lundi 30 juillet 2007

JUSTICE POUR LA JUSTICE ...

Me Heidi Fortuné n'a pas cessé de dire tout haut ce que les autres pensent tout bas des conditions déplorables du pouvoir judiciaire haitien. Il demande justice pour le pouvoir judiciaire auquel il est membre à part entière. Il n'est pas un politicien, mais un juriste qui a coeur un système judiciaire efficace dépourvu de l'ingérence politique et des fonctionnaires corrompus. Le texte ci-dessous constitue un vibrant plaidoyer d'un ancien procureur (substitut du gouvernement) qui cherche à denoncer le statu quo pour faire bouger les responsables du pays. Il refuse de rester les bras croisés par devant les injustices subies du pouvoir judiciaire. Il a bien plaidé sa cause en faveur du 3e pouvoir qui est toujours considéré comme parent pauvre de l'État haïtien. Ses propos incitent à une profonde réflexion sur les conditions lamentables de l'appareil judiciaire haïtien. Pour lui, le pouvoir exécutif se doit de conserver l'équilibre entre les trois pouvoirs (Legislatif, judiciaire, exécutif) et réparer les dommages causés par sa négligence de doter le pouvoir judiciaire des moyens adéquats pour bien remplir sa mission selon les prescriptions de la Constitution de 1987. Le juriste haïtien invite ses lecteurs et lectrices à lire le texte Me Heidi Fortuné, juge d'instruction du Cap-haïtien qui n'a pas peur de dire la vérité même lorsque cela pourrait lui attirer des ennuis des gens malintentionnés du pays. JMMondésir

JUSTICE POUR LA JUSTICE
Par Me Heidi Fortuné

Il y a des vérités qui sont dites et redites mais malgré tout, il faut toujours les évoquer et les répéter avec obstination parce qu’elles touchent au manque de moyens mis à la disposition de la justice, dont la magistrature est la principale victime.
Les revendications n’ont pas changé et les urgences restent les mêmes : tout d’abord, un salaire décent et l’ensemble des problèmes matériels et techniques liés, en général, à la gestion de l’appareil judiciaire, à l’informatisation des greffes, à la spécialisation des Magistrats dans des domaines spécifiques, à la refonte des codes de lois, pour la plupart, trop désuets et enfin, à la situation des bâtiments logeant les tribunaux, les cours et les parquets dont l’état de délabrement de certains est catastrophique.
Ces exigences sont dépourvues de médiocrité et d’intérêt particulier. Elles s’adressent autant à la conscience qu’à l’intelligence des membres des deux autres pouvoirs. Ça concerne chaque citoyen...ça concerne la nation.
La justice haitienne, à l’image de l’Etat, est en retard par rapport à nos voisins dominicains. Et, il est important de penser à un plan de redressement de notre système. Il doit être conçu dans un souci d’efficacité, au-delà des pensées politiques ou médiatiques. Il reste maintenant à déterminer les moyens à dégager et les mesures à prendre. Les Magistrats doivent être partie prenante à cette démarche, ils sont incontournables.
Malheureusement, nous nageons en eaux troubles. Il y a un dialogue de sourds entre le pouvoir judiciaire et les deux autres pouvoirs. Et quand une telle situation se présente, c’est le pays et les fondements de l’état de droit qui sont menacés. Il devrait y avoir une communion, une certaine intimité entre les Magistrats, les parlementaires et le gouvernement. Pourtant, c’est l’inverse qui est vrai.
Il y a trop d’anomalies au sein de l’appareil étatique.
Les honorables juges de la cour de cassation ont reçu copie des trois projets de loi portant sur la réforme de la justice pour y donner leur point de vue pendant que ceux-ci se trouvaient déjà devant le sénat de la république pour ratification. C’est pas normal !
Il y a également trop de discriminations entre les pouvoirs.
On ne compte plus les voitures « tout terrain » qui ornent les entrées des ministères tant les parcs de stationnement sont débordés. Même le chef du gouvernement ne peut, avec certitude, donner le nombre exact de véhicules à l’actif de l’exécutif.
Les parlementaires aussi sont gâtés. Chaque membre du corps législatif reçoit une voiture de fonction après sa prestation de serment ; ceux qui n’en trouvent pas, bénéficient d’une généreuse gratification en devises américaines pour s’en procurer une.
C’est bien beau mais...et le judiciaire dans tout ça ?
La seule juridiction du Cap-Haitien compte près de soixante-dix magistrats, toutes catégories confondues, et couvre dix-neuf communes : elle n’a que deux véhicules. Ceux-ci ont été remises au chef du parquet et au doyen du tribunal de première instance.
Les juges de la cour d’appel, spécialement le président, viennent au bureau à pied, s’exposant ainsi au danger de se faire renverser par un chauffard non avisé, comme ce fut le cas pour l’autre. Et ceux qui habitent en banlieue prennent le ‘’tap-tap’’ ou recourent au ‘’taxi-moto’’ à leurs risques et périls.
Et, paradoxalement, on les appelle : Votre Honneur !
Mais, c’est quoi cette plaisanterie ?
Les magistrats instructeurs n’arrivent pas à mener les enquêtes criminelles nécessitant des transports sur les lieux et éprouvent beaucoup de difficultés à boucler à temps leurs dossiers et à respecter le délai d’information qui leur est imparti par la loi car il n’y a pas de matériels roulants à leur service. Or, le cabinet d’instruction est le noyau de la chaîne pénale, dit-on.
Les juridictions de Hinche, de Fort-Liberté et de Grande-Rivière du nord ont chacune une voiture et sont tout aussi mal loties.
Aujourd’hui, les magistrats de tous les coins et recoins d’Haïti réclament une redéfinition et une redistribution de la « res publica ».
Le chef de l’Etat n’est pas seulement le garant des institutions, il est également le garant de l’équilibre entre les pouvoirs.
Pourquoi les membres du pouvoir judiciaire ne bénéficient pas, eux aussi, de certains avantages, à l’instar des membres des deux autres pouvoirs ?
Pourquoi ils n’ont pas aussi de frais de fonctionnement et leur propre plaque d’immatriculation de véhicules avec l’inscription ‘’Corps Judiciaire’’ ?
Même le minimum n’est pris en considération.
Il faut comprendre qu’il n’y a pas de petites fonctions, il y a de petits hommes.
Dire que la justice est traitée en parent pauvre est un euphémisme. La vérité, c’est qu’elle est méprisée.
Il est indispensable de donner aux Magistrats le statut social qu’ils méritent et des appointements dignes qui correspondent à leurs responsabilités et aussi à leurs risques. Les traiter en « petits fonctionnaires » est une cause de déclenchement de frustations compréhensibles et légitimes.
Un jour ou l’autre, l’Exécutif et le Législatif devront compter avec le Judiciaire. Mais, cela ne sera possible que si tous les Magistrats se tiennent la main, collaborent loyalement et prennent consience de leur situation. Ils doivent faire l’écho des difficultés qu’ils rencontrent quotidiennement dans l’exercice de la profession jusqu’à ce que justice leur soit rendue.
Quand l’Exécutif et le Législatif rendront-ils au pouvoir Judiciaire ce qui lui revient ?
Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 29 juillet 2007

LE SYSTÈME INFORMATIQUE FACE AU SYSTÈME PÉNAL HAITIEN

LE SYSTÈME INFORMATIQUE FACE AU SYSTÈME PÉNAL HAITIEN
Par Heidi FORTUNÉ

Peut-on poursuivre une personne pénalement pour vol à l’aide de fausse clé et abus de confiance, le fait par elle d’accéder illicitement à un système informatique privé en utilisant des codes ou des mots de passe d’utilisateurs légitimes de ce système ?
En l’absence de règlementation spécifique, les diverses formes de criminalité ou de piraterie informatique ne seront vraiment pas condamnables. Tout d’abord, par les difficultés tant de détection que de preuve de ce type d’infraction, ou encore par le silence gardé par les victimes qui préfèrent ne pas ébruiter les failles de leur sécurité informatique et recouvrent bien souvent, lorsque la fuite est le fait d’un membre de leur personnel, à des modes de règlement des différends.
Dans tous les cas, les qualifications de vol à l’aide de fausse clé et d’abus de confiance sont sujettes à bon nombre de controverses dans la mesure où les données informatiques, qui sont de simples impulsions magnétiques, n’ont pas de caractère physique et ne peuvent dès lors pas faire l’objet d’une soustraction ou d’un détournement et que de plus, le propriétaire du programme n’est pas dépossédé de celui-ci, une fois la copie réalisée. Enfin, comment assimiler un mot de passe à une fausse clé ?
Certains répondent par l’affirmative en considérant au regard de l’évolution de l’informatique que l’introduction d’une donnée ou d’une impulsion électronique ou magnétique dans une serrure moderne correspond à l’utilisation d’une fausse clé. Et ils ont raison.
Somme toute, au regard du droit d’auteur consacré par la loi, nous pensons que des poursuites pénales sont possibles. Car, font partie du patrimoine du propriétaire du programme d’origine toute copie, ou plus précisément, toute duplication susceptible d’être transmise ou dupliquée à son tour. Donc, un logiciel peut faire l’objet d’une soustraction frauduleuse. Faut-il remarquer que les programmes d’ordinateurs ont une valeur économique réelle et sont susceptibles d’un transfert de possession. On entend des avocats dire que ce sont des biens immatériels, nous soutenons le contraire. Ici, la notion de soustraction doit s’interpréter de manière évolutive et ne suppose pas une dépossession du propriétaire des programmes copiés.
En conclusion : dans l’état actuel de notre système judiciaire, ce type d’infraction dépasse de loin le champ d’étude du droit haïtien.Comment demander à un magistrat de trancher sur quelque chose qui lui est inconnu ? La justice haïtienne n’est pas informatisée, 99% des juges ne sont pas versés en informatique et ne connaissent pas les notions les plus élémentaires. Le droit évolue ailleurs mais pas en Haiti. Allez parler de nouvelles technologies et des progrès de la science dans le domaine de l’informatique à un magistrat haïtien et il vous dira...
Ce 13 Mai 2007.
Heidi FORTUNÉ
Magistrat,
Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
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