dimanche 15 septembre 2024

HARRY SANCHEZ: HOMMAGE À UN GÉANT DU DROIT HAÏTIEN

 

HARRY SANCHEZ: HOMMAGE À UN GÉANT DU DROIT HAÏTIEN 

HARRY SANCHEZ: HOMMAGE À UN GÉANT DU DROIT HAÏTIEN

Il est des destins qui sortent des sentiers battus. La vie de Me Harry Sanchez, décédé aux États-Unis d’Amérique le 27 août 2024 suite à une insuffisance rénale, fut exemplaire à cet égard. Il était un modèle de science et de rigueur à nul autre pareil. Comblé de talents, il émergeait toujours et partout du lot commun des hommes. Il incarnait à lui seul la réflexion supérieure, la médiation supérieure et le courage supérieur. Il fut à l’écoute de tous ceux qui l’approchaient, et il leur donnait sans compter son temps, son savoir et sa générosité. Cela lui a valu durant toute sa vie une vénération admirative.

Jeune substitut au parquet du Cap-Haïtien, je me souviens de ce talentueux avocat, de ses prises de parole captivantes, de sa verve. À la barre, il était  un véritable artiste… une virtuose. Il avait l’imagination et la fantaisie dans la parole. Mais ce que j’ai toujours gardé en mémoire, c’est cette intervention, remarquable en son genre, qui laissa interdit le doyen du tribunal, accompagné des sbires du pouvoir dépêchés au Cap-Haïtien, spécialement pour procéder à l’arrestation du chef du parquet et l’emmener avec eux à Port-au-Prince pour une affaire à la fois sulfureuse et exagérément compliquée. Le bâtonnier Sanchez, flanqué de quelques membres de son Conseil, s’est dressé comme un obstacle entre le projet politique concocté et sa réalisation macabre. J’avoue avoir été submergé de fierté ce jour-là. C’était en 2003…, j’avais déjà 30 ans.

Dans ses plaidoiries, on admirait tout autant le travail de bénédictin que la maîtrise du style et le souci de défendre correctement son client. Harry Sanchez connaissait le pouvoir des mots, ces outils qu’on utilise pour s’exprimer et communiquer, pour révéler la vérité et pour mentir, pour séduire et pour insulter, pour convaincre et pour égarer. Il était un vrai monstre sacré au prétoire. Les jeunes auxquels il sut tracer les voies d’un avenir meilleur resteront fidèles au souvenir de ce grand homme de loi idéaliste qui refusait qu’ils s’enlisent dans la facilité et la médiocrité.

Harry Sanchez ne ménagea jamais sa générosité professionnelle. Il s’imposait par ses idées et par son travail, mais ce qui frappait plus encore, c’est que malgré son aura et son talent, il n’a, à aucun moment, cherché à entrer dans l’arène politique. Il savait combien son activité au sein du barreau servait à alimenter celle de son entourage. Il aimait manifestement ce rôle d’inspirateur et s’en réjouissait tout simplement. Ce qui me surprit dans cette prodigieuse personnalité, c’est assurément une intelligence aiguë, une mémoire remarquable, une sensibilité fine, une curiosité étendue, une capacité de travail presque sans limites, ce à quoi correspond ce qu’on pourrait appeler une inaptitude au repos. Il avait une détermination sans bornes et une ténacité qui force le destin.

J’ai eu l’honneur et le privilège de côtoyer cette légende, d’abord, comme professeur à la faculté de droit alors que je n’étais qu’un simple étudiant en herbe, et plus tard comme adversaire acharné et coriace dans les différentes salles d’audience du palais de justice quand je suis devenu ministère public, après être passé par l’École de la Magistrature. C’était un plaideur hors du commun qui savait se courber devant les bonnes décisions taillées à l’angle du droit, sans espièglerie et sans maniérisme. Il savait aussi donner raison à son vis-à-vis quand la cause était perdue et n’essayait jamais d’induire le tribunal en erreur. Je parle ici d’un homme bon et merveilleux qui n’avait rien d’un saint et qui pouvait même être un sale type antipathique en bien des occasions, en raison de ses émotions éprouvées face à un comportement inapproprié ou une violation flagrante de la loi par un magistrat. En effet, il pouvait outrager, sans penser aux conséquences, tout un tribunal quand il se trouvait en face de juges incompétents, intéressés, ignorants ou corrompus. Ça aussi était l’un des traits distinctifs du personnage.

Si sa force de caractère, son extraordinaire indépendance le faisaient apparaître parfois comme un homme autoritaire, c’était à la vérité un homme d’autorité qui savait avoir des moments d’humeur, le plus souvent justifiés, mais qui n’avait rien d’un autocrate (prenant seul ses décisions, et imposant sa volonté personnelle). Il aimait solliciter les avis des autres et écoutait généralement les conseils. Exigeant certes envers ceux qui l’entourent, il l’était plus encore envers lui-même. Néanmoins, ces collaborateurs et ses amis tiennent tous pour un privilège d’avoir pu le connaître, d’avoir pu l’assister et aussi d’avoir pu l’aimer.

L’un des malheurs de notre existence est de voir disparaître sous nos yeux, les parents, les amis et les collègues qui nous sont chers. Harry Sanchez n’a pas cherché la mort, mais en bon guerrier, il était prêt à la rencontrer. Il restera une présence permanente, par-delà son absence et au-delà même de sa cruelle fin de vie. Puisse-t-il reposer dans la paix et la mémoire de tous ceux qui furent l’objet de sa sollicitude et de son amitié. Son départ va nous marquer à jamais.

Les avocats et les magistrats garderont de sa personnalité le souvenir impérissable d’un homme de bien auquel le monde judiciaire, à l’unanimité, rend aujourd’hui un hommage fait de sensibilité et de confraternité exemplaires. Inclinons avec émotion devant l’œuvre hors du commun qui fut la sienne. Saluons en lui un des grands constructeurs de la pensée juridique du Cap-Haïtien en particulier, et du pays en général. Puissions-nous prolonger inlassablement la route que son prestigieux exemple nous incite à suivre.