mercredi 18 mai 2016

HAUTS FONCTIONNAIRES: FAUX DÉBAT



HAUTS FONCTIONNAIRES: FAUX DÉBAT

La notion de ''Haut Fonctionnaire'' est une expression qui n'a aucune existence juridique sinon statutaire. Elle est utilisée par commodité pour désigner une personne qui occupe un poste très élevé dans la fonction publique. On parle alors de ''Grands Commis'' de l'État. Sont considérés comme tels: le Président de la République, le Premier Ministre, les Ministres, les Secrétaires d'État, les Membres du Conseil Électoral Permanent et ceux de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif, les Juges et les Officiers du Ministère Public près la Cour de Cassation et le Protecteur du Citoyen. Ils jouissent de multiples privilèges et échappent au contrôle de la juridiction de droit commun pour les actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions. Ainsi, seule la Haute Cour de Justice, constituée de sénateurs assistés du Président et du Vice-président de la Cour de Cassation, est compétente pour juger cette catégorie de personnes, et elle ne peut prononcer à leur égard qu'une seule et unique peine: la destitution assortie de la déchéance et la privation du droit d'exercer toute fonction publique durant cinq ans au moins et quinze ans au plus.

Les actes commis par un ministre dans l'exercice de ses fonctions sont ceux qui ont un rapport direct avec la conduite des affaires de l'État relevant de ses attributions. Si celui-ci relève de la Haute Cour de Justice tel que prévu par la constitution, les comportements concernant sa vie privée en sont exclus. Par exemple: pour viol, meurtre, enlèvement et autres infractions pénales, il peut être poursuivi et jugé par-devant un tribunal ordinaire même s'il est encore ministre. La procédure diffère également selon que la poursuite est engagée contre lui, après avoir laissé le portefeuille ministériel, pour crime de malversations remontant à sa gestion de la chose publique. Il est alors, en principe, traité comme tout justiciable devant un tribunal classique. Pour cela, un arrêt de débet de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSCCA) ou un rapport sur sa gestion par des organismes étatiques affectés à cette fin tels: l'Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC) ou l'Unité Centrale de Renseignement Financier (UCREF), s'avère indispensable sous peine d'irrecevabilité de l'action.

C'est peu réfléchi de dire que tout ancien Haut Fonctionnaire de l'État est passible d'un tribunal d'exception pour des actes de gabegie découlant de son administration, après son passage à un poste de responsabilité. C'est là un raisonnement subtil, vainement minutieux et dépourvu de logique par rapport à la mesure que peut prendre la Haute Cour de Justice qui est, d'ailleurs, une instance de nature plus politique que réellement juridique eu égard à sa composition constituée en majorité de parlementaires et sa compétence qui se limite au seul prononcé de destitution. Il n'y a aucune matière à mésinterprétation, la constitution et les lois républicaines sont, on ne peut plus, claires. Et aucune jurisprudence n'est répertoriée en ce sens à part l'exemple du fameux ''Procès de la Consolidation'' qui mettait à rude épreuve, entre 1903 et 1904, sous la présidence de Nord Alexis, plusieurs hauts dignitaires, dilapidateurs des deniers nationaux, dont des anciens ministres de l'ex président Tirésias Simon-Sam, après la découverte de ténébreuses irrégularités dans les finances de l'État. Les révélations accablantes et scandaleuses de l'affaire des bons consolidés suscitèrent l'indignation, et le procès auquel il donna lieu restera le plus sensationnel dans les annales judiciaires haïtiennes.

Parmi les plus célèbres consolidards se trouvaient les membres de la famille de l'ancien Chef de l'État dont sa femme Constance et ses deux fils Lycurgue et Démosthène, des Sénateurs et anciens Hauts Fonctionnaires; nous citons: Cincinnati Leconte, Tancrède Auguste, Vilbrun Guillaume-Sam, Admète Malebranche, Fénelon Laraque, Hérard Roy, Rodolphe Tippenhauer ... Ils ont tous été condamnés aux travaux forcés pour faux, usage de faux, vol et recel dans un procès absolument ''équitable et impartial''. Une opinion, d'ailleurs, largement partagée, à cette époque, par des journalistes étrangers, des représentants de la cour d'Appel de Paris et par tous les diplomates accrédités en Haïti. Les pillards de fonds publics ont été jugés devant un tribunal de droit commun conformément à la loi du 27 juin 1904 sur les poursuites contre les Ministres (Moniteur No 52 du 29 juin 1904) qui stipule en ses articles 1 et 2 combinés: " Quand le Président de la République et quand les fonctionnaires visés par la loi du 07 juillet 1871 ne sont plus en fonction et qu'il y ait lieu de les poursuivre à l'occasion des crimes et délits commis pendant qu'ils étaient en fonction, les seules formalités à remplir sont celles prévues par le code d'instruction criminelle". "La compétence du juge d'instruction et des tribunaux de répression en ce qui concerne ces anciens fonctionnaires, comme du reste, à l'égard de tous autres fonctionnaires politiques, demeure entière et n'est subordonnée à aucune autorisation préalable des chambres législatives, lesquelles conservent néanmoins tous droits d'enquêtes et de dénonciations."  

Donc, qu'on ne vienne pas maintenant crier à la persécution politique et nous embobiner sur la juridiction apte à juger un ancien ministre qui ne bénéficie d'aucun statut particulier. Et puis, qu'on se le dise: dans la conception actuelle des affaires politiques, ceci, à travers le monde, le détournement de fonds publics associé au vol et au gain illicite représentent le plus grand crime contre une nation.

Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Inspecteur Judiciaire
Cap-Haïtien, Haïti, ce 18 mai 2016