dimanche 7 septembre 2025

DE CÉLÉBRATION À LAMENTATION

 

DE CÉLÉBRATION À LAMENTATION 

DE CÉLÉBRATION À LAMENTATION

  • Par Heidi Fortuné

Un avant-projet de constitution, c’est avant tout une ébauche, c’est-à-dire, une version préliminaire d’une constitution. Il s’agit naturellement d’un document qui contient les idées novatrices et les propositions initiales pour la structure et le fonctionnement d’un État, ainsi que les droits et libertés des citoyens. C’est donc un travail en cours, une base de discussion et de négociation… En un mot, un brouillon qui sert de point de départ pour l’élaboration d’une constitution définitive.

Depuis quelque temps, l’idée d’une nouvelle charte fondamentale est le sujet brûlant de l’actualité en Haïti. Chacun semble s’accrocher à sa propre compréhension. Et visiblement, la majorité des citoyennes et citoyens adhère à cette initiative avec un enthousiasme qui semble occulter les difficultés inhérentes à ce projet. Le gouvernement a alors choisi, par décret en date du 17 juillet 2024, un comité technique et d’experts afin de préparer un projet dont le contenu devrait faire l’objet d’un débat national. Et le texte final sera probablement soumis à un référendum, permettant ainsi au peuple haïtien de décider ou non de son adoption.

Après plus de dix mois de travaux, la première phase du travail soumis à la discussion des citoyens suscite déjà de vives critiques et de controverses de la part de certains intellectuels et politiques. De notre point de vue, si l’avant-projet réaffirme les droits et libertés fondamentaux des citoyens, tels que la liberté d’expression, de réunion et d’association, par contre, des thèmes comme : la présidence, la justice, la nationalité, le droit de propriété des étrangers, l’implication de la jeunesse dans la vie politique du pays… sont très mal inspirés. De plus, la population n’est pas suffisamment associée à l’élaboration du document, le rendant ainsi peu représentatif de ses besoins et de ses aspirations. Ajouté à cela, le processus de révision est opaque, avec peu d’informations disponibles pour le public sur les changements proposés. On voit clairement que cet avant-projet n’est pas un document neutre, mais plutôt une tentative de quelques dirigeants, à travers un petit groupe, de renforcer leur pouvoir ou de favoriser les intérêts des puissances étrangères sur la terre d’Haïti.

Sans aucun doute, les amendements présentés ne vont pas assez loin pour résoudre les problèmes fondamentaux de la constitution en vigueur. La corruption dans l’administration publique, la mauvaise gouvernance et l’inefficacité des institutions n’ont même pas été effleurées voire débattues. On en conviendra aussi que cette version préliminaire, à partir de l’analyse de son contenu, est tout sauf exceptionnelle. Nous la considérons d’ailleurs comme une vulgaire défiguration de l’actuelle charte fondamentale. Une sorte d’ingénierie constitutionnelle où les experts autoproclamés cherchent à imposer au peuple haïtien un modèle taillé sur mesure. Ni plus ni moins!

Un autre facteur important semble n’avoir pas été pris en considération par les auteurs dudit avant-projet. Ils n’ont pas tenu compte qu’une constitution est très généralement un paquet de compromis entre les forces sociopolitiques associées à son élaboration. Et, chacune a ses idées sur ce qu’il faut inscrire dans le texte. Ce dernier doit être harmonieux, limpide et sans défaillance, pour le bien de la communauté des citoyens. Et nous insistons là-dessus : une constitution n’est pas seulement l’organisation de la séparation des pouvoirs. C’est bien plus. Par exemple, elle ne doit pas seulement consacrer l’indépendance de la justice, il faut qu’elle en précise les garanties : inamovibilité, salaire, carrière, discipline, retraite… Et peu importe si le régime est de nature parlementaire, présidentielle ou hybride, elle doit être précise, réaliste et doit indiquer sans ambiguïté la voie à suivre, l’obligé, le permis, l’interdit et même l’imprévu.

Il n’est pas de constitution parfaite, il en est cependant de meilleures que d’autres. En l’état, le texte soumis déchaîne à l’origine d’extrêmes réserves. Comment pouvons-nous porter une appréciation qualitative à son propos si nous ne voyons pas ce qui est recherché à travers ces grandes lignes? Une bonne constitution se doit d’abord d’être efficace, et cette efficacité doit se trouver à l’intérieur du texte lui-même. Aux dernières nouvelles, nous apprenons que le comité de pilotage vient de remettre au gouvernement la version finale de ses travaux sans même tenir compte des reproches et des objections formulées. La messe est donc définitivement dite.

”L’erreur est humaine mais persévérer dans l’erreur est diabolique”. Espérons que le texte ne nous révèle davantage d’inconvénients, d’inadaptations et de blocages nuisibles aux intérêts de la nation.