ENTRE FIERTÉ ET REPROCHES
En général, la Justice reste le rempart sur lequel
viennent briser les velléités de manipulation et d’abus en tous
genres...surtout dans les pays où la représentativité civile et citoyenne est
embryonnaire. Qui mieux que les Magistrats doit garantir le fonctionnement
optimal de la machine judiciaire pour calmer les pressions et garantir
l’équité ? Et c’est là que le constat amer est fait puisqu’en Haïti, il y
a un réel déficit dans la dimension éthique du Pouvoir Judiciaire. Un Juge doit
inspirer considération et respect, jouir
d’une parfaite honorabilité en tout temps et en tout lieu. En fait, c’est le
contraire qui est vrai tant les Magistrats sortent de leur rôle, abandonnant
leurs prérogatives au profit des deux autres pouvoirs qui ont réussi à
s’emparer des temples que sont les palais de justice.
Le pays dispose d’un code d’instruction criminelle,
certes perfectible, mais s’ouvrant sur des avancées relatives… Sauf qu’il est
en permanence violé par les Magistrats eux-mêmes qui démontrent à la face du
monde que l’Exécutif et le Législatif sont les seuls maitres du jeu. Si on peut
penser que les Magistrats qui redoutent la présence subtile des mains des deux
autres pouvoirs dans le processus de leur avancement observent quelque prudence
dans le traitement de dossiers dits sensibles, rien ne justifie leur apathie ou
leur renoncement devant ce qui semble évident. À croire que la satisfaction de
certains besoins personnels et égoïstes
demeure la seule vraie motivation. Mais attention ! La concussion n’est
pas loin en troquant des décisions contre un bien matériel.
Magistrats, reprenez-vous ! Ne soyez plus aux
ordres ni corrompus ! Il vous faut absolument redonner à la justice, avec
la volonté d’aller vers les standards, sa place véritable comme Pouvoir devant
jouer un rôle prépondérant dans le développement et la sauvegarde de la
démocratie et de l’État de droit. Votre mission est d’appliquer la loi envers
et contre tous, de veiller à la bonne exécution des procédures du droit, de contrôler
les actes illégaux et toutes choses qui ne favorisent pas un système judiciaire
équitable, efficace et accessible. Bon nombre d’entre vous n’accomplissent pas
cette tâche essentielle qui leur est dévolue et ne sont pas capable de s’imposer à l’Exécutif et au Législatif, comme
l’exige le principe de la séparation des pouvoirs. Si et seulement si vous
saviez ce qu’est l’honneur d’être Magistrat !
On peut toujours insinuer que vous êtes trop rigides,
trop légalistes. Mais on ne devra jamais vous reprocher d’être corrompus ou
encore questionner votre moralité ni mettre en doute votre compétence et votre
impartialité car pour mériter l’honneur et la fierté de la nation, vous devez
arborer les principes rationnels d’exigence et de devoir. Le sacerdoce qui est
le vôtre vous condamne dans la conception de la justice comme pilier de la
confiance dans la société pour garantir aux citoyens que leur cause sera
entendue par un Juge au service du droit et non de l’autorité qui l’a nommé et
le rémunère. Pour que les citoyens n’aient plus ce sentiment partagé selon
lequel le système des lois qui règle les droits et les devoirs des personnes
n’est pas applicable, qu’ils puissent plutôt observer que le règne de la loi
n’est pas la loi du Juge mais celle de la nation. Lorsque s’amoncellent les
périodes du déclin, on peut mesurer la capacité d’un État à pouvoir rebondir à
la foi qu’on accorde aux chantres de l’intégrité et du respect…Et la Justice,
en tant que pouvoir, est un de ceux-là.
Au-delà de tout ce qui précède, la Magistrature haïtienne
a besoin d’un grand toilettage afin de mettre un terme à la proximité
insidieuse et sournoise qui plombe son bon fonctionnement et à la corruption évidente
de certains individus malhonnêtes inspirés seulement par l’appât du gain facile.
Nous ne sommes pas un donneur de leçons mais nous pensons qu’il est de notre
devoir de dénoncer, fût-ce au péril de notre vie, certaines pratiques qui ne
cadrent pas avec la profession mais qui malheureusement s’exécutent avec la
complicité et le libre consentement de ceux qui doivent sanctionner de telles
dérives.
L’heure est venue en Haïti pour tous les Magistrats et
tous les acteurs du droit d’inscrire leurs noms au fronton de la République, en
abordant les différentes affaires sous l’angle strict du droit qui ne s’accommode
pas d’arbitraire car il vient toujours un moment particulier où on fait son
bilan et établit ses responsabilités
devant l’Histoire. Il est temps que le Magistrat haïtien fasse son autocritique
et opère sa mue… parce qu’avec la mondialisation, les instances de jugements se
sont multipliées et il sera peut-être hasardeux de dire qu’on ne savait pas.
Nous avons l’obligation de sortir notre pays du piège des basses manœuvres et
le devoir de mettre les pouvoirs Exécutif et Législatif face à leurs responsabilités.
Le monde entier a le regard rivé sur la justice haïtienne concernant certains
dossiers brûlants d’actualité tels : Jean-Claude Duvalier / Jean-Bertrand
Aristide / Famille présidentielle/ Clifford Brandt / Woodly Éthéard alias Sonson
la familia. La Magistrature joue son image et sa crédibilité. Collègues Magistrats,
la balle est dans votre camp. Il revient à vous et à vous seuls de dire le mot
du droit. Mais Sachez, en ayant toujours en tête, que l’Histoire retiendra
toujours ; que le choix entre fierté et reproches est un appel de la conscience
et que… « Être magistrat, c’est à
la fois un honneur et une responsabilité. »
Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge
d’Instruction,
Cap-Haïtien,
Haïti, ce 16 septembre 2014
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