mardi 9 septembre 2014

SANS TRANSITION




SANS TRANSITION

Une disposition transitoire est un élément d’un texte de loi qui prévoit les conditions d’entrée en vigueur de celle-ci et comment elle s’insère dans le droit existant. Elle est donc destinée à assurer, pendant une période donnée, la continuité de l’application d’une loi à compter de sa publication, ce, pour éviter certaines difficultés d’ordre administratif. En ce sens qu’elle ne se conçoit que lors d’un changement de loi affectant la relation d’imputation ou les effets juridiques attachés à certains faits constituant le présupposé de la loi ancienne ou d’une réalité existante, à l’égard de faits que le droit est insuffisant à liquider dans l’immédiat, rendant ainsi impossible ou inapproprié  l’application directe de la nouvelle disposition. Donc, sa raison d’être n’est autre que d’assurer la continuité de l’État afin d’éviter les vides qui créeraient tout simplement un instant de non droit ou de négation de droit. Et le non respect de cette mesure préliminaire s’apparente soit à la mauvaise foi des gouvernants, soit à leur incapacité de mettre en œuvre les innovations impulsées par le constituant.

L’article 69 de la loi portant le statut de la Magistrature, se trouvant dans le titre Ѵ qui traite des dispositions transitoires, et l’article 41 de la loi créant le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire, ayant étonnamment le même libellé, spécifient :  « Les Juges de la Cour de Cassation, des Cours d’Appel, des Tribunaux de Première Instance, des Tribunaux spéciaux et des tribunaux de Paix occupent leur fonction jusqu’à ce que leur poste soit pourvu conformément à la Constitution et qu’ils aient été certifiés quant à leur compétence et intégrité morale et obtenu leur approbation du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire ». Si l’on se réfère à l’esprit et à l’interprétation stricte de ces deux articles, le législateur, dans un souci de prolongation sans interruption ou de l’évolution naturelle des choses, avait prévu une phase transitoire spécifique sans heurts de la situation actuelle des Magistrats au nouveau régime dont ils seront astreints. En d’autres termes, cette disposition assure une unité, une étape intermédiaire mais provisoire entre deux éléments dissemblables.

Pourtant, pas un seul membre du Conseil n’a pu interpréter correctement lesdits articles ou du moins, ne veut pas les prendre dans leur acception, préférant plutôt, au mépris de la loi et pression à l’appui, interdire à tout juge dont le mandat est arrivé à terme de poser des actes relevant de l’exercice de sa fonction et de se dessaisir de toute affaire pendante en attendant qu’il soit éventuellement reconduit dans son poste. Si personne, du simple Fondé de Pouvoir aux grandes sommités de la basoche, blanchies sous le harnais, n’a pu comprendre qu’en fait, les Juges en fonction à partir du 20 décembre 2007, date de publication des lois de réforme dans le ‘’Moniteur’’, Journal officiel de la République, n’ont plus de mandat à proprement parler  mais gardent leur fonction provisoirement d’après la lettre des dispositions transitoires jusqu'à ce que la certification, pour voir régulariser leur situation, ait lieu… Alors là, c’est grave ! D’autant plus grave que les sieurs et dames du Conseil oublient que la Justice est un service public qui implique une régularité assurée, sans retard dans le temps, sans discontinuité gênante ou pénalisante pour l’usager et que, dès lors, on ne peut bloquer les Tribunaux pour une question de  fin de mandat qui ne pose pas, dans ce contexte, un problème de droit, pouvant nuire aux intérêts du justiciable. Fort de ces considérations et, eu égard à l’article 69 de la loi portant le statut de la Magistrature et l’article 41 de celle créant le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire, la décision qui aura cassé un jugement définitif rendu par un Tribunal ou une ordonnance de clôture du Cabinet d’Instruction sous ce fallacieux prétexte ne sera autre qu’un Arrêt de complaisance. Le Juge n’est en rien responsable de sa situation si la procédure de certification, telle que prévue, n’est jusqu'à présent pas entamée. C’est une démarche purement administrative qui ne peut avoir d’incidence sur la reconduction des Magistrats compétents et sérieux contre qui aucune plainte, reproche ou blâme n’a été adressée dans l’exercice de leur fonction ou dans leur fonctionnement de tous les jours.

Malheureusement, la question de renouvellement du mandat, telle qu’engagée, s’apparente, plus que jamais, à un chantage sans précédent n’ayant d’autre but que d’enfoncer la Magistrature dans un abime sans fond. La chasse aux Magistrats honnêtes et intègres est ouverte. Les vingt Magistrats commissionnés, à la va vite, par arrêté présidentiel et fraichement investis sont mal nommés pour n’avoir pas été préalablement certifiés quant à leur compétence et intégrité morale, au vœu de la loi. La Justice haïtienne entre probablement dans une phase inédite de son histoire. Jamais elle n’a été aussi démonétisée. Déjà rejetée par une majorité de citoyens mais gardait néanmoins la confiance de cœur de certains… aujourd’hui, elle ne peut même pas compter sur sa propre famille. Le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ) ne lui aura servi ni de bouclier ni de bouée de secours contre les dérives. Et puisqu’aucune amélioration tangible de la conjoncture n’est à attendre, il y a fort à parier que la débâcle va se poursuivre. Mais immanquablement, le non renouvellement du mandat de certains Magistrats professionnels produira une agitation sensible et laissera des traces dans l’opinion. Or, politiquement et dans la situation actuelle des choses… le gouvernement n’en a pas besoin pour le moment.

Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haitien, Haïti, ce 09 Septembre 2014

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