samedi 31 mai 2008

UN PROBLÈME TRÈS SÉRIEUX

UN PROBLÈME TRÈS SÉRIEUX

Il est évident qu’un texte de lois a pour principal objectif de consolider un système juridique par des logiques de pensée bien ancrées. On sait très bien que les systèmes anglo-saxon et romano germanique se diffèrent sur des points fondamentaux. Cela s’explique particulièrement du fait que les dispositions légales sont le plus souvent le résultat de réflexions philosophique, psychologique, moral, culturel et même religieux, propres à chaque pays. Ainsi, ne soyez pas étonné devoir des notions de droit américain ou anglais telles : « plea bargain, common law ou equity », totalement inconnues dans le système juridique haïtien. La raison c’est que nous ne faisons pas partie de la même famille de droit. Ceci ne veut pas dire qu’un compatriote haïtien ne peut pas être poursuivi par un tribunal canadien ou qu’un ressortissant américain ne peut être jugé en Italie. Les procédures sont variées d’un système à l’autre mais le droit reste et demeure universel. La justice ne parle qu’une langue : celle de l’équité.

Il nous est donné de constater un sérieux problème de traduction au niveau de la justice en Haïti. Les procès se tiennent généralement en français. Les jugements sont rendus également dans la langue des blancs venus de l’Hexagone…au nom de la république. Le juge, le Ministère Public, les avocats s’expriment fièrement dans la dialectique de Voltaire. Mais on n’a jamais vu un de ces messieurs plaider ou rendre une décision dans la langue de nos ancêtres. Honte ou complexe ? Ce qui est certain, le pauvre bougre qui est assis sur le banc de l’accusé ne comprend rien de la mascarade qui se fait. Il est là, sur la sellette, à regarder son avocat et le représentant de la société faire de belles envolées juridiques, dire des formules consacrées et des choses qui lui échappent, en se demandant désespérément à quoi jouent ces diables en noir ? On est en train de le sacrifier dans un patois qu’il ne comprend même pas. Le comble de la démagogie, on lui pose des questions en français par l’entremise du magistrat de siège qui, en grand manitou, les lui traduit dans sa langue maternelle. C’est un fait, le créole n’est pas apprécié ; il fait également objet de discrimination à outrance de la part des professionnels du droit.

On parle sur terre de deux à trois mille langues. On ne peut avancer un nombre précis, car il est souvent difficile de décider si deux « parlers » sont des langues ou des dialectes. A peu près 90% des haïtiens ne parlent pas le français, alors, pourquoi poursuivre un prévenu dans une langue dans laquelle il ne peut pas se défendre voire donner des répliques. C’est le même constat dans les Justices de Paix et aux Cabinets d’Instruction. Les magistrats posent les questions en créole et transcrit les réponses en français sur le procès-verbal d’interrogatoire. Un juge n’a pas le droit de traduire la déclaration d’un prévenu. Il doit recourir à un traducteur légalement assermenté, expert dans le domaine si, éventuellement, il se trouve confronté à pareil dilemme.

Ce problème est très sérieux dans la mesure où, parfois, la traduction de la déposition produit des effets inattendus pour n’être pas fidèle. On connaît l’histoire de ce juge qui, par erreur, ajoute dans sa traduction un zéro sur une somme, au moment de retranscrire une déposition. Nous le disons à qui veut l’entendre : il est difficile pour une personne, fut-ce un juriste, de bien traduire une déclaration sans une maîtrise parfaite de la langue en question. Or, l’on sait combien le français est nuancé. Le Juge qui s’adonne à de telles pratiques se trouve dans l’obligation de choisir un mot français équivalent plutôt que de conserver le terme créole original et de l’expliciter à sa manière, ce qui apparaît pour le moins incongru. Jusqu'à présent, la classification typologique, qui consiste à regrouper les langues présentant des structures grammaticales semblables, n’a pas encore donné de résultats satisfaisants.

Le droit n’est pas une simple affaire de traduction des mots. Bien sûr, on peut chercher dans les dictionnaires créoles pour vérifier le sens exact des termes et obtenir l’équivalent mais qu’en est-il des codes de lois qui sont tous écrits et édités en français ? Ici le problème se pose avec plus d’acuité. En vérité, cette façon de faire des magistrats et des avocats provoque, le plus souvent, la culpabilité du mis en cause. Traduire en français le créole haïtien devant la justice a pour effet de donner naissance à des stipulations incorrectes et des mésinterprétations regrettables avec toutes les conséquences que cela peut avoir pour les parties concernées. Ne dit-on pas ’’traduire c’est trahir’’ ? Si la Constitution de la République reconnaît deux langues officielles, par contre, le créole n’a pas encore trouvé sa place dans les tribunaux haïtiens où le français règne en maître…comme au temps de la Colonie.

Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 01 Juin 2008

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