vendredi 27 mai 2011

LA PRESCRIPTION: UN SOUCI DE SÉCURITÉ JURIDIQUE

LA PRESCRIPTION: UN SOUCI DE SÉCURITÉ JURIDIQUE

La prescription pénale est un délai au terme duquel on ne peut plus poursuivre la répression d’une infraction. C’est donc un mode d’extinction de l’action publique résultant du non exercice de celle-ci avant l’expiration du délai fixé par la loi et qui varie en fonction du fait incriminé. Pour les crimes, le délai de prescription est de dix ans ; pour les délits, le délai est de cinq ans et pour les contraventions de simple police, il est de un an. Elle constitue une action péremptoire et d’ordre public, c’est-à-dire qu’elle doit être soulevée d’office par le Juge si les parties ne le font pas ; que la charge de la preuve de l’absence de prescription de l’action publique incombe au Ministère Public ; qu’elle peut-être constatée pour la première fois à n’importe quelle phase de la procédure, même par la Cour de Cassation.

Si la prescription est, en matière pénale, le délai au terme duquel une action en justice ne peut plus être intentée, son intérêt est parfois mal compris par Monsieur Toulemonde. Et ça peut se comprendre. En effet, comment une personne que toute l’opinion publique accuse pourrait-elle échapper à la sanction par le seul passage du temps ? Et que fait-on de l’adage : « Contra non valentem agere non currit praescripto » ? C’est-à-dire que l’on ne peut sanctionner l’inaction du justiciable par la prescription dans la mesure où il n’a pu exercer d’action en justice…Comme c’est le cas dans les dictatures. Il s’agit-là d’une cause suspensive de prescription. Mais cependant, lorsque la raison de la suspension a disparu, il faut penser à entamer la procédure de poursuite dans le délai utile… pour ne pas voir la demande débouter pour fautes techniques.

Le point de départ de la prescription est différent selon que l’on sera en présence d’une infraction instantanée ou continue. Si pour les infractions instantanées (celles qui se commettent en une seule fois), le délai de prescription court du jour de la commission de l’infraction ; pour les infractions continues (celles qui sont répétitives et se poursuivent dans la durée), il commence à courir du jour du dernier acte délictueux. Il est question ici de l’allongement des délais de la prescription par le jeu de la suspension et de l’interruption. On doit aussi noter que tout acte interruptif (acte de poursuite, acte d’instruction) fera courir un nouveau délai de prescription. Une illustration : Un acte criminel se prescrit par dix ans, si au bout de huit ans, un acte de poursuite ou d’instruction a lieu, un nouveau délai de dix ans courra à compter de ce délai de huit ans. On se placera donc au dernier acte posé car chaque phase fera repartir un nouveau décompte de délai. Autrement dit, on remet le compteur à zéro et on recommence à calculer les dix ans…

Certains avancent que même si la prescription est prévue par l’article 466 et suivants du code d’instruction criminelle, elle ne saurait s’appliquer aux crimes les plus graves comme le génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité insérés dans le ‘’Statut de Rome’’, entré en vigueur le 1er juillet 2002…pour imprescriptibilité. Mais, c’est du délire ! Ou bien on applique la loi, ou bien on ne l’applique pas ; d’autant que la République d’Haïti n’est pas liée par ce traité pour ne l’avoir pas encore ratifié. D’autres croient qu’on peut passer outre de la prescription afin de renforcer l’État de droit et lutter contre l’impunité. Ces arguments ne tiennent pas pour le seul motif que le droit n’est pas simplement une logique conforme au bon sens et à la raison ; c’est fondamentalement, l’ensemble des règles juridiques, justes ou injustes, morales ou immorales, destinés à organiser les rapports humains dans un contexte donné et dont le non-respect entraîne une sanction. Jusqu'à présent, le sujet en débat fait objet d’échanges d’opinions contraires mais notre position est claire et sans équivoque : si la prescription est acquise sans n’avoir posé aucun acte de poursuite ou d’instruction dans le délai imparti, il sera trop tard pour régulariser…et en conséquence, cela rendra la plainte initiale irrémédiablement irrecevable. Et nous persistons !

Dans un souci de sécurité juridique, nous devons nous mettre au pas avec les conventions internationales car notre législation pénale ne prévoit pas certains types d’infractions. Nous nourrissons l’espoir de voir, un jour, notre pays basculer d’un système judiciaire dépassé à une justice apaisée découlant des grands principes de droit. Et pour ceux qui pensent que la prescription, telle que définie, protège les bandits, nous leur disons que l’esprit même du vocable est de protéger d’abord la victime qui doit être reconnue comme telle grâce au rituel du procès pénal ; ensuite la société toute entière dont les membres ne peuvent vivre dans une situation d’inquiétude permanente et…éternelle.

Demeurant à votre disposition pour toutes précisions !

Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haitien, Haïti
Ce 27 mai 2011

1 commentaire:

PORT-SALUT MAGAZINE a dit…

Me Fortuné,
Je tiens à vous adresser toutes mes félicitations pour votre article qui traduit bien ma position juridique en ce qui a trait aux réactions voulant condamner M. Jean-Claude Duvalier à la suite de son retour en janvier dernier. Lorsque j'ai appris que le commissaire du gouvernement a interpelé M. Duvalier, je me suis dit qu'il y a prescription pour les crimes qu'il aurait commis après 25 ans en exil. Le droit haïtien prévoit dix ans de prescription en matière criminelle, le délai commence à partir du moment où une action judiciaire a été posée. Sous le régime des Duvalier, en réalité, il y avait une impossibilité matérielle pour les victimes d'intenter une action contre ce régime, Le CNG avait promulgué un décret (le 4 juin 1986) pour établir le début du délai de prescription. Personne n'a intenté une action contre le régime des Duvalier, même au civil. Maintenant, on cherche à détourner l'attention des gens lucides avec une action en justice contre lui. C'est la pure démagogie de nos responsables en matière de justice ...
Votre texte est très édifiant dans ce contexte et il explique l'état du droit en Haïti en matière de prescription criminelle. Me permettez-vous de faire une large diffusion de ce texte sur mes blogues afin d'éclairer la lanterne de nos paresseux juristes qui débitent n'importe quoi sur les ondes médiatiques.
On a invoqué les questions de génocide, d'imprescriptibilité des crimes sur la personne pour inculper M. Duvalier.
Il est vrai que ces conventions existent, mais Haïti n'en est pas signataire. En droit international, les conventions et les traités ne sont pas contraignants. Lorsqu'on adhère à des conventions ou des traités, il revient au pays adhérant de soumettre les textes au Parlement afin d'adopter des lois pour les rendre contraignants. Il n'a jamais été question pour Haïti de signer ni d'entériner ces deux conventions adoptées après la 2e guerre mondiale. Certains juristes parlent d'interpeler M. Duvalier au Tribunal pénal international (TPI) alors que ce tribunal a été créé pour statuer sur les crimes qui ont été commis durant sa création.

À ma connaissance, M. Duvalier n'a jamais été condamné, même par contumace pour les crimes touchant les droits de la personne. Les actions entreprises par le gouvernement de la République concernaient uniquement les crimes économiques qu'il a commis durant son règne. Il est important de rédiger des articles éducatifs comme celui-là pour éduquer nos juristes qui refusent de prendre le temps de s'informer avant de dire n'importe quoi. C'est dommage, cher confrère...

Jean-Marie Mondésir
Juriste haïtien
Président de société de juristes