lundi 7 janvier 2008

LA MAGISTRATURE AU FIL DES ANS

LA MAGISTRATURE AU FIL DES ANS

La magistrature haïtienne connaît des jours difficiles. Comme toutes les institutions publiques, elle vit une tension de plus en plus insupportable entre l’idéal de l’État de Droit et le poids écrasant de sa situation de misère chronique engendrée par le manque de vision de nos dirigeants.

Nous sommes fondé à nous demander si certains choix budgétaires qui la concernent ne sont pas dictés par une politique à courte vue ou du moins à court terme, voire par une méconnaissance inquiétante des conditions intellectuelles et matérielles indispensables à une bonne administration de la justice.

Le fait est là : les magistrats subissent chaque jour un peu plus durement le décalage entre l’augmentation du nombre des affaires, en législation comme en administration, et la stagnation de leurs moyens. Il y a un mépris quasi-total de leur vécu quotidien et de leur statut social.

Il faut convenir qu’un effort important a été consenti pour les matériels roulants durant l’année écoulée en faveur de certains magistrats de la république, notamment les chefs de juridiction: doyens et commissaires du gouvernement, même si pour des raisons ignorées, les résultats de cet effort tardent à se faire sentir au niveau des cabinets d'instruction de la province.

Pour des motifs d'ordre politique et préférentiel, les magistrats instructeurs surnommés à juste titre "les juges de l'enquête" n'ont pas été invités à la mascarade de remise des clés pour laquelle on a fait tout un tapage médiatique. Des parlementaires sont intervenus auprès du ministère de la justice pour l'octroi de véhicule à tel ou tel magistrat partisan ou sympathisant. Décidément, la politique est partout dans ce pays. Et puis, on parle de réforme et d'indépendance!

Nous nous demandons très sérieusement ce qu’il serait advenu de l’institution judiciaire si certains magistrats honnêtes n’avaient pas eu à cœur d’aller jusqu'à l’extrême de leur capacité de travail, n’avaient pas donné et ne continuaient pas à donner l’exemple d’un dévouement auquel nous tenons à rendre publiquement l’hommage de notre affectueuse admiration.

Il n’eut pas été honnête de commencer la nouvelle année en faisant comme si de rien n’était et en ne disant pas haut et fort que nous avons atteint les limites du possible, celle au-delà desquelles nous ne serons plus en mesure de remplir les missions que la loi nous confie ou du moins de les remplir sans risque pour la qualité de notre travail et, disons-le crûment, pour notre équilibre et pour notre santé.

Les magistrats font un travail difficile et à haute responsabilité. A-t-on conscience de la somme de recherches, de réflexions, de débats, parfois d’ingéniosité, toujours de labeur qu’exigent un bon réquisitoire, une bonne ordonnance et un bon arrêt de la part de ceux qui concourent à leur élaboration ? N’est-il pas légitime de revendiquer que notre magistrature soit reconnue non seulement par l’attribution de compétences croissantes et par la confiance des justiciables mais aussi par l’octroi de moyens comparables à ceux dont disposent nos collègues des pays voisins, ce dont nous sommes actuellement bien loin, comme chacun le sait ? La réforme mettra-t-elle un terme à toutes ces incohérences outrageantes ? C’est l’unique vœu que nous formulons pour la justice en ce début d’année 2008.


Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 06 janvier 2008

Aucun commentaire: