mardi 18 novembre 2008

DROIT AU BUT

DROIT AU BUT

Nous pensons qu’il y a des moments dans la vie où il faut se taire pour mieux observer et écouter ce que l’opinion publique pense avant de réagir. C’est quelquefois stratégique pour celui qui lutte à la fois contre un système et des vautours qui rôdent autour. Mais, il y a des choses qui révoltent tellement que garder le mutisme revient à cautionner le fait lui-même dans toute sa crudité. La vérité est nue, apodictique. Elle résiste au temps, aux couleurs, aux origines sociales. Le clientélisme et la corruption doivent être dénoncés. La compétence des personnes devrait prévaloir, autrement, nous arriverons difficilement à prendre le chemin du développement.

Nous avons été sidéré et scandalisé par cette histoire de l’Office Nationale d’Assurance (ONA). C’est un véritable camouflet pour l’actuel gouvernement qui avait bâti sa politique sur le changement. Mais quelle image peut-il projeter et faire valoir à présent avec des actes pareils ? C’est absolument épouvantable de découvrir certains dossiers nébuleux dans lesquels plusieurs politiciens sont impliqués. Quelle honte pour ces hommes et femmes de basse moralité, adeptes de la facilité ? Le problème c’est que personne ne sera puni. Nous avons en exemple les dossiers du Ministère des Affaires Étrangères et du Conseil National des Équipements (CNE).

C’est à cause de ces hommes et femmes d’Etat que le pays est en difficulté économique. Ce sont eux les responsables de cette situation de crise perpétuelle et de misère chronique. Ils pillent les caisses de l’Etat, ne créent pas d’emplois, ne font rien pour la jeunesse, et ne se gênent nullement quand ils doivent acheter des appartements cossus pour leurs maîtresses vivant à l’étranger. Qu’on nous dise combien gagne un directeur général pour se permettre de payer argent comptant une voiture valant ($US 25.000) vingt-cinq mille dollars américains pour une amie intime en guise de cadeau de la ‘’Saint-Valentin’’. Nous sommes en plein délire !

Mine de rien, ce sont des millions et des millions qui auraient pu servir au développement du pays, qui vont grossir des comptes bancaires déjà pleines, se perdre dans des boites de nuit, dans des débits de boissons et de tabac. Il est connu de tous que la justice haïtienne est l’une des plus pourrie au monde. Mais, plus corrompu qu’un parlementaire haïtien, on n’en trouve pas. Sans parler des autres sphères de la vie nationale. La corruption a tellement gangrené notre société que nous nous posons la question de savoir si on en sortira un jour. Comme dit l’autre, une autre Haïti est possible, mais nous ajoutons que ce n’est pas demain la veille.

L’immense majorité des haïtiens n’aspirent qu’à travailler et profiter en toute sécurité du fruit de leurs efforts. Mais, il y a toujours un groupuscule qui se met au travers de sa route. Le Haut Commandement de la Police Nationale d’Haïti roule déjà le tout dernier modèle de la Toyota 2009 pendant que la Chambre d’Instruction Criminelle de la juridiction du Cap-Haïtien, composée de six Magistrats enquêteurs, n’a pas une bicyclette à sa disposition. Pire, dans le Nord-Ouest des gens meurent de faim.

Le système judiciaire n’est pas efficient, et c’est dommage qu’on ne veuille pas mettre en place les mécanismes pouvant garantir son autorité et son indépendance vis-à-vis des autres pouvoirs. Les conditions de travail sont difficiles et le gouvernement n’offre aucun avantage social aux Magistrats et auxiliaires de justice. Certes, il y a la passion du métier mais nous ne pouvons pas vivre seulement d’amour pour notre travail. Récemment, une banque a refusé d’avaliser un Magistrat qui voulait s’offrir une petite voiture neuve valant à peine ($US 9.000) neuf mille dollars américains parce que son salaire de misère ne répondait pas aux normes. Et quand on sait que l’État ne prête aux Juges que l’équivalent de six mois de leurs appointements. Ce n’est pas seulement un simple refus de la part de l’institution bancaire, c’est une humiliation…une honte nationale.

Dans un État de Droit, c’est la loi qui prime et non la politique. Et pour clore définitivement le débat, on doit savoir que les débiteurs de l’ONA sont obligés de payer à l’institution tous les mois, et de façon régulière, une certaine somme d’argent pendant toute la durée de l’hypothèque. Tel n’est pas le cas pour certains de nos politiciens qui font carrément abandon de créance prétextant qu’il n’y a pas de contrainte par corps en matière de dette. Et si, après procès, l’État pratiquait des saisies sur leurs biens ? On dit assez souvent que là où il n’y a rien, même le roi perd ses droits mais cet aspect de la question ne tient pas puisqu’il faut préalablement déposer une garantie consistant en biens meubles ou immeubles pour avoir accès au crédit.

Un jour ou l’autre, ces pilleurs de pays, ces apatrides, ces corrompus auront à répondre devant l’histoire. Puisse Dieu avoir pitié d’eux quand viendra le jour du jugement en les envoyant en enfer car même au paradis, ils tenteront de corrompre les anges.


Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 18 novembre 2008

dimanche 26 octobre 2008

RIEN NE VA PLUS

RIEN NE VA PLUS

La corruption persiste en Haïti, et le problème devient inquiétant car il y a une absence de volonté politique du gouvernement pour remédier à cette situation. D’un autre côté, il y a une perception tout à fait discriminatoire et erronée du concept selon que vous serez parlementaires, officiels du gouvernement, grands fonctionnaires, petits employés ou simples salariés. Des Hommes et des Femmes d’État violent quotidiennement, massivement les principes les plus élémentaires sur lesquels reposent la vie et la survie de la mère patrie.

Il y a des dirigeants qui profitent de leurs privilèges pour utiliser, pour leur compte personnel, les fonds de retraite des honnêtes et rudes travailleurs. En France particulièrement, on l’aurait qualifié d’abus d’autorité et de biens sociaux. Ici par contre, c’est la classe, la grande mode. Les nouveaux riches arrivent sur le marché en se frottant les mains tous les matins à l’idée d’avoir coupé un gros morceau du gâteau. En fait, nous n’avons qu’un aperçu du scandale. Et si la vérité se trouvait encore au fond du puits ? Et si effectivement les arbres cachaient la forêt ? Tout est bon à prendre sans commentaire en certaines occasions. L’avenir dira le reste. Ah ! Il se passe des choses dans ce singulier petit pays que l’on ne croirait pas…

Le détournement de l’aide humanitaire destinée à une population affamée par des élus ne doit plus être pris comme une simple affaire de corruption, cela doit s’élever au rang de crime contre l’humanité avec une punition à caractère exemplaire et dissuasif.

La justice a effroyablement souffert de la crise que traverse le pays. Maudits soient les responsables qui n’en goûtent pas les horreurs ! À la manière des sparidés, ces spadassins qui ne sont autres que des tueurs à gages économiques se faufilent à travers les institutions rentables du pays pour, à la fois, sucer et soutirer la sueur et le sang du peuple en utilisant des duperies et des artifices vampiriques. Les Magistrats ne sont peut-être pas propres mais les parlementaires sont rudement sales.

Lorsque les tempêtes s’abattaient jadis sur Gonaives, la tendance naturelle était d’y voir la punition de Dieu. Cet archaïsme a disparu depuis belle lurette du domaine scientifique cependant, on le retrouvait sur plusieurs lèvres à Port-au-Prince car il faut toujours un bouc émissaire pour faire porter le fardeau et attribuer la faute. Et on a indexé le Fils de l’Homme comme étant le responsable de nos malheurs en égrenant à son endroit un chapelet d’injures et de blasphèmes à l’instar des Pharisiens qui avaient réclamé sa crucifixion au profit du criminel Barabbas. Pourtant, le plus simple pour les autorités serait de dire : « c’est de notre faute », en essayant de trouver la cause qui explique la catastrophe. C’est apparemment moins douloureux que de mentir aux gens.

Chez nous, on développe des initiatives qui n’ont aucun sens des réalités. Ce qui ressemble non seulement au jeu de l’oie mais aussi au poker menteur. Il y a toujours cette déviation pathologique dans les discours…ce double langage nuancé qui, sous une apparence de vérité, tend à tromper délibérément. L’oligarchie au pouvoir doit renoncer à son refus de l’écoute, de comprendre le point de vue des autres. Le gouvernement doit prendre conscience du problème de sa politique de justice et de ne pas renvoyer les dysfonctionnements sur les Magistrats.

La publication des lois de réforme, il y a de cela un an, avait soulevé des espoirs qui, jusqu'à présent, ne se sont pas concrétisés. On continue à traiter la justice comme une parenthèse, et cela cristallise tous les mécontentements des Magistrats. Certes, au sein de la magistrature il y a des dérapages, et il n’y a pas plus immoral qu’un juge qui contourne la loi pour faire de l’argent. Mais, comme partout, il y a dans ce corps des humbles, des justes et des saints, il faut tout simplement le débarrasser de ses scories. Evidemment, la pauvreté n’a rien de honteux mais noblesse oblige, un Magistrat doit percevoir un salaire digne de son rang. On déshonore la justice si l’on n’y met pas la douceur, les égards et la condescendance.

La vie en Haïti, tel qu’on l’imagine, ne correspond à aucune réalité. En ce sens, nous dirons aux confrères de faire très attention dans le traitement de dossiers impliquant des dépositaires de la force publique car la police n’aide pas dans tous les cas. Nous sommes en train de faire l’amère expérience. Nous avons fini par comprendre que quand certains policiers dérapent, leurs collègues sont très attentifs à ne pas en donner l’impression voire contribuer à l’enquête parce que cela affaiblirait leur propre pouvoir en tant qu’institution. En conclusion, ils ne feront que brouiller les pistes.

Des indices laissant prévoir un événement fâcheux sur notre entourage nous ont porté à prendre des dispositions sécuritaires jusqu'à obliger, forcer même, celles à qui nous sommes intimement attaché à un séjour pénible en terre étrangère car le danger devenait imminent. Cela a provoqué un traumatisme dans notre famille au point où certains nous recommandaient de rester au tapis. Mais nous avons été éduqué à la Spartiate. Le courage et l’honneur nous obligent à continuer le combat, peu importe que notre sort soit propice ou contraire. Nous avons la passion du métier.

L’appareil judiciaire ressemble à une armée de galériens en sueur s’essoufflant sur des avirons qui, pour la plupart, ne touchent même pas l’eau. Donnez aux Magistrats l’esprit et ils écriront la lettre ; donnez-leur les moyens et ils feront des prodiges ; donnez-leur la partition et ils joueront la musique ; enfin, donnez-leur l’envie et ils écriront une page d’histoire.

Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 26 octobre 2008

mardi 26 août 2008

QU’IL EN SOIT AINSI !

QU’IL EN SOIT AINSI !

Depuis quelque temps, mon horizon professionnel et mon paysage familial s’assombrissent par de gros nuages de menaces, qui semblent vouloir annoncer une tempête dévastatrice sur ma vie et celle de mon entourage. Des appels anonymes sur mon portable, certaines déclarations intempestives à travers les rues par des policiers et autres citoyens proches de la mafia locale, les témoignage et compte rendu de détenus partageant la même cellule avec l’ex responsable du service d’investigation, le maire du Cap-Haïtien qui déclare ouvertement et sans ambages lors d’une émission télévisée qu’il n’y a absolument pas de policiers trempés dans le kidnapping et qu’il ne faut pas prendre au sérieux ceux-là qui avancent pareille allégation… en sont des signes avant coureurs qui, loin de me faire peur, me conduisent à réfléchir sur mon avenir et renforcer mon engagement citoyen dans ce pays que je ne suis pas prêt à laisser au profit des salauds. Certes, je n’ai plus vingt ans. À trente six ans, je suis plus qu’un Magistrat, je suis un père, un époux. Ma mère, ma femme et ma fille de deux ans ont encore besoin de ma présence et de ma protection. Plusieurs personnes me demandent d’arrêter, mais sans vouloir être têtu, et, au risque d’être incohérent avec ma conception de justice et ma conviction d’homme, je ne peux pas abandonner, surtout pas à mi chemin. Ce serait trop lâche de ma part et, cela ne me ressemble pas. Ce combat n’est pas seulement le mien, il y a tout un idéal derrière moi. Toute une génération me regarde. Je me bats pour le changement, pour le peuple, pour la nation. Quoi de plus beau de tomber pour une noble cause ! Dans le dernier appel anonyme que j’ai reçu, mon interlocuteur, avant de me raccrocher au nez, m’a laissé entendre carrément que je n’aurai pas la chance de Claudy Gassant. Eh bien, qu’il en soit ainsi ! Personne ne meurt avant son heure. Il est écrit : si on connaît l’avenir, on peut le modifier. Moi-même, je le dis pour la postérité et pour l’histoire, si c’est dans le traitement de dossiers de kidnapping impliquant des policiers que je dois livrer ma dernière bataille, si c’est ici que doit prendre fin ma mission, c’est que mon passage sur terre aura été écrit d’avance et j’entends nullement le modifier. Qu’il en soit ainsi !

Des remerciements à mon frère Gérard Fortuné, Magistrat Willy Lubin, Mme Jocelyne Elie, Me Serge H. Moise, Me François Joseph Baptiste, Mme Caroline Benoît, M. Rony Joseph, M. Mickély Bolivar et M. Jean-Louis Aly pour leurs sympathies et leur soutien sans faille.

Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 26 Août 2008

samedi 23 août 2008

ADVIENNE QUE POURRA

ADVIENNE QUE POURRA

J’ai enquêté sous la foudre, la pluie, les vents,
Me mêlant ensuite dans l’orage et les torrents,
J’ai percé des mystères et reçu des menaces,
Au nom de la justice…au nom de toute la race.

Je décide selon la loi et ma conscience,
Sans aucune commune mesure et sans allégeance,
Et qu’importe le terme incertain de mes jours,
Ainsi je mourrai ; que le temps poursuive son cours.

Jusqu’au dernier, tous les dossiers seront traités,
Loin de moi démotivation et lâcheté,
Quel que soit aussi le nom dont on me prénomme,
Je resterai, envers et contre tous, grand Homme.

J’entends le clairon et la joyeuse cymbale,
J’imagine le beau discours et la pierre tombale,
Je le sens, un chaste amour va bientôt périr,
Quelle harmonie ! C’est assez pour qui doit mourir.

Les vrais amis? Que de larmes ils vont répandre,
De la Cité? Que de cris vont s’entendre,
Tout naît, tout passe au terme ignoré de son sort,
Tout s’use, tout périt, excepté ce qu’on ignore.

Ôter la vie à quelqu’un ne fait pas grandir,
C’est éteindre le feu dont on veut resplendir,
C’est abaisser sous soi le sommet où l’on monte,
C’est sculpter sa statue avec un bloc de honte.

J’ai combattu le bon combat sans faire de bruit,
Quoique cela m’ait attiré de gros ennuis,
Le moment d’observer la pause est encore loin,
Tant que la horde de vilains est dans mon coin.

Au péril de ma vie, j’ai juré de lutter,
De poursuivre les méchants sans me fatiguer,
Mais si je dois disparaître un bon matin,
Sans peur, sans reproche, j’affronterai mon destin.


Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 23 Août 2008

mercredi 30 juillet 2008

À BAS LES SALAUDS

À BAS LES SALAUDS

Une cascade d’événements en l’espace d’une semaine : l’association, établie par la Chambre d’Instruction Criminelle, de policiers hauts gradés avec les barons de la pègre, la cavale avérée de certains d’entre eux, la mise en cause des responsables du service d’investigation dans le Nord, appelés à s’expliquer sur certains dossiers, l’émission de mandats de comparution, d’amener et de dépôt par la justice…la question policière se trouve aujourd’hui au centre du débat sur la sécurité. La principale force publique haïtienne défend-elle efficacement les citoyens contre les kidnappeurs ?

Le constat est sans appel : le problème de l’efficience de la Police Nationale d’Haïti est posé avec la même acuité que celui de la moralisation de la société. Le nombre et le statut des policiers impliqués dans les enlèvements contre rançon illustrent l’état de délabrement avancé dans lequel se trouve actuellement l’institution policière. Des bandits, sans foi ni loi, ont bâti leur fortune sans être inquiétés. Certains ont été, avec la complicité de quelques officiers de police, jusqu'à constituer de véritables entreprises criminelles. Comment accuser la justice de laxisme et de faiblesse quand son bras séculier est corrompu jusqu’aux os ?

L’État est livré aux malfaiteurs. Des fonctionnaires occupant des postes sensibles au sein de la police travaillent main dans la main avec la mafia, au point où même les informations classées « Top Secret » au niveau des services de renseignements judiciaires sont connues dans le milieu mafieux. On peut légitimement s’attendre à ce que cela ait des effets négatifs sur la qualité du travail des magistrats et réduise l’efficacité de la mise en application des lois. Cette situation peut-elle encore durer longtemps ?

De simples policiers roulent dans des voitures flambant neuves, habitent des maisons de rêve, vivent au-dessus de leurs moyens en affichant une aisance matérielle que même les cadres supérieurs de la hiérarchie policière ne peuvent se permettre. Sous le couvert commode de lutte contre l’insécurité, ils s’adonnent à des activités illicites telles : kidnapping, racket, trafic de drogue, etc... Dans quelle catégorie comportementale doit-on insérer ces agents du diable sinon dans celle des salauds ?

L’entité policière, l’unique force de sécurité publique opérationnelle sur le territoire national depuis la démobilisation de l’Armée d’Haïti en 1994, est un outil central de la construction de l’État de Droit. Son rôle fondamental consiste à protéger la vie et les biens des citoyens contre les criminels. Une police mal payée et corrompue est une proie facile pour les ‘’parrains’’. Elle doit être mise, tout comme la magistrature, à l’abri des pulsions corruptives. Il faut se rappeler que ces deux institutions sont faites d’individualités dont la résistance face à la profusion pécuniaire doit être constamment consolidée par le contrôle et la motivation.

Même si, après coup, une volonté remarquable a pu être constatée ; la police haïtienne se trouve malgré tout dans la ligne de mire de la justice et de la population. Ceux qui tenteront de l’exploiter ou de l’utiliser à des fins détournées joueront leur destin. Le message consiste aujourd’hui à dire aux kidnappeurs qu’ils ne pourront plus compter sur la collaboration de certains policiers. Le réveil brutal de l’appareil judiciaire face à cette situation est salutaire. Il est venu à point nommé pour stopper la tumeur des connexions mafieuses.

Des informations font état de liaisons scandaleuses entre la police et la mafia. En vérité, ceux-là qui ont choisi de recourir à l’argent sale pour arrondir leur chèque de fin de mois ont, en effet, franchi le miroir. Ceux-là qui font du commerce de l’enlèvement ciblé leur source d’enrichissement doivent savoir que, tôt ou tard, ils seront extirpés à jamais de notre société. Ceux-là qui ont choisi la corruption seront bientôt mis hors d’état de nuire et de blanchir. La population attend impatiemment des gestes forts et ne cesse de répéter sous toutes les formes : « À bas les salauds » ! Saura-t-on trouver des hommes et des femmes pour accomplir cette œuvre de salubrité publique ? La parole est à la justice. Pourvu qu’elle sévisse !

Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 25 juillet 2008

lundi 14 juillet 2008

POUR L’AMOUR DU DROIT

POUR L’AMOUR DU DROIT

J’apprends la vie avec ses nombreux tours et craintes,
Je me fais douceur pour bien étouffer mes plaintes,
Simplement et sincèrement…pour l’amour du Droit.

J’apprends à encaisser les coups d’épée sans cesse,
Je me fais tout petit pour atteindre l’ivresse,
En vérité, j’irai dans la tombe…pour le Droit.

J’apprends les dix lettres du mot RÉSISTANCE,
Je me fais souvent invisible comme le silence,
J’accepte ma situation au nom du Droit.

J’apprends les Évangiles pour défier le diable,
Je me fais sagesse, courtois, poli, aimable,
Parce que je suis follement amoureux du Droit.

J’apprends à affronter tempêtes et ouragans,
Je me fais humilier sans mon consentement,
Pour prouver au monde entier combien j’aime le Droit.

J’apprends à remuer plaines et campagnes, Ciel et terre,
Je me fais modération pour calmer les nerfs,
L’orage me foudroie si ce n’est pas pour le Droit.

J’apprends cependant à être toujours comme on veut,
Je me fais exploiter et on s’en sort heureux,
Pour quelle raison, si ce n’est pour l’amour du Droit ?

J’apprends aussi le bien et je goûte à l’exquis,
Je me fais insensible à ma jeunesse et à ses cris,
Je recommencerai …par amour pour le Droit.

J’apprends parfois à être Magistrat silencieux,
Je me fais naïveté, croyant aux saints des cieux,
Une seule explication…mon penchant pour le Droit.

J’apprends enfin à rire et à pleurer dans l’ombre,
Je me fais tristesse pour l’avenir qui parait sombre,
Je jure sur la tombe de mon père : Honneur au Droit.



Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 14 Juillet 2008

samedi 5 juillet 2008

NON À UNE JUSTICE QUI TUE

NON À UNE JUSTICE QUI TUE

La fusillade en Chine, la pendaison en Irak, le gaz ou l’empoisonnement aux États-Unis : des hommes, des femmes, des innocents et des coupables subissent chaque jour cet assassinat qu’est la peine de mort. L’exécution d’êtres humains n’a rien d’un acte de justice, c’est plutôt un acte de vengeance. Quant à son utilité, rien ne sert d’en discourir tant il est vrai que son application ne prévient pas les crimes. La meilleure façon d’empêcher la criminalité est de s’attaquer aux causes. « Un homme tué par un homme effraye la pensée, un homme tué par les hommes la consterne » écrivait Victor Hugo dans son adresse aux Genevois. Nous pensons qu’aucun homme ne doit avoir le droit d’infliger la peine de mort à un autre homme car la barbarie n’arrête pas la barbarie.

Exaspérés, révoltés par la recrudescence des cas d’enlèvement, certains élus du peuple dont l’actuel Président de l’Assemblée Nationale, le Député et le Maire principal du Cap-Haïtien dessinent la carte de l’horreur imbécile qu’est la peine capitale. Nous sommes d’avis qu’on ne saurait envisager une telle équation sans tenir compte, entre autres facteurs, du contexte international, de la politique pénale du gouvernement et du sentiment de la population. Or, jusqu’ici, il n’y a aucun consensus national sur cette question.

Nous aurions pu comprendre autrement la position et la logique de ces trois partisans zélés de la peine de mort si dans le même registre, ils incluaient le Président de la République en cas de crime de haute trahison, le Premier Ministre, les Ministres et les Directeurs Généraux en cas de malversation, les Parlementaires en cas de corruption, les Magistrats (Juges et officiers du parquet) en cas de forfaiture, les Maires en cas de détournement de fonds et les Policiers en cas d’association avec les syndicats du crime. Rien de tout cela n’est évoqué. Comme si le problème de la criminalité, les plaies de l’insécurité et les maux de la société s’apparentaient aux seuls cas d’enlèvement.

Il n’y a aucune raison valable de rétablir la peine de mort. Pour nous autres, garant des droits de la personne, ôter ainsi la vie est une punition cruelle et inhumaine qui permet aux gens de laver leurs mains et de laisser l’État accomplir la terrible besogne de la tuerie. Il n’y a pas un problème de lois ni de peines en Haïti, c’est la vision qui nous fait défaut. Par exemple, les travaux forcés ne sont plus d’application, nous pensons qu’il faudrait demander des comptes au gouvernement. Quelle différence existe-t-il entre celui qui tue et l’Administration qui lui donne la mort en retour ? Au regard de la loi, il s’agit-là de meurtres prémédités, chacun en ce qui le concerne. On sait que des erreurs judiciaires existent, que fera t-on des condamnés innocentés après leur mort ? La peine capitale est un crime prémédité qui ne peut être effacé, en ce sens, elle est irréparable. C’est pourquoi, nous disons non au banditisme, non à la violence, non à l’impunité, non à une justice qui tue.

Cette grossièreté juridique est interdite par la constitution haïtienne en vigueur. D’autant que notre pays est lié par les pactes internationaux et la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme qui garantissent le droit à la vie. De plus, la Convention Américaine relative aux droits de l’Homme (Pacte de San José), à laquelle Haïti a adhéré, interdit, en son article 4.3, le rétablissement de la peine de mort dans les pays qui l’ont abolie. Nous espérons un jour que ce châtiment inhumain sera aboli à l’échelle mondiale.

La peine de mort prive du droit à la vie qui est le droit de l’homme le plus fondamental comme cela est bibliquement reconnu dans les dix commandements : « Tu ne tueras point » (Exode 20 : 3-17). C’est une peine cruelle, inhumaine et dégradante dont il a été prouvé qu’elle n’a absolument aucun effet dissuasif. Son abolition dans certains pays a permis d’élever la dignité humaine et de faire progresser les droits de l’homme ; c’est pourquoi, la lutte pour barrer son retour doit être menée avec de plus en plus de vigueur.

Rétablir la peine de mort, c’est faire preuve de myopie juridique et de régression intellectuelle…c’est également admettre l’échec de la Justice et de l’Humanité toute entière.

Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 05 juillet 2008

samedi 28 juin 2008

JUSTICE À LA VÉRITÉ

JUSTICE À LA VÉRITÉ

L’année judiciaire qui se termine augure un avenir sombre pour la magistrature qui se trouve à un virage déterminant de son histoire. Sans des interventions urgentes et courageuses, tous les efforts déjà réalisés seront vains et sans lendemain. La sécurité juridique et judiciaire est la pierre angulaire de l’Etat de droit et d’une économie porteuse de perspective réelle de croissance. Elle fait cruellement défaut en Haïti. Pour l’instaurer, il incombe au gouvernement d’appliquer au plus vite, sans complaisance ni tracasserie, les lois de réforme dont l’un des objectifs est d’assurer aux magistrats des conditions de vie et de travail qui garantissent leur liberté de conscience et l’exercice de leur mission en toute indépendance.

Les préalables à l’amélioration durable d’une bonne distribution de la justice sont loin d’être entièrement remplis. En fait, les fondations ont juste été posées, sur un terrain non encore défriché. L’application des prérogatives et l’installation des structures issues des lois de réforme ne sont pas encore effectives. Six mois sont déjà écoulés depuis leur ratification par le Parlement et leur publication au journal officiel de la République par le Chef de l’Etat. Tout ceci démontre éloquemment que la justice n’est pas une priorité pour les grands décideurs de la nation. Mais, fort heureusement, nous n’allons pas céder au découragement. Les risques et les sacrifices que nous avons consentis se sont révélés bénéfiques. Ils permettent que nous puissions aujourd’hui, plus qu’hier, envisager l’avenir avec assurance, et en nous-même, avoir à nouveau confiance.

Il est temps que la réforme judiciaire cesse d’être un projet pour devenir une réalité. Il est temps que cesse l’ironie du sort qui veut qu’aujourd’hui dans ce pays le criminel, parce que riche ou politiquement bien connecté, attende un verdict favorable que la victime, car démunie, peu connue ou sans possibilité de trafic d’influence. Il est temps que les Doyens et les Commissaires du gouvernement, tentés par l’appât du gain facile, cessent de libérer les narcotrafiquants contre qui les indices de culpabilité sont concluants et les charges plus qu’accablantes. Il est temps que les citoyens soient rassurés que devant le juge, seuls comptent les faits et le droit, et nullement la couleur politique ou la condition sociale. Il est temps que les décisions de justice redeviennent justes. Il est temps que la Direction Générale de la Police Nationale et la Secrétairerie d’Etat à la Sécurité Publique cessent de jeter l’anathème sur la justice pendant que bon nombre de policiers, principalement les responsables d’investigation, sont intimement liés à des poches d’enlèvement ou les dirigent directement en toute quiétude. La police a pour mission de protéger et servir la population et non de s’associer aux kidnappeurs, aux malfaiteurs, aux bandits qui sèment la terreur et le deuil dans les familles haïtiennes.

En dénonçant ces faits, nous faisons justice à la vérité. C’est facile de critiquer les juges quand les dossiers sont délibérément trafiqués ou que les enquêtes policières, d’avance, sont bâclées ou faussées. Nous ne nous faisons pas l’avocat du diable, sachant ce dont il est capable, et sur ce, la ligne de démarcation mérite d’être rapidement tracée. Comme dans tous les corps, on trouve dans la Magistrature haïtienne, de la bonne graine et de la mauvaise ivraie. Il n’est donc pas acceptable que cette dernière ternisse l’image de toute une corporation. En aucune façon, l’impunité, l’immoralité et la corruption ne doivent être tolérées. Ceux-là qui utilisent la justice à des fins mercantiles doivent être sévèrement sanctionnés, et à ce sujet, nous sommes pour la révision de la loi pénale, afin de la rendre plus dissuasive, notamment, par un relèvement des peines quand le justiciable est un préposé de l’Etat. Sans repères moraux clairs, le progrès n’est pas possible.

C’est le moment pour nous de blâmer également l’Exécutif et le Législatif. Le premier, pour ne pas instaurer la paix sociale, et particulièrement, solutionner le problème de la cherté de la vie. Le second, par son improductivité législative, a démontré qu’en Haïti le régime parlementaire n’a aucune valeur. Ces soi-disant élus du peuple n’ont fourni au pays aucun instrument juridique nécessaire à une gouvernance compatible avec les aspirations de leurs mandants. De nombreuses réformes sont cependant nécessaires concernant notre arsenal juridique et le fonctionnement des institutions étatiques dépourvues de lois organiques.

Le jour viendra où l’indépendance de la justice, voulue par le constituant et que nous appelons de tous nos vœux, sera une réalité. Nous savons qu’il y a des sceptiques et des défaitistes qui soutiennent que dans ce pays le changement n’est pas possible. Ils se trompent grandement ! Certains avaient douté qu’il existait un juge honnête en Haïti. Aujourd’hui, l’histoire s’est chargée de démontrer qu’ils avaient tort. Et nous allons continuer de les démontrer qu’ils se trompent encore. La justice n’a ni couleur politique ni appartenance sociale. Elle n’est ni de gauche ni de droite, ni du pouvoir ni de l’opposition. Le combat, pour arriver à sa crédibilité, ne saurait donc s’accommoder de camps ou de clans. Avec l’engagement de chaque magistrat honnête et avec l’aide du Seigneur, lentement mais sûrement, la réalité rattrapera le rêve.


Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 28 juin 2008

samedi 31 mai 2008

UN PROBLÈME TRÈS SÉRIEUX

UN PROBLÈME TRÈS SÉRIEUX

Il est évident qu’un texte de lois a pour principal objectif de consolider un système juridique par des logiques de pensée bien ancrées. On sait très bien que les systèmes anglo-saxon et romano germanique se diffèrent sur des points fondamentaux. Cela s’explique particulièrement du fait que les dispositions légales sont le plus souvent le résultat de réflexions philosophique, psychologique, moral, culturel et même religieux, propres à chaque pays. Ainsi, ne soyez pas étonné devoir des notions de droit américain ou anglais telles : « plea bargain, common law ou equity », totalement inconnues dans le système juridique haïtien. La raison c’est que nous ne faisons pas partie de la même famille de droit. Ceci ne veut pas dire qu’un compatriote haïtien ne peut pas être poursuivi par un tribunal canadien ou qu’un ressortissant américain ne peut être jugé en Italie. Les procédures sont variées d’un système à l’autre mais le droit reste et demeure universel. La justice ne parle qu’une langue : celle de l’équité.

Il nous est donné de constater un sérieux problème de traduction au niveau de la justice en Haïti. Les procès se tiennent généralement en français. Les jugements sont rendus également dans la langue des blancs venus de l’Hexagone…au nom de la république. Le juge, le Ministère Public, les avocats s’expriment fièrement dans la dialectique de Voltaire. Mais on n’a jamais vu un de ces messieurs plaider ou rendre une décision dans la langue de nos ancêtres. Honte ou complexe ? Ce qui est certain, le pauvre bougre qui est assis sur le banc de l’accusé ne comprend rien de la mascarade qui se fait. Il est là, sur la sellette, à regarder son avocat et le représentant de la société faire de belles envolées juridiques, dire des formules consacrées et des choses qui lui échappent, en se demandant désespérément à quoi jouent ces diables en noir ? On est en train de le sacrifier dans un patois qu’il ne comprend même pas. Le comble de la démagogie, on lui pose des questions en français par l’entremise du magistrat de siège qui, en grand manitou, les lui traduit dans sa langue maternelle. C’est un fait, le créole n’est pas apprécié ; il fait également objet de discrimination à outrance de la part des professionnels du droit.

On parle sur terre de deux à trois mille langues. On ne peut avancer un nombre précis, car il est souvent difficile de décider si deux « parlers » sont des langues ou des dialectes. A peu près 90% des haïtiens ne parlent pas le français, alors, pourquoi poursuivre un prévenu dans une langue dans laquelle il ne peut pas se défendre voire donner des répliques. C’est le même constat dans les Justices de Paix et aux Cabinets d’Instruction. Les magistrats posent les questions en créole et transcrit les réponses en français sur le procès-verbal d’interrogatoire. Un juge n’a pas le droit de traduire la déclaration d’un prévenu. Il doit recourir à un traducteur légalement assermenté, expert dans le domaine si, éventuellement, il se trouve confronté à pareil dilemme.

Ce problème est très sérieux dans la mesure où, parfois, la traduction de la déposition produit des effets inattendus pour n’être pas fidèle. On connaît l’histoire de ce juge qui, par erreur, ajoute dans sa traduction un zéro sur une somme, au moment de retranscrire une déposition. Nous le disons à qui veut l’entendre : il est difficile pour une personne, fut-ce un juriste, de bien traduire une déclaration sans une maîtrise parfaite de la langue en question. Or, l’on sait combien le français est nuancé. Le Juge qui s’adonne à de telles pratiques se trouve dans l’obligation de choisir un mot français équivalent plutôt que de conserver le terme créole original et de l’expliciter à sa manière, ce qui apparaît pour le moins incongru. Jusqu'à présent, la classification typologique, qui consiste à regrouper les langues présentant des structures grammaticales semblables, n’a pas encore donné de résultats satisfaisants.

Le droit n’est pas une simple affaire de traduction des mots. Bien sûr, on peut chercher dans les dictionnaires créoles pour vérifier le sens exact des termes et obtenir l’équivalent mais qu’en est-il des codes de lois qui sont tous écrits et édités en français ? Ici le problème se pose avec plus d’acuité. En vérité, cette façon de faire des magistrats et des avocats provoque, le plus souvent, la culpabilité du mis en cause. Traduire en français le créole haïtien devant la justice a pour effet de donner naissance à des stipulations incorrectes et des mésinterprétations regrettables avec toutes les conséquences que cela peut avoir pour les parties concernées. Ne dit-on pas ’’traduire c’est trahir’’ ? Si la Constitution de la République reconnaît deux langues officielles, par contre, le créole n’a pas encore trouvé sa place dans les tribunaux haïtiens où le français règne en maître…comme au temps de la Colonie.

Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 01 Juin 2008

jeudi 1 mai 2008

JOURNAL D’UN MAGISTRAT

JOURNAL D’UN MAGISTRAT

Nous évoquions, il n’y a pas longtemps, nos motifs d’inquiétude au moment où s’ouvrait l’année judiciaire 2007-2008. Cette inquiétude était hélas justifiée. Six mois plus tard, la situation n’a fait que s’aggraver. Les lois de réforme ne sont pas appliquées, la présidence n’est pas enclin à commissionner les juges en fin de mandat, le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire est dans l’impasse, et, en guise d’ajustement de salaire, il est question de prélèvement sur la pitance mensuelle qu’on donne aux magistrats et qui leur permet à peine de survivre…pour le salut de la nation. Qu’on ne s’y méprenne pas ! Cette mesure ne résoudra un iota du problème. Franchement, le Président n’a pas de conseiller économique. La solution est ailleurs ! Quand on dépense sans utilité et avec excès les recettes de l’État, on appelle cela du gaspillage…et c’est cette vanne qu’il faut fermer.

La justice est en crise continue malgré la volonté de réussir chez les Juges, les organisations de défense des droits humains et les partenaires de la communauté internationale. D’autre part, la cherté de la vie et le ralentissement de l’économie pour ne pas parler de récession, n’épargnent pas les acteurs judiciaires, et cette situation suscite malheureusement une tendance qui va à l’encontre des efforts déjà obtenus. Le responsable de cette tragédie a un nom : le pouvoir politique.

On n’a jamais vu des politiciens aussi crétins dans toute l’histoire d’Haïti. Ils ont tellement mal utilisé l’argent des contribuables qu’ils sont obligés de recourir maintenant à des solutions sans lendemain pouvant entraîner le pays dans une dégénérescence dont les conséquences seront incalculables. On est loin des menues dépenses tolérées si l’on tient compte des malversations qui secouent certaines institutions étatiques, en particulier, la Chambre des Députés. Le pire, aucune poursuite n’est engagée contre ces honorables corrompus. Le gouvernement révèle ainsi sa faiblesse. Et quand l’État montre des signes d’incapacité, c’est tout le pacte social qui est menacé.

En Haïti, le Juge perd son imperium. Le rejet de l’institution judiciaire a toujours été un mot d’ordre pour les politiciens haïtiens peu soucieux à doter le pays d’une justice forte et indépendante. En vérité, il y a des attitudes qui ne peuvent que faire grand tort à la Magistrature. Non pas que nous bâtissions de grands espoirs sur le pouvoir central mais nous avions pensé, pour une fois, qu’il allait changer le destin d’un système en quête d’un renouveau. Malheureusement, la Justice est, encore une fois, victime de comportement discriminant et sans appel. Le fait par le gouvernement de ne pas tenir compte des lois de réforme, malgré leur ratification et leur publication au Journal officiel, est une intolérable outrage à tous les Magistrats de la république. Avoir des principes, c’est bien ; les appliquer, c’est mieux.

C’était hier, nous semble-t-il, que nous prenions notre plume pour écrire notre premier texte. Nous nous sommes efforcés, semaine après semaine, de faire écho des points les plus importants en rapport avec le dysfonctionnement du système judiciaire. Depuis, un an a passé ! Aujourd’hui encore, la force des choses nous met dans l’obligation de poursuivre le combat. Malgré les notes décourageantes de certains avocats et confrères du Temple, nous sentons l’indispensable besoin, tout en partant du constat, de mettre à nouveau en accusation. S’il n’est pas possible, en ces temps difficiles et incertains, de faire des prévisions pour la justice, qu’il nous soit permis cependant de former le vœu de voir s’atténuer les tensions politiques.

Si nous n’étions pas un Magistrat…nous ne serions certainement pas un politicien. Nous serions un animal, un petit animal. Nous serions un insecte…Mais pas n’importe lequel, nous serions une mouche : celle qui pique.


Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 01 mai 2008

samedi 22 mars 2008

L’INCULPÉ AU CABINET D’INSTRUCTION

L’INCULPÉ AU CABINET D’INSTRUCTION

Au Cabinet d’Instruction, tout inculpé doit être expressément informé de son droit: de se faire assister d’un avocat ou d’un témoin de son choix lors de sa première comparution et de ne pas être interrogé en absence de celui-ci ; de demander le bénéfice de l’assistance judiciaire s’il n’a pas les moyens de se procurer les services d’un homme de l’art ; de demander en toute état de cause sa mise en liberté provisoire sous condition de se présenter à toutes les phases de la procédure et pour l’exécution du jugement, aussitôt qu’il en sera requis ; de faire appel contre toute ordonnance définitive du Juge d’Instruction.

Ceci est le côté idéal…normatif de la question. Mais, qu’en est-il véritablement de la situation de l’inculpé au Cabinet d’Instruction ?

Ce qu’on constate, c’est que les prescrits de la loi ne sont pas respectés. L’inculpé passe des mois voire des années en détention préventive prolongée sous mandat de dépôt du Juge d’Instruction avant que celui-ci ne rende son ordonnance de clôture. Dans la plupart des cas, il n’est pas assisté au niveau du Cabinet d’Instruction, et n’est pas mis au courant de ses droits. Il est interrogé assez souvent, sous pression et avec discrimination comme s’il était déjà jugé coupable. Or, le magistrat doit instruire à charge et à décharge en tenant compte du principe en vertu duquel toute personne accusée d’une infraction pénale est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.

Autre remarque : l’inculpé est interrogé en créole, alors que la transcription est faite en français sur le procès-verbal d’interrogatoire. On entend les avocats de la défense dire à l’audience : ‘’ Le magistrat a trahi la pensée de mon client puisque ce dernier avait déposé en créole.’’ Tout ceci, pour dire que le comportement de certains magistrats instructeurs dans la gestion de dossiers laisse à désirer.

Est-ce un problème de moyens, est-ce un problème de textes trop désuets ou de compétence tout simplement? Et comment pallier ces irrégularités ? De toute façon, les magistrats concernés doivent savoir que, même en régime d’incarcération, l’inculpé continue à jouir de certains droits et de garanties judiciaires, consacrés par la constitution et les traités internationaux signés et ratifiés par Haïti. Ils doivent se rappeler que le respect des principes traduit la qualité et l’efficacité de la justice ou du système pénal et que « le droit ne s’arrête pas à la porte de la prison ».

Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 23 mars 2008

mercredi 19 mars 2008

DE LA BINATIONALITÉ

DE LA BINATIONALITÉ

La double nationalité se définit par l’appartenance simultanée à la nationalité de deux États. C’est donc le fait de posséder deux nationalités et d’appartenir à deux pays différents. Certains États comme le Congo (RDC), la Chine, le Japon, la Finlande et Haïti l’interdisent expressément. D’autres l’autorisent pleinement et simplement. D’autres, enfin, ne l’interdisent que pour l’exercice de certains mandats ou fonctions publiques.

Dire qu’un passeport est un simple livret de voyage qui n’engage pas la nationalité d’une personne n’est pas exact. Le passeport est un document officiel délivré à ses ressortissants par l’administration d’un pays, certifiant l’identité de son détenteur pour lui permettre de circuler à l’étranger.

En spéculant de la sorte sur la problématique de la double nationalité, nous soulevons un faux débat. On a compliqué le sujet à tel point qu’il est maintenant difficile à chacun de se retrouver. Mêmes les autorités qui s’y engageaient ne parviennent pas à en trouver l’issue.

Juridiquement, l’article 15 de la Constitution ne prête à aucune équivoque : « La double nationalité Haïtienne et Étrangère n’est admise dans aucun cas ». Mais politiquement, on est en droit de poser la question : ‘’Cette disposition est-elle juste ou injuste au regard de la situation socio-économique du pays ? C’est-à-dire : La double nationalité serait-elle bénéfique ou non pour Haïti ? Et c’est là que devrait centrer le débat.

Le problème est simplement politique et non juridique. Personnellement, je pense qu’on devrait réviser plusieurs articles de la constitution, notamment l’article 15, pour permettre aux compatriotes qui, pour une raison ou pour une autre, avaient, dans un moment de leur vie, acquis une nationalité étrangère, de garder ou reprendre leur nationalité d’origine ; avec des restrictions pour certaines fonctions politiques ou publiques. Cette réserve reste à débattre et à préciser.

Nous avons trop de compétences à l’étranger, nous en avons aussi en Haïti mais elles sont minimes et ne sont pas au timon des affaires de l’Etat. Les pays du Maghreb : Tunisie, Algérie, Maroc, Libye et Mauritanie, ont largement profité de leurs binationaux. Haïti pourrait également bénéficier de la science de ses nombreux fils savants, éparpillés à travers le monde.

Maintenant, qu’en est-il de ceux-là qui ont sciemment transgressé la loi haïtienne en se faisant délivrer, par des manœuvres frauduleuses et dans l’intention de tromper, un passeport pour lequel il n’était pas habilité ? Ces individus sont agents infracteurs au même titre que le pauvre paysan qui a volé un régime de bananes et qui croupit en prison, attendant instamment, l’heure de son jugement.

À travers le monde, la double nationalité n’a rien de controversée au regard des législations. Qu’elle soit autorisée ou non, elle n’est autre qu’une théorie de l’organisation d’un État souverain par rapport à sa politique. Certains pensent qu’on ne peut pas s’asseoir sur deux chaises à la fois et qu’il faut choisir, d’autant que l’article 14 de la constitution de 1987 offre l’opportunité de recouvrer la nationalité haïtienne. D’autres le voient différemment…et les opinions n’en finissent plus.

Cependant, il n’est un secret pour personne que, aux Etats-Unis et au Canada, la double nationalité pose des problèmes lors de l’embauche dans les sociétés très sérieuses car il y a un manque de confiance par rapport au statut binational du demandeur d’emploi. Et cela peut se comprendre. En France, hier encore, un chef de parti, M. Jean-Marie Le Pen, a demandé publiquement à la Ministre de la justice, Madame Rachida Dati, née en Saône-et-Loire, de décliner sa nationalité, sachant qu’elle est de père marocain et de mère algérienne. C’est une façon pour dire que cela a fait et fait encore l’objet de débat politique dans plusieurs pays. Doit-on l’autoriser en Haïti ? La nation entière et chaque Haïtien indistinctement devront dire leur mot.

Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 19 mars 2008

samedi 15 mars 2008

AU-DELÀ DES ILLUSIONS

AU-DELÀ DES ILLUSIONS

Je suis ulcéré et traumatisé devant les complaintes lancinantes des justiciables face à la dérive intolérable de la justice. J’ai déjà eu l’occasion, en d’autres circonstances, de dire ce que je pense de la corruption au sein de l’appareil judiciaire. Je ne voudrais pas entrer encore une fois dans l’examen de cette délicate question qui a donné lieu à d’importantes et remarquables conclusions des plus distinguées personnalités de la classe intellectuelle et des plus hautes autorités de l’Etat. Mais il y a incontestablement des situations qu’il faut dénoncer voire abandonner parce qu’elles sont inacceptables.

J’ai appris récemment que le détenu en faveur duquel un ordre de mis en liberté est émis devrait payer à l’huissier, au messager ou à l’agent pénitencier porteur de la correspondance, entre deux cent cinquante à trois cents gourdes pour que ledit ordre soit exécuté. Qu’est-ce que cela veut dire ? Et si la personne écrouée n’a pas d’argent, qu’est-ce qui va arriver ? Que dire des juges de paix qui demandent jusqu'à cinq mille gourdes pour verbaliser un vol ou un homicide, des infractions pénales pour lesquelles légalement ils ne devraient réclamer aucun frais ? Ils savent pertinemment que les constats pénaux sont gratuits, pourtant ils rançonnent les justiciables. Sans oublier les greffiers qui élaborent des jugements ou des actes d’adoption en se faisant payer gracieusement en devises américaines, au mépris des nouveaux tarifs judiciaires en vigueur. La justice est malmenée par ceux-la même qui devraient contribuer à son efficacité et à son crédit. Quel malheur !

Cela n’étonnera personne si je dis que par tempérament, je suis un révolutionnaire. Mais cela n’est certainement pas le cas de tout le monde. En fait, ce que je veux dire par-là, les choses pourraient véritablement changer si chacun y mettait du sien. Les autres acteurs du système devraient, eux aussi, se lancer dans la bataille car comme dit le vieux proverbe : « Un discours sur la femme par un homme est toujours suspect mais un discours sur la femme par trois hommes devient terriblement inquiétant. » Il n’appartient pas à moi seul de dénoncer la corruption et les irrégularités qui gangrènent la justice haïtienne. Les autres magistrats doivent faire autant sinon…eh bien sinon, là il y a un problème. Peut-être que mes collègues ne sont pas d’accord avec ce que je fais, si tel était le cas, je devrais tout de suite mettre un terme à ma témérité et tirer les conclusions qui s’imposent.

Envoyer en taule des criminels, combattre la corruption, enquêter sur les trafiquants de drogue…c’est rien. Je le fais chaque jour et je le ferai tant que je remplirai la fonction de magistrat instructeur. Auditionner des témoins, décerner des mandats, donner commission rogatoire…c’est dans mes attributions. Mettre en examen des kidnappeurs, des malfaiteurs, des violeurs, affronter les dangers…c’est mon boulot…j’assure. Je peux passer des heures et des heures dans mon bureau à cuisiner un inculpé…je peux supporter la haine et le regard glacial de mes ennemis mais recevoir le baiser de Judas de certains confrères…je refuse.

Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 15 mars 2008

samedi 8 mars 2008

UN CONCEPT À COMBATTRE

UN CONCEPT À COMBATTRE

La procédure pénale proprement dite comprend nécessairement les phases de l’enquête préliminaire, de l’instruction et éventuellement de recours. À ces phases s’ajoute bien évidemment celle de la saisine de la juridiction de jugement. Chacune de ces étapes dure un espace de temps…d’où l’obligation de prescrire des délais pour contrer les dérives.

Les délais prévus en matière pénale sont généralement des délais d’ordre et d’application stricte, c’est-à-dire, ils sont considérés comme formalité substantielle, et dès lors, prescrits à peine de nullité. Malheureusement, ces prescriptions sont peu nombreuses dans le droit pénal haïtien et ne prennent en compte que certaines phases de la procédure, avec un manque de précision qui donne lieu à des interprétations diverses.

De façon explicite, le délai accordé au commissaire du gouvernement pour transmettre au juge d’instruction un dossier avec son réquisitoire d’informer n’est pas défini, également celui entre la signification de l’ordonnance de clôture ― ne faisant pas objet de recours ― et la rédaction de l’acte d’accusation… pour ne citer que ceux-là.

Ceux-ci, n’étant pas réglementés, s’étendent souventes fois sur de longues périodes et créent une situation incertaine, susceptible non seulement de causer préjudice aux personnes placées en détention, mais aussi d’avoir des effets négatifs sur la gestion administrative des dossiers.

Cette lacune a incité le gouvernement haïtien a adopter un principe général de droit, en l’occurrence, la notion de « délai raisonnable », qui trouve son expression juridique formelle dans les Conventions Américaines et Européennes Relatives aux Droits de l’Homme. Cependant, la mise en œuvre de ce concept présente un inconvénient évident : les critères d’application soulèvent des problèmes d’interprétation.

Nous connaissons des cas où des personnes écrouées aux ordres du commissaire du gouvernement passent des mois en prison avant que celui-ci ne transmette le dossier ensemble le prévenu au cabinet d’instruction pour la mise en examen de celui-ci. Il y a des inculpés qui sont gardés pendant deux ans voire trois ans en détention malgré une ordonnance les renvoyant par-devant un tribunal pour être jugés.

Entre-temps, quelle est donc la condition juridique de ces personnes ?

Humainement, la situation de l’agent concerné qui subit les affres d’une détention prolongée et arbitraire sur une longue période est à plaindre, surtout quand le Parquet n’a pas encore saisi le cabinet d’instruction, ou que le Magistrat Instructeur a déjà rendu son ordonnance définitive.

Que ce soit dans un ‘’délai raisonnable’’ ou ‘’sans délai’’, chaque magistrat apprécie et interprète à sa manière, faute d’une prescription clairement établie. Le concept n’est pas défini, c’est un fait. Aussi, serait-il souhaitable que le gouvernement, la commission justice du parlement en communion avec les différents organes judiciaires imposent des règles strictes en matière de délai, règles qui auraient l’avantage non seulement de répondre aux droits légitimes des parties en cause et d’éviter tout arbitraire, mais aussi d’obliger la justice en général et les magistrats en particulier à améliorer leur gestion.

Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 09 mars 2008

vendredi 29 février 2008

COUP DE COLÈRE

COUP DE COLÈRE

Le mieux est parfois, on le sait, l’ennemi du bien. Mais a-t-on réellement voulu le mieux en n’assortissant pas la réforme de la justice des mesures d’accompagnement indispensables à son efficacité ? Nous en doutons sérieusement. Nous en doutons tellement que nous sommes à nous demander : est-ce que nous n’avons pas été leurrés, dupés par les deux autres pouvoirs, en particulier, l’Exécutif ?

Ils nous ont fait beaucoup de promesses mais ils n’en ont tenu aucune jusqu'à présent. Le tribunal de paix de l’Acul du Nord se trouve toujours au coeur d’un marché public et d’un cimetière. Ah ! Si les morts pouvaient parler ! A Port-Margot, le Juge de Paix prend siège au commissariat de police ou chez lui, fièrement, sous un manguier, faute de local. Nous sommes revenus à l’âge de la pierre.

Au Cap-Haïtien, un Juge d’Instruction a été l’objet d’agressions verbales à l’intérieur d’un véhicule de transport public, et ce, dans l’exercice de ses fonctions, pendant qu’il se rendait sur les lieux d’un crime, en quête d’indices concernant un dossier dont il a la charge. Cela est arrivé parce que la loi portant statut de la magistrature, le gouvernement, les responsables du ministère de la justice ne reconnaissent pas le travail du Magistrat Instructeur, minimisent sa valeur et ne respectent pas son honorabilité et sa puissance.

Cependant, quand il s’agit de festivités burlesques, de petits projets démagogiques, de fictions politiques ou autres mondanités, on ne lésine pas sur les moyens. Le pouvoir central accorde des largesses et des avantages inimaginables à des individus qui n’ont aucune utilité…vraiment aucune pour la société.

Dans la réalité, le travail d’un Président de la république, d’un parlementaire, d’un ministre, d’un secrétaire d’Etat, d’un directeur général, d’un doyen, d’un commissaire du gouvernement, d’un commissaire de police, d’un délégué départemental, d’un directeur de douane ou des télécommunications et j’en passe...n’est rien, comparé à celui d’un Juge d’Instruction. Pourtant, pourtant…

Nous ne nous attendions pas réellement à un changement radical de notre système judiciaire mais plutôt à des aménagements permettant d’assurer la meilleure justice possible. Malheureusement, les engagements pris par l’Etat à l’égard de la justice continuent de jour en jour à ne pas être respectés et ne sont toujours pas effectivement mis en œuvre. Plus de deux mois après la publication des lois de réforme, les Magistrats, principalement les Juges d’Instruction, malgré leur mobilisation, sont confrontés à d’inadmissibles difficultés dans l’exercice de la profession.

Aujourd’hui, nous crions notre ras-le-bol de cette situation. Et nous sommes vraiment en colère. On ne fait pas une réforme pour le plaisir de réformer. On la fait parce qu’il y a un besoin urgent de changer les choses. Nos dirigeants et nos hommes politiques sont tous des méchants qui ne pensent pas au pays.

« C’est la méchanceté qui est une culture en Haïti et non la cherté de la vie ».

Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 01 mars 2008

samedi 23 février 2008

IMMUNITÉ N’EST PAS IMPUNITÉ

IMMUNITÉ N’EST PAS IMPUNITÉ

Si l’audition d’un parlementaire en qualité de témoin ne pose pas de difficultés et n’implique pas la levée de l’immunité parlementaire, la situation est plus délicate quand il s’agit de le poursuivre quand il est soupçonné d’avoir commis une infraction.

L’immunité n’implique pas l’impunité. Elle a pour objet d’assurer le bon fonctionnement du Corps Législatif, et non de protéger le parlementaire en tant qu’individu. La Chambre doit simplement vérifier si la demande est sincère et sérieuse.

Pour être sincère, elle ne peut être inspirée par d’autres motifs qu’une bonne administration de la justice. Pour être sérieuse, elle ne peut se heurter manifestement à aucun obstacle de droit, surtout s’il y a des indices suffisants sur l’existence des faits imputés.

Une demande de levée d’immunité parlementaire, qu’elle soit formulée par le Commissaire du gouvernement ou par le Juge d’Instruction, tend uniquement à permettre l’exercice de l’action publique. D’ailleurs, on connaît le dicton : « personne n’est au-dessus de la loi ».

Il est impensable qu’une section du parlement puisse s’opposer à la levée de l’immunité de l’un de ses membres sous prétexte, par exemple, que cela va constituer une entrave au déroulement normal des travaux de l’Assemblée dont le parlementaire fait partie.

On imagine mal qu’une Assemblée refuse la levée d’immunité d’un sénateur ou d’un député parce que celui-ci peut voir l’exercice de son mandat gêné par des interrogatoires voire une inculpation, ou que son arrestation peut avoir pour effet de bouleverser les rapports de force qui se traduisent au sein du parlement.

On n’a pas à mettre en balance la nécessité d’assurer l’administration normale de la justice et celle de garantir le bon fonctionnement de l’institution parlementaire. Toute demande de levée d’immunité faite par la justice devrait être exécutée car en absence de cette formalité, et pour autant qu’il n’y ait pas de flagrant délit, toute information judiciaire permettant de dégager une preuve ou même un indice de culpabilité à charge est nulle, et ce, sans égard à l’intention du ministère public ou du magistrat instructeur en charge du dossier.

Cependant, malgré cette couverture et cette largesse constitutionnelle prévues à l’article 114, le parlementaire n’est pas un intouchable puisqu’en cas de crime flagrant, il est privé du bénéfice de l’immunité. Et c’est pourquoi nous insistons pour dire que l’article 115 de la constitution ne consacre pas l’impunité absolue des parlementaires. Ceux-ci, pendant la session et pour autant qu’il n’y ait pas de flagrant délit pour faits emportant une peine afflictive et infamante, sont protégés contre des poursuites ou des arrestations arbitraires.

En les protégeant de la sorte, le constituant n’avait d’autre objectif que de garantir les citoyens contre toute atteinte à la manière dont ils ont exprimé leur vote lors des élections législatives. C’est-à-dire, l’immunité parlementaire vise à empêcher les pouvoirs exécutif et judiciaire, par des décisions arbitraires, de modifier les équilibres de force au sein du parlement et, partant, de compromettre le fonctionnement de celui-ci.

Expliquée de la sorte, l’immunité parlementaire s’analyse comme une mesure d’accompagnement du système démocratique. Encore faut-il que les parlementaires, lorsqu’ils statuent sur une demande de levée d’immunité concernant l’un de leurs pairs, n’adoptent pas une attitude protectionniste. En d’autres termes, le caractère arbitraire des poursuites doit être avéré pour qu’une Chambre refuse de lever l’immunité de l’un de ses membres.

Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 24 février 2008

samedi 16 février 2008

DÉMARIAGE: UN TERME TRÈS CATHOLIQUE

DÉMARIAGE: UN TERME TRÈS CATHOLIQUE

Il a toujours existé une polémique entre les noces religieuses et les noces civiles. Certains pensent que les unes sont purement légales et les autres seulement sociales. De même pour la dissolution des liens conjugaux, le débat persiste quant à l’interprétation du concept par la juridiction de droit commun et la juridiction ecclésiastique.

Le droit civil distingue l’annulation du mariage et sa dissolution. L’une agit « ex tunc », l’autre, « ex nunc » seulement. Rejetant sa dissolution par divorce et ne l’admettant que par décès, le droit canonique se plait à distinguer, lui, nullité et annulation.

Récemment encore, on se demandait : ‘’est-ce qu’on peut casser un mariage religieux ‘’ ?

Par principe, l’Église catholique refuse et refusera toujours d’annuler un mariage religieux mais l’Épiscopat, c’est-à-dire, le Haut Clergé, peut constater sa nullité pour non conforme aux exigences. En d’autres termes, indirectement, l’Église catholique, par la voix de ses prélats, reconnaît qu’un mariage est nul si, au moment où il a été contracté, les conditions à sa validité n’étaient pas réunies. Elle se borne alors à déclarer qu’en dépit des apparences, le lien conjugal n’a jamais existé.

On voit là une « contradictio in terminis » propre à la casuistique. Ce qu’il faut comprendre, c’est que dans les motifs, la nullité du mariage religieux ne diffère pas, en effet, de celle du mariage civil. Ce qui distingue l’un de l’autre, c’est en tout cas, l’absence du divorce en droit canonique, et sa présence en droit civil. Tandis que dans les deux, l’annulation résulte de la constatation d’une cause de nullité, et a pour effet de tenir rétroactivement pour non avenu l’acte vicié et de remettre les choses dans le même et semblable état où elles se trouvaient avant l’acte incriminé.

Toutefois, il est un point commun aux deux mariages, acceptable, que ce soit par le droit civil ou le droit canonique : le terme ancien de démariage, qui désigne tant le divorce que l’annulation.

Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 17 février 2008

dimanche 10 février 2008

RÉFORME JUDICIAIRE: UN PAS EST FRANCHI

RÉFORME JUDICIAIRE: UN PAS EST FRANCHI

Le judiciaire, l’un des trois pouvoirs reconnus par la constitution, est toujours en quête de ses lettres de noblesse. Et cela, en dépit de nombreux sacrifices consentis par l’actuel gouvernement. Pour la première fois depuis longtemps, nous avons un sentiment d’espoir pour la justice.

Un diagnostic du système laisse transparaître aujourd’hui des avancées qui méritent d’être applaudies et consolidées mais on est encore très loin de l’idéal. Sur le papier, le gouvernement est en train d’octroyer à la justice son indépendance, son autonomie et sa déconcentration.

Des lois de réforme sont votées, et celles-ci ont pour but d’améliorer les conditions de vie des magistrats du point de vue salarial afin de les mettre à l’abri de la corruption et de rendre au pouvoir qu’ils exercent toute son intégrité.

C’est dire qu’une justice à la hauteur de nos espérances démocratiques, composée de magistrats et d’auxiliaires professionnels, consciencieux, honnêtes, proches et accessibles à tous, n’est pas une image au-delà de nos capacités. Nous serons attentif à faire écho aux premières applications qui seront faites des nouveaux textes.

Nous en appelons donc au sens élevé des responsabilités de tout un chacun afin que la justice soit davantage renforcée et crédibilisée. Car justement, le sentiment du justiciable d’avoir affaire à des magistrats compétents et sérieux est primordial pour l’enracinement de l’État de droit dans toute démocratie. On a fini par comprendre que le problème de la justice n’est pas conjoncturel, mais plutôt structurel.

Nous le réitérons, nous nous sommes engagé pour défendre la justice parce que c’est la seule institution de l’État dont le nom mérite la vertu. Nous invitons les autres magistrats à venir participer au combat pour une meilleure justice. Ils doivent savoir qu’ils exercent un très beau métier, donc, c’est à eux de le revaloriser.

Nul ne peut prédire l’avenir. Mais nous, nous avons pour principe de regarder tout droit devant. Nous avons le sentiment et la conviction que les choses peuvent changer. Si les conditions de vie et de travail sont améliorées et les règles de gestion de la carrière assainies, la confiance entre le citoyen et la justice sera rétablie.

Pour cette nouvelle année 2008, nous souhaitons pour la justice de notre pays qu’elle ait des moyens adéquats pouvant contribuer à son bon fonctionnement et des juges dignes et loyaux qu’elle mérite.

‘’Pour que le mal triomphe...seul suffit l’inactif des hommes de bien’’ !

Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 10 février 2008

samedi 26 janvier 2008

LES ENNEMIS DE LA JUSTICE

LES ENNEMIS DE LA JUSTICE

S'il est vrai que le sens moral d'une nation se modifie suivant le degré de sa civilisation, alors on peut comprendre aisément la situation des institutions haïtiennes après deux cents ans d'indépendance. Chez nous, on aime faire porter le chapeau à d'autres pour justifier ses erreurs ou ses échecs. Quand ce ne sont pas les blancs, ce sont les houngans. Et si ce n'est pas la police, c'est la justice. Après deux siècles d'administration, l'équation est toujours la même: l'intérêt passe avant le savoir et la morale.

Nous savons qu'il y a des sujets tabous en Haïti, et nous savons aussi ce à quoi nous nous exposons en emboîtant pareil pas, en empruntant cette voie périlleuse et épineuse, celle de dénoncer les tractations macabres et les magouilles farfelues d'un système corrompu et dépravé qu'est la justice de notre pays. Mais, notre cœur et notre âme sont engagés dans cette cause. Nous avons été élevé avec le sens de la loyauté, de l'intégrité et du devoir. De même qu'il faut un brave pour porter le drapeau, il faut une voix pour mettre en accusation. Et c'est pourquoi aujourd'hui nous accusons.

Nous accusons les Sénateurs et les Députés qui critiquent la justice et, dans le même temps, proposent et imposent au Ministre de la justice des éléments incompétents et corrompus pour la magistrature sans tenir compte de leur profil et de leur personnalité. Le parlementaire étant un politicien, son choix ne peut être que politique et partisan.

Nous accusons les Responsables du Ministère de la Justice qui se permettent de sermonner la magistrature et de la remettre hypocritement en question pendant qu'ils se font complices de ces faiseurs de lois. Aucun fonctionnaire compétent et cultivé ne doit se faire le laquais de quelqu'un, fut-ce une autorité, qui fait du porte à porte dans les ministères en quête de faveur en oubliant ses attributions constitutionnelles.

Nous accusons les diplômés de l'Ecole de la Magistrature qui se sont plongés dans l'horreur de la corruption. Ils méritent que la loi les punisse pour leurs crimes. Sont logés dans la même enseigne, les magistrats parachutés dans le système qui acceptent une fonction pour laquelle ils n'ont aucune compétence. Qu'ils soient tous maudits!

Nous accusons les victimes qui refusent de dénoncer les abus et les injustices dont ils sont l'objet de la part des mercenaires du système. Egalement les citoyens qui encouragent le désordre dans l'appareil judiciaire et qui croient qu'un magistrat doit vivre de pain et d'eau fraîche. Sans oublier les policiers mafieux qui ignorent ce qu'est un mandement exécutoire et qui requièrent de l'argent pour prêter main forte dans l'exécution des décisions de justice, enfin les avocats sans vergogne qui font croire à leurs clients que l'énormité de la somme réclamée est destinée au juge entre les mains duquel se trouve leur dossier.

De tout ce qui précède, nous tenons ceux-là pour responsables des déboires de la justice et nous les accusons devant l'histoire de participer chaque jour à la détérioration voire la mise à plat de la plus noble institution de l'Etat. Nous les déclarons ennemis de la justice et de la patrie.


Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d'Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 27 janvier 2008

samedi 19 janvier 2008

DÉTENTION PROVISOIRE ET DÉLAI D’INSTRUCTION

DÉTENTION PROVISOIRE ET DÉLAI D’INSTRUCTION

Dans le droit pénal haïtien, on a toujours tendance à confondre le délai accordé au juge d’instruction pour mener son information à la durée maximale que devrait passer un inculpé en détention avant l’émission de l’ordonnance de clôture. Cette question suscite de nombreuses discussions parmi les professionnels du droit. Les uns sont catégoriques dans leurs réponses ; les autres, plus ou moins hésitants, formulent une certaine réserve sur le sujet.

Ce que je pense !

Au prime abord, il s’agit évidemment de deux choses tout à fait différentes.
Certains pays prévoient une durée de détention provisoire distincte de celle d’instruction. Dans la législation pénale haïtienne, le code d’instruction criminelle n’a pas établi une durée de détention provisoire. Il nous réfère seulement à l’article 7 de la loi du 26 juillet 1979 sur l’appel pénal qui stipule :’’Le Juge d’Instruction a un délai de deux mois pour en mener l’instruction et communiquer les pièces au Ministère Public et un délai d’un mois pour l’émission de l’ordonnance de clôture’’. Ce délai est de nature procédurale. C’est-à-dire, il a un caractère purement administratif qui impose au juge d’instruction, en tant que fonctionnaire public, de clôturer son dossier dans un temps déterminé. Parallèlement, le délai de la détention provisoire est de nature substantive et devrait, en cas de non observance, ouvrir automatiquement la porte de la liberté à la personne détenue si le juge n’avait pas rendu une ordonnance motivée de prolongement.

Le régime de la détention provisoire tel que décrit et réglementé par les articles 95 et suivants du code d’instruction criminelle est compliqué et inadapté à la réalité du pays. D’ailleurs, le législateur ne précise pas dans quelles conditions cette mesure doit être appliquée et ne mentionne nullement les conditions de fond, de forme ni la durée. Dans ce cas, il est donc nécessaire de recourir aux instruments internationaux ratifiés par Haïti pour pallier les manquements de notre droit pénal. La Convention Américaine Relative aux Droits de l’Homme prévoit dans son article 5 que : « toute personne arrêtée ou détenue sera traduite dans le plus court délai devant un juge ou un autre fonctionnaire habilité par la loi à exercer des attributions judiciaires, et devra être jugée dans un délai raisonnable ou libérée sans préjudice de la poursuite de l’instance. La mise en liberté de l’accusé peut-être conditionnée à des garanties assurant sa comparution à l’audience. » Mais là encore, il y a un problème : la notion de délai, quoique complétée par les épithètes ‘’court ou raisonnable’’ n’est toujours pas définie…

Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 20 janvier 2007

dimanche 13 janvier 2008

LES GRANDS PROBLÈMES DE LA JUSTICE

LES GRANDS PROBLÈMES DE LA JUSTICE

La justice ne peut pas répondre aux attentes de la société pour quatre raisons principales. Il y a des dysfonctionnements qui sont liés aux acteurs eux-mêmes.

Dans tout groupe social, il y a de bons et de mauvais éléments, et la proportion de ces derniers est constante au sein de la magistrature. Ce qui fait que la justice est décriée. Mais, nous devons également souligner que la corruption n’est pas un fait de la justice. C’est un phénomène social, et elle dépend de chaque individu, de son éducation de base.

On doit sévir contre les corrompus car il va s’en dire que le juge doit être une référence. Aucune indélicatesse ne doit être tolérée. Cependant, nous insistons pour dire que le magistrat n’est pas un citoyen ordinaire, ni un fonctionnaire ordinaire. A ce titre, il a une responsabilité sociale qui exige qu’on lui assure de bonnes conditions de travail. Ceux qui refusent d’accepter cela ne se respectent pas eux-mêmes. C’est à partir du moment où on consent à faire des sacrifices pour les magistrats¬¬¬ – (même quand, à défaut, cela ne saurait justifier leur comportement débonnaire, soit on est magistrat, soit on ne l’est pas) – qu’on est en droit d’exiger d’eux qu’ils soient irréprochables.

Ensuite, il y a l’ingérence nocive des politiques dans le judiciaire. Les magistrats ne sont pas aises de travailler librement car, à chaque fois, l’exécutif ou le législatif vient fourrer son nez dans ce qu’ils font, alors que chacun a son rôle. Le jour où l’on commencera à respecter véritablement le principe de la séparation des pouvoirs, les choses iront mieux. Un fait est certain : quand la politique s’y mêle, le droit s’enfuit.

Mais au-delà de ses deux aspects, nous pensons qu’il faut parfaire la connaissance des acteurs judiciaires et les outiller car le droit évolue. Le manque de formation contribue pour beaucoup à certaines irrégularités. Il faut aussi sortir pour aller voir comment cela se passe ailleurs. Il faut donner aux magistrats l’occasion et la possibilité d’aller voir ce qui se passe dans d’autres pays et ainsi renforcer leur capacité au service de la justice haitienne.

Enfin, il faudra débarrasser notre arsenal juridique des textes rétrogrades dont il regorge.

Si ces quatres grandes problématiques sont résolues, et si nos propositions sont prises en considérations, nous sommes certain que beaucoup de choses vont changer en Haiti.

Nous invitons les responsables de l’État et l’ensemble des acteurs judiciaires à prendre conscience de leur rôle car la justice ne doit pas être pour eux un objectif mais un moyen de servir la communauté et la société.

‘’Un problème sans solution est un problème mal posé’’ !

Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 13 janvier 2008

lundi 7 janvier 2008

LA MAGISTRATURE AU FIL DES ANS

LA MAGISTRATURE AU FIL DES ANS

La magistrature haïtienne connaît des jours difficiles. Comme toutes les institutions publiques, elle vit une tension de plus en plus insupportable entre l’idéal de l’État de Droit et le poids écrasant de sa situation de misère chronique engendrée par le manque de vision de nos dirigeants.

Nous sommes fondé à nous demander si certains choix budgétaires qui la concernent ne sont pas dictés par une politique à courte vue ou du moins à court terme, voire par une méconnaissance inquiétante des conditions intellectuelles et matérielles indispensables à une bonne administration de la justice.

Le fait est là : les magistrats subissent chaque jour un peu plus durement le décalage entre l’augmentation du nombre des affaires, en législation comme en administration, et la stagnation de leurs moyens. Il y a un mépris quasi-total de leur vécu quotidien et de leur statut social.

Il faut convenir qu’un effort important a été consenti pour les matériels roulants durant l’année écoulée en faveur de certains magistrats de la république, notamment les chefs de juridiction: doyens et commissaires du gouvernement, même si pour des raisons ignorées, les résultats de cet effort tardent à se faire sentir au niveau des cabinets d'instruction de la province.

Pour des motifs d'ordre politique et préférentiel, les magistrats instructeurs surnommés à juste titre "les juges de l'enquête" n'ont pas été invités à la mascarade de remise des clés pour laquelle on a fait tout un tapage médiatique. Des parlementaires sont intervenus auprès du ministère de la justice pour l'octroi de véhicule à tel ou tel magistrat partisan ou sympathisant. Décidément, la politique est partout dans ce pays. Et puis, on parle de réforme et d'indépendance!

Nous nous demandons très sérieusement ce qu’il serait advenu de l’institution judiciaire si certains magistrats honnêtes n’avaient pas eu à cœur d’aller jusqu'à l’extrême de leur capacité de travail, n’avaient pas donné et ne continuaient pas à donner l’exemple d’un dévouement auquel nous tenons à rendre publiquement l’hommage de notre affectueuse admiration.

Il n’eut pas été honnête de commencer la nouvelle année en faisant comme si de rien n’était et en ne disant pas haut et fort que nous avons atteint les limites du possible, celle au-delà desquelles nous ne serons plus en mesure de remplir les missions que la loi nous confie ou du moins de les remplir sans risque pour la qualité de notre travail et, disons-le crûment, pour notre équilibre et pour notre santé.

Les magistrats font un travail difficile et à haute responsabilité. A-t-on conscience de la somme de recherches, de réflexions, de débats, parfois d’ingéniosité, toujours de labeur qu’exigent un bon réquisitoire, une bonne ordonnance et un bon arrêt de la part de ceux qui concourent à leur élaboration ? N’est-il pas légitime de revendiquer que notre magistrature soit reconnue non seulement par l’attribution de compétences croissantes et par la confiance des justiciables mais aussi par l’octroi de moyens comparables à ceux dont disposent nos collègues des pays voisins, ce dont nous sommes actuellement bien loin, comme chacun le sait ? La réforme mettra-t-elle un terme à toutes ces incohérences outrageantes ? C’est l’unique vœu que nous formulons pour la justice en ce début d’année 2008.


Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 06 janvier 2008