si toutefois elle sera difficile à appliquer, il serait préférable d’y renoncer tout de suite pour ne pas donner à l’opinion publique, déjà inquiète, des assurances fictives, et donc, susciter des déceptions.
D’un autre côté, la sécurité des vies et des biens ne relèvent pas seulement de la force publique, il faut une approche synthétique Justice/Police pour doter le pays d’un système répressif capable de garantir la tranquilité de tous les citoyens. Pour cela, des sessions de formation conjointe (juges-parquet-police) doivent être organisées périodiquement pour leur apprendre à travailler ensemble dans un respect réciproque et à reconnaitre leurs limites.
Le « commissaire du gouvernement » et ses substituts doivent exercer un contrôle effectif sur toutes les actions de la police judiciaire qui devrait avoir un représentant permanent auprès de chaque parquet.
La chaîne pénale ne sera valablement efficace que, si et seulement si, la justice et la police sont en mesure de répondre adéquatement à leurs responsabilités respectives d’où...l’impérieuse nécessité de réformer les deux institutions en même temps et non l’une après l’autre.
Tout en respectant la liberté et les droits, les magistrats et les policiers ont un ennemi commun : la délinquance.
Dans cette conjoncture nouvelle que sera la réforme judiciaire, la responsabilité du juge doit être également repensée.
Il devra être attentif à l’évolution des faits pour bien jouer son rôle de médiateur. Plus que jamais, il devra exercer dans le cadre de l’application des normes une action, à la fois, créatrice et modératrice.
Le juge devra se distinguer tant dans sa vie privée que professionnelle. De chacune de ses décisions, comme de grandes tendances qui se dégagent, dépendront demain, non seulement, le sentiment d’une justice bien rendue, si profond chez le citoyen, mais aussi pour une part importante, la vigueur ou la fragilité de notre société.
Nous sommes certains que les Magistrats sont conscients de la grandeur de la tâche qui les attend.
Nous croyons cependant qu’il sera difficile pour eux de l’assumer lorsque leurs conditions de travail ne sont pas adaptées à l’évolution des techniques modernes, lorsqu’ils sont surchargés de dossiers sans avoir le temps de les approfondir, lorsqu’ils sont l’objet de critiques injustifiées mais qui sont celles qu’appelle le mauvais fonctionnement de l’ensemble du système.
Ainsi, appartient-il à l’ordre judiciaire tout entier, et à chacun de ses membres, placé devant la loi et devant sa conscience, de répondre aux exigences de la réforme tant attendue.
Naturellement, toutes ces propositions sont à débattre et à préciser, il sera ensuite nécessaire de poursuivre la réflexion afin de faire évoluer les mentalités pour déboucher sur des changements de comportement.
On peut toujours nous reprocher d’avoir commis des oublis et des omissions, pourquoi pas des écarts, dans notre plaidoyer, pour ne pas avoir touché tel point qui parait, pour le réprobateur, important.
A la vérité, nous ne pourrons jamais tout dire ici.
D’ailleurs, il n’est un secret pour personne la situation de décrépitude de la justice haitienne. Tout le monde en parle. Face à cette situation, la réforme s’avère primodiale. Elle contribuera non seulement à l’avancement de notre pays dans la garantie et le respect des droits mais aussi lui préparera un avenir serein et certain.
Que cela constitue notre faible contribution à la réforme du droit et de la justice.

Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 17 juin 2007