QUI EST LE JUGE
D’INSTRUCTION?
On lui prête le
plus souvent, et de manière expéditive, des qualificatifs exagérés qui dépassent
la mesure. Quand il n’est pas le
personnage le plus puissant de la République suscitant la crainte ou
l’appréhension, il est le responsable de tous les maux du système judiciaire, et
sa tête est mise à prix comme un vulgaire criminel qui dérange la société. Tantôt
vénéré, tantôt décrié, le personnage fait objet, depuis toujours, d’âpres
discussions allant d’opinions favorables aux critiques les plus malveillantes…selon
les intérêts. Bousculé parfois, critiqué toujours et toujours par les mêmes, il
est encore debout. Mais qui est donc véritablement le Juge d’Instruction ?
Le juge d’instruction est un magistrat du siège du Tribunal
de Première Instance. À la différence d’un magistrat du parquet, il est indépendant,
c’est-à-dire que sa carrière ne dépend pas du ministre de la justice et qu’il
n’est pas soumis à un supérieur hiérarchique qui pourrait lui donner des
instructions dans les dossiers qu’il instruit. Le juge d’instruction ne peut
pas s’autosaisir d’une affaire. Il est saisi soit par le Commissaire du
Gouvernement, soit par une victime dont le dossier a été classé ou est resté
sans réponse du parquet (plainte avec constitution de partie civile), soit
par un jugement du tribunal correctionnel ou un arrêt de renvoi.
L’instruction est obligatoire en matière criminelle. Aucune
affaire ne peut être renvoyée devant le tribunal criminel ou une Cour d’Assises
sans une instruction préalable. Le juge d’instruction est aussi saisi des
affaires correctionnelles (concernant des délits) graves et complexes :
abus de confiance, escroquerie et autres délinquances économiques et
financières. Une fois saisi, le juge d’instruction procède à tous les actes
d’information qu’il estime utiles à la manifestation de la vérité. Il
instruit à charge et à décharge. Il effectue lui même certains actes
d’instruction, avec l’aide de son greffier : interrogatoires, auditions de
victimes et de témoins, confrontations, transports sur les lieux,
reconstitutions, perquisitions. Ces actes sont effectués en présence du Commissaire
du Gouvernement, des avocats des personnes mises en examen ou des parties
civiles.
Le juge d’instruction peut aussi déléguer les actes
d’enquête à certains officiers de police judiciaire. Il décerne alors une commission
rogatoire en demandant d’effectuer certains actes dont il doit contrôler et
vérifier l’exécution. Lorsqu’une question technique ou scientifique se pose, il
peut ordonner une expertise. Pour l’instruction d’un dossier criminel, le
juge d’instruction doit solliciter notamment un rapport psychiatrique et psychologique pour recueillir des éléments sur la
personnalité du mis en examen.
Le juge d’instruction procède à ces différents actes soit de
sa propre initiative soit à la demande du Commissaire du Gouvernement ou des
avocats des parties (mis en examen, partie civile). Il doit établir si les
faits dont il est saisi peuvent constituer une infraction. Il peut mettre en
examen une personne lorsqu’il existe à son encontre des indices graves ou
concordants d’avoir participé aux faits. Après la mise en examen, le juge
d’instruction peut imposer à la personne des obligations ou des restrictions
par un contrôle judiciaire et peut
prendre, à lui seul, la décision de placement en détention.
Le juge d’instruction assure donc un rôle de directeur
d’enquête mais il est aussi le garant du principe du contradictoire.
Il exerce des fonctions juridictionnelles : il peut accepter ou refuser
une demande d’actes ou la restitution d’un objet saisi et peut placer sous
contrôle judiciaire un mis en examen. À la fin du dossier, il examine, après
avis du Commissaire du Gouvernement dont il n’est pas lié, s’il existe contre
les personnes mises en examen des charges suffisantes pour les renvoyer
devant une juridiction pénale (tribunal correctionnel ou cour d’assises). Dans
le cas contraire, il rend une ordonnance de non
lieu. Ses décisions peuvent faire objet d’appel.
Donc, contrairement
à ce que l’on tente de faire croire, le juge d’instruction, avec ses spécificités, est adapté
aux exigences libérales évolutives de la société. Non seulement il garantit
l’égalité des armes entre le Parquet, la défense et les parties civiles mais son
indépendance statutaire, constitutionnellement garantie, associée à une
disparition progressive de l'inquisitoire vers le seul lieu d'accusatoire avant
jugement le rend indispensable à
l’équilibre de la procédure pénale et au principe de la présomption d’innocence.
Il est, pour ainsi dire, le pivot et la clé de voûte des garanties
procédurales.
Somme toute, le juge d’instruction, malgré tous ses
pouvoirs, est et reste avant tout un être vulnérable qui doit, dans sa solitude
et son isolement, veiller à sa sécurité personnelle et celle de ses proches
dans la gestion de certains dossiers à risques tels : kidnapping, trafic
de la drogue, crime financier… où de gros intérêts sont en jeu et où de grosses
têtes sont également impliquées. Et les invasions à répétition dans les
prisons n’arrangent pas sa situation. Il prend et court des risques énormes
notamment en menant des enquêtes judiciaires dans sa propre bagnole, celle-là
même qui emmène sa famille à l’église et ses enfants à l’école ; en
refusant de troquer son intégrité et son honnêteté contre de l’argent ; en
rendant, au regard de la loi et sans parti pris, des ordonnances au nom de la République pour se voir
ensuite s’exposer au chantage et à toutes sortes de pressions. Voilà ce qu’est
en fait la réalité du Magistrat Instructeur haïtien… mais qui s’en
soucie ?
Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti, ce 06 novembre
2014
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