mardi 3 juillet 2007

JUSTICE : SI ON N’EN PARLE PAS…ÇA N’EXISTE PAS

Texte de Me Heidi Fortuné
24 juin 2007

Il faut être conscient que les penseurs de nos prisons n’ont jamais eu le souci de prévoir dans nos maisons d’arrêt une section pour le placement des mineurs. Ces derniers sont gardés dans des cellules où logent des adultes ; ils vivent la vie de la prison à travers les cris, les bruits et les conversations de leurs ainés.
L’abandon dans lequel ils sont laissés tant du Magistrat qui a pris la mesure que de l’ensemble du système pénitentiaire contraste avec le prescrit des textes.
Qu’ils soient agents infracteurs aux yeux de la loi, de telles mesures pour le moins inhumaines à leur égard ne peuvent servir de cause de justification à leur situation carcérale.
Ils subissent la même promiscuité que les adultes et la surpopulation endémique des maisons d’arrêt les affecte considérablement. Si on ajoute à ce tableau le fait de dormir à même le sol, on aura compris que leur intérêt supérieur n’est pas pris en considération par les juges.
Comme il est dit dans les Règles de Beijing, l’objectif principal de la justice pour mineurs est de rechercher leur bien-être. Et la loi du 07 Septembre
1961 prévoit pour eux une procédure spéciale et des centres spéciaux pour la durée de leur internement.
Cependant, la plupart des juges passent outre et ne s’intéressent même pas à la situation des mineurs en prison. Tant qu’ils sont là, ils sont tranquilles disent certains d’entre eux. Faut-il croire que pour eux, la prison s’assimile à une affaire classée ?
Mais si promesse est soeur jumelle de l’espérance, on ne saurait tolérer qu’elle devienne cousine germaine de la mauvaise foi.
Nous insistons sur le principe de base selon lequel aucun mineur ou jeune délinquant ne devrait être détenu dans un établissement où il est susceptible de subir l’influence négative de délinquants adultes, et qu’il faudrait toujours tenir compte des besoins particuliers à son stade de développement sinon...
Eh bien sinon, en ce qui a trait à sa personnalité, il sortira plus délinquant qu’auparavant. Et c’est évident. Il côtoie de grands criminels à longueur de journée ; ces derniers deviennent ses modèles ; qui voulez-vous qu’il incarne ?
A sa sortie de prison, il n’aura pas un caractère propre à lui, une personnalité qui lui est sienne, mais celle de ses « professeurs » de prison, ses camarades de cellules qui lui ont inculqué toute leur science, à savoir : ruses, astuces et violence.
Un enfant rentre, un criminel sort...pour y revenir car nous avons noté que ce sont les mêmes, en général, qui récidivent et reviennent en prison. C’est normal !
En Haiti, un enfant se trouve derrière les barreaux, faute de structures correctionnelles adaptées à son statut et à la nature du délit qui lui est reproché ; sans oublier les mauvais traitements, il est battu, soit pendant l’arrestation, soit à son arrivée au centre pénitentiaire.
Il importe de souligner de surcroit que selon la loi, les mineurs devraient bénéficier d’un traitement tout autrement. En effet, des centres de rééducation ou de traitement et des maisons de correction sont prévus.
Or, la réalité est bien différente.
Consciemment ou inconciemment, les prescrits de la loi concernant les mineurs ne sont pas respectés parce que l’Etat n’a pas tenu ses engagements ni pris ses responsabilités. Nous espérons porter la société, la communauté, le parlement et le gouvernement à prendre conscience de leur existence et de leurs problèmes.
Il est évident que l’impasse économique chronique dans laquelle se trouve le pays ne va pas débloquer la situation d’autant que la construction de maisons d’accueil pour enfants en difficultés ne fait pas partie du programme politique du gouvernement actuel.
Cependant, un minimum doit être dégagé en acord avec les principes et les objectifs de l’ensemble des dispositions. Et si nous ne faisons rien, ils deviendront, un jour, une plaie à la nuque de cette société irresponsable et un danger public.
Nous concevons très mal que les mineurs haitiens, nos enfants, nos petits frères, soient traités de cette façon. L’Etat les néglige et n’accorde que peu de soin et d’intérêt à leur endroit.
En tant que membre du système judiciaire, nous serions complice si nous gardions le silence devant cette situation lamentable.
Et si nous continuons à observer, sans rien faire, cette injustice criante qui met en péril l’avenir de notre pays, nous ne pourrons pas mériter l’estime et l’honneur des générations à venir.

Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 24 Juin 2007

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