jeudi 19 juillet 2012

L’INDÉCENCE DOMINE







L’INDÉCENCE DOMINE

Que l’exercice du pouvoir corrompe, ce n’est pas nous qui avons inventé la formule. Qu’il sénilise au point de faire perdre tout bon sens, cela n’est pas nouveau non plus…mais s’il est une chose que la réalité nous démontre aujourd’hui, c’est que nous sommes au cœur d’une société de l’indécence et de la honte sans nom. Et quelque soit le domaine, la vulgarité choque.  Le changement n’a pas lieu…Tout au contraire ! Nous sommes toujours au règne de la continuité, de l’impunité et de la démagogie. La morale est devenue complètement absente de nos vies. Maintenant, on a peur de reprouver le fait qu’un proche du pouvoir soit un incendiaire ou un revendeur de drogue… C’est presque le Magistrat enquêteur le fautif. L’indécence se compte désormais par légions dans ce petit pays au corps social en décomposition avancée et profondément gangrenée.

Nous avons un pouvoir judiciaire laissé à l’abandon par les autres pouvoirs depuis des décennies, et les dérives de l’actuel gouvernement sont en train de reléguer la justice, ciment de la cohésion nationale, au rang de pestiféré pour accaparer encore et toujours plus de pouvoir. La Magistrature doit rester indépendante et aucun lien ne doit la rattacher à l’Exécutif ou au Législatif. Certaines situations démontrent cruellement le manque de connaissance de nos Hommes et Femmes d’État en matière de droit et des valeurs fondamentales de notre République. Si le pouvoir de la justice doit respecter le pouvoir de la politique, la réciproque est aussi vraie. ‘’Que chacun fasse son métier et les vaches seront bien gardées’’.


Un bandit est nommé Vice-délégué par ‘’Arrêté Présidentiel’’  deux ans après avoir brûlé un Tribunal. Un Magistrat Instructeur a décerné un mandat d’arrêt, un Chef de Parquet, menacé de révocation par un proche influent du pouvoir, a osé demander à la police de surseoir à l’exécution dudit mandat. Si la Justice est malade, ce n’est pas seulement par les coups que lui portent l’Exécutif et le Législatif  mais par les coups qu’elle se porte elle-même. On sait que les Commissaires du Gouvernement sont aux ordres mais l’incroyable pantalonnade du Chef du Parquet du Cap-Haitien le treize juillet dernier dans l’enceinte même du Palais de Justice est une grande première. Le Saint-Marcois a poussé le bouchon un peu loin… Il a outrepassé son rôle; et ce faisant, il est entré en rébellion avec la loi. Son comportement est tout simplement indécent.


Nous pensons qu’il faut stopper cette petitesse qui réside chez nos parquetiers qui ressemblent de plus en plus à des pions ou espions des pouvoirs politiques dans le judiciaire. À cause d’eux, la justice baigne dans la démagogie et l’absurdité. Et tant que les Parquets ne s’affranchissent pas du pouvoir Exécutif principalement, il n’y aura jamais une justice indépendante en Haïti. Quelqu’un qui se targue d’être un Agent de l’Exécutif ne sera jamais un Magistrat car le Magistrat, assis ou debout, doit être en retrait par rapport à la vie politique et doit en accorder très peu d’importance. Il se renseigne sur ce qui se passe, mais se limite à cela. Il ne doit avoir aucune appétence pour la politique politicienne et ne doit, en aucun cas, s’en mêler. Son attention doit se porter sur les questions de société et… rien d’autre. Voilà la ligne de conduite que doit avoir un Honorable Magistrat. La loi est une pour tous. Si les amis du Président ne veulent pas être brocardés par la justice, il faudra qu’ils soient irréprochables.

On retiendra que le comportement anti-social et anti-démocratique des plus hautes autorités de l’Etat (Juges, Ministres, Parlementaires, Directeurs généraux, Policiers et autres…) a contribué à faire reculer l’éthique et la morale en Haïti, valeurs qui ont motivé des milliers de gens honnêtes dans ce pays. Et s’il est une chose que l’histoire nous démontre encore, c’est qu’une fois arrivé au pouvoir, on perd son discernement, surtout lorsqu’on est entouré de flatteurs. Le soleil va bientôt se coucher et nous ne savons pas de quoi demain sera fait car ici l’indécence domine et…dirige.


Heidi FORTUNÉ

Magistrat, Juge d’Instruction

Cap-Haitien, Haïti, ce 19 juillet 2012



mercredi 18 janvier 2012

LA MAGISTRATURE DANS TOUS SES ÉTATS

LA MAGISTRATURE DANS TOUS SES ÉTATS

Aujourd’hui, nous faisons le constat d’une justice qui n’en finit plus d’aller mal…une justice boiteuse et déjantée qui, faute d’évolution, reste à rebâtir, pour qu’elle puisse tenir la place qui devrait être la sienne. En vérité, si cela était possible, il faudrait une dissolution pure et simple de l’institution judiciaire, tant le mal qui la ronge est profond. L’actuel gouvernement semble ne pas trop s’intéresser à soigner de sitôt cette blessure ouverte. Et le fondement de notre argument est formulé avec concision. Certains comportements laissent entrevoir une perception tendant à soumettre encore davantage l’autorité judiciaire à l’Exécutif comme par le passé. Les Parlementaires font et défont à leur guise dans les Tribunaux en se détournant de leur véritable mission, tandis que les Chambres d’Instruction Criminelle manquent cruellement de moyens pour produire des enquêtes de qualité. Donner des possibilités à la Magistrature de manière à ce qu’elle produise des résultats devrait être un enjeu citoyen et non politicien.

Un régime où règne la confusion des pouvoirs ne porte pas le nom de Démocratie. La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 ne dispose-t-elle pas qu’un pays qui ne connait pas la séparation des pouvoirs n’a point de Constitution ? L’indépendance des pouvoirs doit permettre aux contrôles démocratiques d’opérer la non-ingérence permettant à chacun d’exercer ses compétences en toute impartialité. D’un autre côté, il n’est pas correct de s’acharner sur l’Exécutif et le Législatif comme les seuls responsables des malheurs de la Magistrature puisque les Juges concourent eux aussi à mettre la Justice dans ce piteux état. On ne peut exiger le respect que lorsqu’on est respectable.

Dans la Magistrature haïtienne, il y a des Saints et des démons malheureusement. Ceux-là qui sont réputés pour leur intégrité se comptent sur les seuls doigts d’une main. En ce qui a trait aux autres, quand ils ne sont pas de vils flagorneurs, ils sont corrompus et incompétents. Nous déplorons le comportement de certains Juges, utilisant leur fonction pour favoriser une catégorie plus qu’une autre. Les Juges doivent cesser de terroriser et d’humilier les justiciables, principalement les victimes qui regrettent souventes fois d’avoir recours au Tribunal pour régler un différend ou dénoncer une injustice…voyant leurs droits balayés d’un revers de main pour la seule couleur de leur peau ou pour n’avoir pas de solides finances.

Il n’y a aucune volonté de réduire cette néfaste culture de corruption qui est actuellement solidement installée et bien ancrée dans la Magistrature, notamment dans les Tribunaux de Paix et les Parquets. L’argent est roi, le puissant fait la loi et le Magistrat perçoit... C’est indigne. La Justice se vend aux plus offrants, parfois au su et au vu des dirigeants. Le plus indécent dans tout cela, les responsables d’écarts et de manquements ne sont pas punis par des mesures répressives ou coercitives. Il est de notoriété qu’en Haïti, les fautes graves sont sanctionnées par des promotions ou des mutations à des postes à l’étranger. Ridicule !

Certes, un Juge n’est pas Dieu ; il ne changera jamais le monde ni les gens mais il doit assumer ses responsabilités en tout et partout, et donner la mesure de son acte sans user ni abuser. Il doit être toujours en paix avec sa conscience. Il doit avoir la force de caractère pour dire non quand il le faut et sévir dans le cadre de la loi envers et contre tous quand c’est nécessaire…peu importe les conséquences. Appliquer les codes et les lois c’est tout ce que le citoyen demande. Quand certains Magistrats arrêteront de faire de la politique, les politiques cesseront de s’occuper d’eux. La Justice doit être rendue à tout individu – noir – rouge – blanc – ou autre avec toute sa rigueur sur tout le territoire. Ne pas appliquer la loi correctement revient à l’injustice, l’anarchie et un jour, à la révolte.

Heidi FORTUNÉ

Magistrat, Juge d’Instruction

Cap-Haitien, Haïti, Ce 18 janvier 2012


mercredi 11 janvier 2012

LE PIRE PUIS LE PIRE

LE PIRE PUIS LE PIRE

Il n’est pas nécessaire de se poser en spécialiste du droit haïtien ou de la vie nationale pour être persuadé que rien n’allait changer dans la Justice avec la nouvelle équipe au pouvoir. L’institution ressemble à un poids lourd sans freins ni feux avant, chargé de matières dangereuses, avec la direction qui déraille et un moteur aux sérieux dératés. La Magistrature se porte mal et manque cruellement de moyens. Aujourd’hui encore comme jadis, les Magistrats instructeurs éprouvent de sérieuses difficultés pour mener leurs enquêtes ; le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire n’existe pas ; et comme c’était le cas sous le gouvernement précédent, ce sont les Parlementaires qui nomment et révoquent les Juges et les Commissaires du Gouvernement, sans compter les diverses ingérences de l’Exécutif dans des décisions judiciaires. Et la situation ne cesse d’empirer car personne n’écoute ce que disent ceux qui sont au contact des réalités quotidiennes. On dirait pour certains hauts fonctionnaires qu’ils ont fini de travailler une fois qu’ils ont obtenu le poste convoité…

Le dysfonctionnement de la Justice est plus que réel. Cela est dû non seulement au manque de moyens matériels et techniques mais surtout à l’absence de vision et l’incompétence de ceux qui sont chargés d’administrer l’institution. La Magistrature est en état de ‘’coma dépassé ’’du fait de sa vassalité par le pouvoir politique. Les atteintes à l’indépendance de l’autorité judiciaire tendent à multiplier. Dernier exemple en date : l’attitude du Ministre de la Justice, qui pousse le Chef du Parquet de Port-au-Prince à démissionner de ses fonctions, apparait clairement comme une volonté du pouvoir politique de contrôler les affaires sensibles ou gênantes pour le gouvernement. On a beaucoup glosé sur le comportement du titulaire du Ministère de la Justice dans ce dossier et plus d’un s’inquiète. On a l’impression que l’État bouffe ses propres enfants.

L’indépendance de la Magistrature est un principe constitutionnel fort. Il implique que les Magistrats soient effectivement indépendants des autres pouvoirs. Mais cela va plus loin, car ce n’est pas seulement des hommes qu’il s’agit mais aussi de leurs compétences. Ceci dit, l’indépendance de la Magistrature est un bloc de compétences qui ne peuvent être exercées que par des Magistrats. Le Garde des sceaux a son rôle, la Magistrature a le sien et le premier n’a pas à jouer le rôle du second. Nous avions et nous avons encore un très grand respect et une très grande estime pour Me Lionel C. BOURGOIN pour ce qu’il représente dans la Magistrature haïtienne. Nous pensons que ceux-là qui portent un jugement défavorable à son endroit devraient être plus prudents. D’ailleurs, dans tous les postes qu’il a exercés, il a laissé le même souvenir, celui d’un Magistrat compétent, honnête et intègre. Dans un pays où la majorité baisse la tête pour éviter le pire…nous saluons, avec respect et déférence, le comportement de ce Grand Homme qui assure, jusqu’au bout, ses convictions.

A quoi cela sert d’avoir de l’intelligence si nous l’utilisons à faire des bêtises ? A quoi cela sert de se dire démocrate si nous ne respectons pas les décisions judiciaires prises en dernier ressort ? Il vaut mieux ne pas faire de justice que de faire une mauvaise justice. Et nous trouvons nauséeuse cette pratique de certains Ministres de s’arroger des pouvoirs que la loi ne leur donne pas. Certaines situations peuvent conduire non seulement à des conditions de travail déplorables et une souffrance professionnelle conséquente mais aussi concourir à déboussoler celles et ceux dont la mission est d’appliquer, faire appliquer ou enseigner la loi. Il faut que la Justice soit et reste totalement indépendante du politique si nous voulons un jour vivre en démocratie. Certes, cela n’empêchera pas les dérives, les erreurs ou les incompétences mais sans indépendance, il n’y a plus aucune liberté possible.

Un Magistrat a le droit de faire des critiques justifiées sur l’administration de la Justice puisque cette matière le concerne directement. En dénonçant les violations et les manquements, et en suggérant des réformes, cela permettra d’améliorer le système. Par ailleurs, il n’y a rien de choquant à ce qu’un Magistrat critique un Ministre lorsque ce dernier outrepasse ses droits et se permet de porter un jugement dépréciatif sur une décision de justice au mépris du principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs. Il y aurait tant à dire…mais nous nous gardons de les dénoncer pour l’instant. Ce qu’il faut comprendre et retenir, c’est qu’il n’y a jamais eu de réflexe partisan ou opposant dans notre démarche. Après tout, nous pouvions très bien dire comme tant d’autres : « On s’en fout…notre salaire tombera à la fin du mois ». Si nous nous battons c’est pour le peuple au nom duquel nous rendons la Justice, pour une Magistrature forte et indépendante, et pour la Démocratie.

Depuis sa candidature jusqu'à son investiture, le Président de la République avait promis le changement à tous les niveaux dans l’administration publique. Aujourd’hui, il doit tenir sa promesse en divorçant d’avec les pratiques d’avant. Qui n’est pas saisi d’étonnement, voire d’incrédulité devant l’évolution de la Justice qui, libérée des affres de l’ancien régime, s’engouffre à présent, à grand pas, vers une sorte de caporalisme outrancier mis sur place par le nouveau pouvoir ? Tout se passe comme si d’un balancier à l’autre, l’histoire ne savait pas s’arrêter là où il conviendrait. Entre les horreurs du passé et la détérioration actuelle des choses ; entre le spectre des pratiques rejetées et l’aspiration d’un véritable État de droit ; entre le pire puis le pire…rien n’est encore irréversible. On a toujours le droit de rêver mais les yeux plus que jamais grands ouverts.

Heidi FORTUNÉ

Magistrat, Juge d’Instruction

Cap-Haitien, Haïti, Ce 11 janvier 2012