jeudi 22 août 2024

ET L’ARGENT REMPLACE LE DROIT

 

ET L’ARGENT REMPLACE LE DROIT

ET L’ARGENT REMPLACE LE DROIT

  • par Heidi Fortuné

Si l’argent est le nerf de la guerre, il est aussi pour une bonne part, le nerf du fonctionnement de la justice. Dans les tribunaux, c’est lui qui module et donne un sens aux décisions. Il permet de mieux s’en sortir face au juge. Il est roi, et par conséquent, se pointe au-dessus de tout. La justice qui devait être un service public gratuit devient payante et extrêmement chère en Haïti. Avocat, juge, officier du parquet, greffier et huissier sans âme se mettent ensemble et forment ce qu’on appelle la mafia judiciaire pour gagner de l’argent rapidement et facilement. Ils choisissent d’utiliser un mode opératoire assez original pour simplifier et masquer leur subterfuge. Ce qui est recherché, c’est avant tout la souplesse et la discrétion. De nos jours, le grand avocat est celui qui sait partager ses honoraires avec un magistrat. Point barre!

Lorsqu’un justiciable arrive dans la maison de justice avec son avocat, il y a toujours dans les parages un sous-fifre pour lui souffler discrètement que s’il veut gagner son procès, il a tout intérêt à se séparer de celui-ci en lui suggérant un autre qui fait évidemment partie du réseau. Ce dernier prend alors le dossier, récupère l’argent auprès du client et va rendre compte au magistrat. L’affaire ainsi réglée, une cascade de manipulations, de corruptions et d’actions malhonnêtes s’enchaîne… et le procès est gagné. Il peut advenir aussi que le dossier soit classé sans suite, dépendamment de la juridiction saisie. Les ententes portent parfois sur des sommes importantes, et on négocie sous forme de pourcentage.

L’enseignement à tirer de cette illustration c’est que vous devez choisir entre l’avocat chevronné qui connaît bien la loi, et l’avocat corrompu qui connaît bien le juge.

Plus d’un est convaincu que pour avoir gain de cause dans un jugement actuellement, il faut sortir son portefeuille, car l’avocat et le magistrat sont de connivence. Mais, qu’est-ce qui reste du droit dans ces conditions? Pas grand-chose!

Parfois, le droit triomphe, mais souvent l’argent, les relations, les combines et les méthodes mafieuses l’emportent. Et les protagonistes tirent bien des profits de cette situation: maisons, terrains, voitures et billets de banque. Fort du pacte de partage d’honoraires conclu avec tel juge, des avocats déshonorent leur métier en négligeant de travailler leurs dossiers ou d’approfondir leurs recherches de doctrine ou de jurisprudence. Ils plaident souvent piteusement ou produisent des conclusions dignes d’un analphabète ou d’un illettré. C’est déplorable!

La religion de beaucoup de citoyens est faite: le glaive ne frappe plus les bourreaux.  Ils ne croient pas dans le système judiciaire. Dans leur esprit, si les bandits arrêtés et remis à la justice par la police sortent quelques jours plus tard, c’est parce qu’ils donnent de l’argent. Un homme en robe noire rapporte que bien des clients lui posent la question: ”combien nous allons donner au juge?” C’est le cas souvent dans les dossiers à gros sous, encore appelés ”gros dossiers”. Des juges sont attachés à des cabinets d’avocats pour aplanir le terrain des tribunaux pour lesdits cabinets, illustrant ainsi une déchéance morale et éthique à nulle autre pareille.

Malgré tout, le magistrat intègre, il existe… mais nourrit une profonde frustration face à ses collègues qui ont un train de vie largement au-dessus de leurs revenus ou de certains avocats qui font un étalage arrogant de richesse et avec qui il doit cohabiter tous les jours. Si l’Ordre des avocats doit sanctionner ses membres pour leur indélicatesse, le conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ) devra tout aussi sévir contre les magistrats impliqués dans des affaires douteuses. En ce sens, l’audit de certification doit se poursuivre, car les vrais corrompus sont encore dans le système, seuls quelques malhabiles ont été coincés.