mercredi 19 mars 2008

DE LA BINATIONALITÉ

DE LA BINATIONALITÉ

La double nationalité se définit par l’appartenance simultanée à la nationalité de deux États. C’est donc le fait de posséder deux nationalités et d’appartenir à deux pays différents. Certains États comme le Congo (RDC), la Chine, le Japon, la Finlande et Haïti l’interdisent expressément. D’autres l’autorisent pleinement et simplement. D’autres, enfin, ne l’interdisent que pour l’exercice de certains mandats ou fonctions publiques.

Dire qu’un passeport est un simple livret de voyage qui n’engage pas la nationalité d’une personne n’est pas exact. Le passeport est un document officiel délivré à ses ressortissants par l’administration d’un pays, certifiant l’identité de son détenteur pour lui permettre de circuler à l’étranger.

En spéculant de la sorte sur la problématique de la double nationalité, nous soulevons un faux débat. On a compliqué le sujet à tel point qu’il est maintenant difficile à chacun de se retrouver. Mêmes les autorités qui s’y engageaient ne parviennent pas à en trouver l’issue.

Juridiquement, l’article 15 de la Constitution ne prête à aucune équivoque : « La double nationalité Haïtienne et Étrangère n’est admise dans aucun cas ». Mais politiquement, on est en droit de poser la question : ‘’Cette disposition est-elle juste ou injuste au regard de la situation socio-économique du pays ? C’est-à-dire : La double nationalité serait-elle bénéfique ou non pour Haïti ? Et c’est là que devrait centrer le débat.

Le problème est simplement politique et non juridique. Personnellement, je pense qu’on devrait réviser plusieurs articles de la constitution, notamment l’article 15, pour permettre aux compatriotes qui, pour une raison ou pour une autre, avaient, dans un moment de leur vie, acquis une nationalité étrangère, de garder ou reprendre leur nationalité d’origine ; avec des restrictions pour certaines fonctions politiques ou publiques. Cette réserve reste à débattre et à préciser.

Nous avons trop de compétences à l’étranger, nous en avons aussi en Haïti mais elles sont minimes et ne sont pas au timon des affaires de l’Etat. Les pays du Maghreb : Tunisie, Algérie, Maroc, Libye et Mauritanie, ont largement profité de leurs binationaux. Haïti pourrait également bénéficier de la science de ses nombreux fils savants, éparpillés à travers le monde.

Maintenant, qu’en est-il de ceux-là qui ont sciemment transgressé la loi haïtienne en se faisant délivrer, par des manœuvres frauduleuses et dans l’intention de tromper, un passeport pour lequel il n’était pas habilité ? Ces individus sont agents infracteurs au même titre que le pauvre paysan qui a volé un régime de bananes et qui croupit en prison, attendant instamment, l’heure de son jugement.

À travers le monde, la double nationalité n’a rien de controversée au regard des législations. Qu’elle soit autorisée ou non, elle n’est autre qu’une théorie de l’organisation d’un État souverain par rapport à sa politique. Certains pensent qu’on ne peut pas s’asseoir sur deux chaises à la fois et qu’il faut choisir, d’autant que l’article 14 de la constitution de 1987 offre l’opportunité de recouvrer la nationalité haïtienne. D’autres le voient différemment…et les opinions n’en finissent plus.

Cependant, il n’est un secret pour personne que, aux Etats-Unis et au Canada, la double nationalité pose des problèmes lors de l’embauche dans les sociétés très sérieuses car il y a un manque de confiance par rapport au statut binational du demandeur d’emploi. Et cela peut se comprendre. En France, hier encore, un chef de parti, M. Jean-Marie Le Pen, a demandé publiquement à la Ministre de la justice, Madame Rachida Dati, née en Saône-et-Loire, de décliner sa nationalité, sachant qu’elle est de père marocain et de mère algérienne. C’est une façon pour dire que cela a fait et fait encore l’objet de débat politique dans plusieurs pays. Doit-on l’autoriser en Haïti ? La nation entière et chaque Haïtien indistinctement devront dire leur mot.

Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 19 mars 2008

1 commentaire:

PORT-SALUT MAGAZINE a dit…

Me Fortuné,

J'ai lu avec intérêt ton texte sur la double nationalité, car c'est un sujet qui me passionne énormément. Je crois qu'il est grand temps de pencher sur les vrais problèmes de notre société. Notre chère Haiti ne peut plus faire les frais des politiciens aigris qui cherchent à exclure le national d'un pays pour des raisons politiques en se basant sur l'article 15 de la Constitution de 1987. Il est important que les juristes de notre plus haute instance ouvrent le débat de manière à donner un avis juridique sur l'application de l'article 15 de la loi fondamentale du pays. Du point de vue terminologique, il y a une différence fondamentale à faire entre les notions de nationalité et de citoyenneté.

La nationalité est un droit acquis dès la naissance en fonction d'un lien paternel / maternel ou en vertu du droit international (us soli, us sanginis). Alors que la citoyenneté est un privilège accordé à un ressortissant d'un autre pays qui réside pendant longtemps dans une ville ou d'un pays et qui n'enfreint pas les règles établies pour bénéficier d'un tel privilège. Ce qui revient à dire, un natif peut avoir plusieurs citoyennetés, mais une seule nationalité. À mon avis, si un natif n'a pas renoncé à sa nationalité d'origine par une déclaration expresse devant les autorités compétentes, personne ne peut lui opposer le contraire.

Selon moi, on devrait avoir une interprétation assez large de l'article 15 de la Constitution pour ne pas exclure la force pensante (élite intellectuelle haitienne) qui est à l'extérieur du pays. Lorsqu'on sait que la diaspora contribue près de 1milliard 600 millions à l'économie du pays, j'ai la difficulté à comprendre la réaction de certaines personnes qui cherchent à établir une différence entre l'Haitien local et celui vivant à l'étranger. Nous sommes tous les fils et filles d'une même Nation en dérive, il est urgent de se serrer la ceinture pour contribuer à son avancement et non pas à sa destruction. D'après moi, on peut invoquer l'application de l'article 15 lorsqu'il existe un conflit entre deux lois dans un contexte du droit international.

La Constitution parle de celui qui a renoncé à sa nationalité d'origine. Il est bon de se demander : quel est le sort réservé aux ressortissants haïtiens ayant obtenu leur citoyenneté dans un pays comme le Canada, la France, l' Italie où l'on tolère la double citoyenneté. J'aimerais bien conclure en disant qu'il ne peut pas exister deux nationalités, mais deux ou plusieurs citoyennetés. On nait Haïtien et on meurt Haïtien. Même si on detient le passeport d'un autre pays, ce n'est pas une preuve suffisante pour qu'un natif puisse perdre sa nationalité. Il faudra que les autorités compétentes puissent faire la preuve d'une déclaration expresse de la part de l'intéressé attestant qu'il a renoncé de son propre chef à ce droit acquis dès la naissance. Si les parlementaires consacrent leur temps à élaborer et à voter des lois sérieuses pour supporter le développement du pays, ce serait une très bonne chose pour la démocratie.

Créer la division entre les fils et filles d'une même Nation pour satisfaire leurs intérêts mesquins, ce n'est pas le rôle d'une institution parlementaire crédible dans un pays où il existe une extrême pauvreté. Il serait préférable d'adopter des lois pour punir les parlementaires qui acceptent des pots de vins pour donner leur appui à un quelconque projet de lois qui va à l'encontre des intérêts de la collectivité des citoyens de notre chère Haiti.

Jean-Marie Mondésir
Juriste haitien