mardi 3 juillet 2007

LE RENFORCEMENT DE L'IMPUNITÉ EN HAITI

Me Heidi Fortuné

Le droit est l’ensemble des préceptes ou règles de conduite à l’observation desquels il est permis d’astreindre l’homme par une coercition extérieure ou physique.
L’objet du droit étant de régler la vie sociale, il en résulte que l’organisation de l’Etat et le règlement de ses rapports avec les individus rentrent essentiellement dans la sphère d’un système judiciaire bien encadré.
On dit que le sens moral d’une nation se modifie suivant le degré de sa civilisation. Et les principes légitimement susceptibles de devenir l’objet de cette coercition doivent résider dans la conscience de chaque autorité légalement établie.
Mais qu’en est-il de la moralité des grands fonctionnaires et des hauts responsables étatiques ?
On parle souvent de l’impunité qui règne en maître en Haiti, nous sommes tout-à-fait d’accord. On n’a qu’à visiter les prisons du pays pour comprendre.
99% des personnes incarcérées ou condamnées sont des démunis. Comme quoi, seuls les éléments de la classe défavorisée commettent des infractions.
Le constat est fait : les riches ne vont pas en prison, même quand ils sont fautifs. Et pour cause, ils ont toujours quelqu’un en haut lieu ou de haut rang pour faire classer les dossiers et suspendre les poursuites.
Certains parlementaires s’adonnent à coeur joie à ce commerce lucratif et profitable.
Comment un député peut-il s’arroger le droit d’appeler un Juge d’Instruction pour lui demander de ne pas poursuivre un riche homme d’affaire ayant séquestré des personnes sous le motif indécent que ce dernier avait financé sa campagne électorale. Quelle laideur !
Monsieur le député, en agissant ainsi, non seulement vous affaiblissez la justice mais vous vous faites également un homme de petite vertu. Vous n’avez pas votre place au parlement et vous n’avez ni le niveau ni l’étoffe pour porter un titre aussi honorifique.
Vous êtes la honte de votre famille, de vos collègues et de la nation toute entière.
Des sénateurs s’y mêlent et vont même à demander à un directeur départemental de police de ne pas exécuter le mandat d’amener décerné contre cette personne par la justice. Alors que ceux-ci mènent tambour battant une politique anti-corruption et ne cachent pas leur dédain pour l’impunité. C’est de l’immoralité, messieurs !
Vous n’êtes pas payés pour encourager la délinquance et cautionner la criminalité mais plutôt pour les contrecarrer.
Et lorsque c’est un responsable du ministère de la justice qui appelle un autre Magistrat Instructeur pour lui dicter, par téléphone, l’orientation à donner à un dossier criminel, alors là, nous disons : stop.
Il faut arrêter ça. Personne n’est au-dessus de la loi.
Qu’est-ce qu’on peut espérer de la réforme judiciaire si les pouvoirs exécutif et législatif se comportent de cette facon ?
Nous en faisons appel au président de la république, au président de l’assemblée nationale et au président de la cour de cassation...
Les avocats, les citoyens, la diaspora et la communauté internationale doivent être informés des menées subversives de ces parlementaires racketteurs.
Nul doute qu’il y a de grandes personnalités au sein de cette 48eme législature mais il faut admettre aussi qu’il y en a plein de médiocres, d’ignares et de corrompus qui n’ont leur place nulle part... même pas en enfer.
La justice haitienne, en tant qu’institution, n’est peut-être pas indépendante mais, soyez-en assurés, il y a des Magistrats indépendants sur qui les plus faibles peuvent compter. Des Magistrats intègres et entiers, conscients de leur rôle de cordon ombilical entre les nantis et les démunis de notre société.
Nous voulons parler de ceux-là qui ne marchandent pas leur courage, leur honnêteté et leur devoir pour rendre justice à qui justice est due. Certes, ils ne sont pas nombreux mais ils sont là. Et nous les supportons de toute notre force.

Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 1er Juillet 2007

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