mardi 16 septembre 2014

ENTRE FIERTÉ ET REPROCHES



ENTRE FIERTÉ ET REPROCHES

En général, la Justice reste le rempart sur lequel viennent briser les velléités de manipulation et d’abus en tous genres...surtout dans les pays où la représentativité civile et citoyenne est embryonnaire. Qui mieux que les Magistrats doit garantir le fonctionnement optimal de la machine judiciaire pour calmer les pressions et garantir l’équité ? Et c’est là que le constat amer est fait puisqu’en Haïti, il y a un réel déficit dans la dimension éthique du Pouvoir Judiciaire. Un Juge doit inspirer considération et respect,  jouir d’une parfaite honorabilité en tout temps et en tout lieu. En fait, c’est le contraire qui est vrai tant les Magistrats sortent de leur rôle, abandonnant leurs prérogatives au profit des deux autres pouvoirs qui ont réussi à s’emparer des temples que sont les palais de justice.

Le pays dispose d’un code d’instruction criminelle, certes perfectible, mais s’ouvrant sur des avancées relatives… Sauf qu’il est en permanence violé par les Magistrats eux-mêmes qui démontrent à la face du monde que l’Exécutif et le Législatif sont les seuls maitres du jeu. Si on peut penser que les Magistrats qui redoutent la présence subtile des mains des deux autres pouvoirs dans le processus de leur avancement observent quelque prudence dans le traitement de dossiers dits sensibles, rien ne justifie leur apathie ou leur renoncement devant ce qui semble évident. À croire que la satisfaction de certains besoins personnels  et égoïstes demeure la seule vraie motivation. Mais attention ! La concussion n’est pas loin en troquant des décisions contre un bien matériel.

Magistrats, reprenez-vous ! Ne soyez plus aux ordres ni corrompus ! Il vous faut absolument redonner à la justice, avec la volonté d’aller vers les standards, sa place véritable comme Pouvoir devant jouer un rôle prépondérant dans le développement et la sauvegarde de la démocratie et de l’État de droit. Votre mission est d’appliquer la loi envers et contre tous, de veiller à la bonne exécution des procédures du droit, de contrôler les actes illégaux et toutes choses qui ne favorisent pas un système judiciaire équitable, efficace et accessible. Bon nombre d’entre vous n’accomplissent pas cette tâche essentielle qui leur est dévolue et ne sont pas capable de  s’imposer à l’Exécutif et au Législatif, comme l’exige le principe de la séparation des pouvoirs. Si et seulement si vous saviez ce qu’est l’honneur d’être Magistrat !

On peut toujours insinuer que vous êtes trop rigides, trop légalistes. Mais on ne devra jamais vous reprocher d’être corrompus ou encore questionner votre moralité ni mettre en doute votre compétence et votre impartialité car pour mériter l’honneur et la fierté de la nation, vous devez arborer les principes rationnels d’exigence et de devoir. Le sacerdoce qui est le vôtre vous condamne dans la conception de la justice comme pilier de la confiance dans la société pour garantir aux citoyens que leur cause sera entendue par un Juge au service du droit et non de l’autorité qui l’a nommé et le rémunère. Pour que les citoyens n’aient plus ce sentiment partagé selon lequel le système des lois qui règle les droits et les devoirs des personnes n’est pas applicable, qu’ils puissent plutôt observer que le règne de la loi n’est pas la loi du Juge mais celle de la nation. Lorsque s’amoncellent les périodes du déclin, on peut mesurer la capacité d’un État à pouvoir rebondir à la foi qu’on accorde aux chantres de l’intégrité et du respect…Et la Justice, en tant que pouvoir, est un de ceux-là.

Au-delà de tout ce qui précède, la Magistrature haïtienne a besoin d’un grand toilettage afin de mettre un terme à la proximité insidieuse et sournoise qui plombe son bon fonctionnement et à la corruption évidente de certains individus malhonnêtes inspirés seulement par l’appât du gain facile. Nous ne sommes pas un donneur de leçons mais nous pensons qu’il est de notre devoir de dénoncer, fût-ce au péril de notre vie, certaines pratiques qui ne cadrent pas avec la profession mais qui malheureusement s’exécutent avec la complicité et le libre consentement de ceux qui doivent sanctionner de telles dérives.

L’heure est venue en Haïti pour tous les Magistrats et tous les acteurs du droit d’inscrire leurs noms au fronton de la République, en abordant les différentes affaires sous l’angle strict du droit qui ne s’accommode pas d’arbitraire car il vient toujours un moment particulier où on fait son bilan et  établit ses responsabilités devant l’Histoire. Il est temps que le Magistrat haïtien fasse son autocritique et opère sa mue… parce qu’avec la mondialisation, les instances de jugements se sont multipliées et il sera peut-être hasardeux de dire qu’on ne savait pas. Nous avons l’obligation de sortir notre pays du piège des basses manœuvres et le devoir de mettre les pouvoirs Exécutif et Législatif face à leurs responsabilités. Le monde entier a le regard rivé sur la justice haïtienne concernant certains dossiers brûlants d’actualité tels : Jean-Claude Duvalier / Jean-Bertrand Aristide / Famille présidentielle/ Clifford Brandt / Woodly Éthéard alias Sonson la familia. La Magistrature joue son image et sa crédibilité. Collègues Magistrats, la balle est dans votre camp. Il revient à vous et à vous seuls de dire le mot du droit. Mais Sachez, en ayant toujours en tête, que l’Histoire retiendra toujours ; que le choix entre fierté et reproches est un appel de la conscience et que… «  Être magistrat, c’est à la fois un honneur et une responsabilité. »

Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction,
Cap-Haïtien, Haïti, ce 16 septembre 2014


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