SANS TRANSITION
Une disposition transitoire est un
élément d’un texte de loi qui
prévoit les conditions d’entrée en vigueur de celle-ci et comment elle s’insère
dans le droit existant. Elle est donc destinée à assurer, pendant une période
donnée, la continuité de l’application d’une loi à compter de sa publication,
ce, pour éviter certaines difficultés d’ordre administratif. En ce sens qu’elle
ne se conçoit que lors d’un changement de loi affectant la relation
d’imputation ou les effets juridiques attachés à certains faits constituant le présupposé
de la loi ancienne ou d’une réalité existante, à l’égard de faits que le droit
est insuffisant à liquider dans l’immédiat, rendant ainsi impossible ou inapproprié
l’application directe de la nouvelle
disposition. Donc, sa raison d’être n’est autre que d’assurer la continuité de
l’État afin d’éviter les vides qui créeraient tout simplement un instant de non
droit ou de négation de droit. Et le non respect de cette mesure préliminaire s’apparente
soit à la mauvaise foi des gouvernants, soit à leur incapacité de mettre en
œuvre les innovations impulsées par le constituant.
L’article 69 de
la loi portant le statut de la Magistrature, se trouvant dans le titre Ѵ qui
traite des dispositions transitoires, et l’article 41 de la loi créant le
Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire, ayant étonnamment le même libellé,
spécifient :
« Les Juges
de la Cour de Cassation, des Cours d’Appel, des Tribunaux de Première Instance,
des Tribunaux spéciaux et des tribunaux de Paix occupent leur fonction
jusqu’à ce que leur poste soit pourvu conformément à la Constitution et qu’ils
aient été certifiés quant à leur compétence et intégrité morale et obtenu leur
approbation du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire ». Si l’on se
réfère à l’esprit et à l’interprétation stricte de ces deux articles, le
législateur, dans un souci de prolongation sans interruption ou de l’évolution
naturelle des choses, avait prévu une phase transitoire spécifique sans heurts
de la situation actuelle des Magistrats au nouveau régime dont ils seront
astreints. En d’autres termes, cette disposition assure une unité, une étape
intermédiaire mais provisoire entre deux éléments dissemblables.
Pourtant, pas
un seul membre du Conseil n’a pu interpréter correctement lesdits articles ou
du moins, ne veut pas les prendre dans leur acception, préférant plutôt, au
mépris de la loi et pression à l’appui, interdire à tout juge dont le mandat
est arrivé à terme de poser des actes relevant de l’exercice de sa fonction et
de se dessaisir de toute affaire pendante en attendant qu’il soit éventuellement
reconduit dans son poste. Si personne, du simple Fondé de Pouvoir aux grandes
sommités de la basoche, blanchies sous le harnais, n’a pu comprendre qu’en fait,
les Juges en fonction à partir du 20 décembre 2007, date de publication des
lois de réforme dans le ‘’Moniteur’’, Journal officiel de la République, n’ont
plus de mandat à proprement parler mais
gardent leur fonction provisoirement d’après la lettre des dispositions
transitoires jusqu'à ce que la certification, pour voir régulariser leur
situation, ait lieu… Alors là, c’est grave ! D’autant plus grave que les sieurs
et dames du Conseil oublient que la Justice est un service public qui implique
une régularité assurée, sans retard dans le temps, sans discontinuité gênante
ou pénalisante pour l’usager et que, dès lors, on ne peut bloquer les Tribunaux
pour une question de fin de mandat qui
ne pose pas, dans ce contexte, un problème de droit, pouvant nuire aux intérêts
du justiciable. Fort de ces considérations et, eu égard à l’article 69 de la
loi portant le statut de la Magistrature et l’article 41 de celle créant le
Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire, la décision qui aura cassé un jugement
définitif rendu par un Tribunal ou une ordonnance de clôture du Cabinet
d’Instruction sous ce fallacieux prétexte ne sera autre qu’un Arrêt de
complaisance. Le Juge n’est en rien responsable de sa situation si la procédure
de certification, telle que prévue, n’est jusqu'à présent pas entamée. C’est
une démarche purement administrative qui ne peut avoir d’incidence sur la
reconduction des Magistrats compétents et sérieux contre qui aucune plainte, reproche
ou blâme n’a été adressée dans l’exercice de leur fonction ou dans leur
fonctionnement de tous les jours.
Malheureusement,
la question de renouvellement du mandat, telle qu’engagée, s’apparente, plus
que jamais, à un chantage sans précédent n’ayant d’autre but que d’enfoncer la
Magistrature dans un abime sans fond. La chasse aux Magistrats honnêtes et
intègres est ouverte. Les vingt Magistrats commissionnés, à la va vite, par
arrêté présidentiel et fraichement investis sont mal nommés pour n’avoir pas
été préalablement certifiés quant à leur compétence et intégrité morale, au vœu
de la loi. La Justice haïtienne entre probablement dans une phase inédite de
son histoire. Jamais elle n’a été aussi démonétisée. Déjà rejetée par une majorité
de citoyens mais gardait néanmoins la confiance de cœur de certains… aujourd’hui,
elle ne peut même pas compter sur sa propre famille. Le Conseil Supérieur du
Pouvoir Judiciaire (CSPJ) ne lui aura servi ni de bouclier ni de bouée de
secours contre les dérives. Et puisqu’aucune amélioration tangible de la
conjoncture n’est à attendre, il y a fort à parier que la débâcle va se
poursuivre. Mais immanquablement, le non renouvellement du mandat de certains
Magistrats professionnels produira une agitation sensible et laissera des
traces dans l’opinion. Or, politiquement et dans la situation actuelle des
choses… le gouvernement n’en a pas besoin pour le moment.
Heidi
FORTUNÉ
Magistrat,
Juge d’Instruction
Cap-Haitien,
Haïti, ce 09 Septembre 2014
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