mercredi 21 janvier 2009

DES MILLIONS SOUS LES TOGES

DES MILLIONS SOUS LES TOGES

La République d’Haïti est en train d’offrir au reste du monde le triste spectacle d’un État en pleine régression morale et démocratique. L’histoire retiendra que c’est en fin 2008 que la corruption a atteint son paroxysme au sein de la Justice haïtienne. Dans un pays où tous les secteurs voient rouge, celui de la Magistrature s’est tristement illustré avec le pillage de plusieurs millions de dollars américains par des éléments de l’appareil judiciaire de Port de Paix. Les informations collectées, jusqu'à présent, mettent en cause principalement un Substitut du Commissaire du Gouvernement qui aurait distribué le pactole de la corruption à ses collègues.

Parmi les corrompus se trouvent quasiment tous les Magistrats de la juridiction, près d’une vingtaine de policiers, des autorités de très haut niveau, et sans surprise, le nom d’un Parlementaire est cité. On ne peut pas laisser la Justice aux mains de prébendiers sans scrupules qui violent les principes républicains au seul profit de leurs poches. Dans cette histoire puante et hideuse, la Justice n’a pas su laver à grande eau l’impureté qui a fini de la maculer. Et le pays ne se remet pas encore de ce scandale.

Les bons ne doivent pas périr avec les méchants, mais en existe-t-il de justes dans l’appareil judiciaire de Port de Paix ? En vérité, s’il y a un seul élément honnête et intègre parmi les Juges, nous pardonnerons à toute la magistrature locale, à cause de lui. Cette histoire nous rappelle étrangement celle de Sodome et Gomorrhe détruites par l’Eternel-Dieu pour s’être livrées, par profusion, au dérèglement des mœurs. Elle nous montre aussi combien la corruption peut contribuer à répandre le crime dans notre société. Déjà, un cadre de l’institution policière ayant goûté au fruit maudit a été empoisonné. Suicide ou homicide ? Nous attendons le résultat de l’enquête.

La somme de trente-deux millions de dollars américains aurait été cachée sous les robes noires des Magistrats suite à une descente des lieux effectuée chez l’oncle d’un narcotrafiquant. Alors que de « petits employés », simples auxiliaires de justice et deux Juges de Paix croupissent en prison, les grands Magistrats et autres autorités civiles et policières ont été épargnés. Paradoxe d’un dossier d’une si grande envergure. Deux poids, deux mesures !

En effet, une véritable mascarade coercitive et un traitement discriminatoire enveloppent ce dossier. Pendant que des personnes présumées corrompues sont placées sous mandat de dépôt à la suite de leur audition par le Parquet de la juridiction de la honte, d’autres ont été seulement mis en disponibilité, voire transférés ou promus au Ministère de la Justice. Au lieu d’appliquer la loi dans toute sa rigueur, ne serait-ce que pour donner un signal fort aux autres Magistrats tentés par des pratiques corruptrices, le Ministère de la Justice a mis la pédale douce. Cette attitude jugée scandaleuse s’apparente à une caution à de tels actes. En ce sens que les véritables fautifs ne sont passibles d’aucune peine.

En lieu et place d’une arrestation après révocation, la pièce maîtresse du puzzle a été tout simplement écartée de la Magistrature, avec la latitude d’aller jouir des millions qu’il a détournés, volés et pillés. Pendant ce temps, le Chef du Parquet, grande figure de la corruption à Port de Paix, contre qui sont tenues des déclarations fracassantes et accablantes, est muté au Ministère de la Justice…une sorte de retraite anticipée qui lui permettra de garder tous ses avantages liés à sa, désormais, ex-fonction de Commissaire du Gouvernement et de jouir de son argent en toute quiétude.

Le Ministère de la Justice n’est pas un repère de voyous ; et nous insistons pour dire que les auteurs, co-auteurs et complices du pillage des billets verts doivent être arrêtés et traduits devant les Tribunaux afin de les empêcher de profiter des fruits de leur kleptomanie. La corruption à grande échelle pratiquée par des personnes occupant des postes élevés dans la Magistrature peut, non seulement, avoir des effets dévastateurs sur la démocratie, la primauté du droit et le développement économique et social mais, elle peut aussi saper la confiance des justiciables, empêcher l’investissement étranger et miner le paysage judiciaire haïtien dans sa globalité.

Franchement, l’attitude des responsables du Ministère de la Justice est un autre scandale dans ce Scandale. Beaucoup d’incohérences sont notées dans la gestion du dossier. Malheureusement, c’est à chaque fois que ces genres de situation arrivent qu’on se rend compte de l’importance du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire créé par la loi du 20 décembre 2007, publiée dans le Journal Officiel de la République et non appliquée, jusqu'à date, par le Gouvernement. De toute façon, nous sommes là, et nous suivons pas à pas cette saga en attendant qu’elle nous révèle d’autres secrets, d’autres déceptions et d’autres… laideurs !

Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 20 janvier 2009