LE
CAUCHEMAR CONTINUE
L’imagination créatrice, le changement des
organisations, l’évolution des mentalités devraient être les préoccupations
premières des hommes de responsabilité. Le monde évolue mais rien ne semble
évoluer dans le quotidien judiciaire haïtien qui déçoit un peu plus chaque jour
le citoyen lambda et les pauvres gens. La façon dont la Justice est
brocardée par les plus hautes autorités gouvernementales constitue un véritable
sujet d’alarme. Même s’il n’est pas récent, le phénomène est inquiétant quand,
à cette institution fondamentale de la République, de la démocratie et de
l’État de droit, les coups sont portés par
ceux qui sont précisément en charge de la faire respecter. Depuis la
nuit des temps et jusqu'à présent, il n’existe chez nous aucun pouvoir
judiciaire réellement indépendant à la fois de l’Exécutif et du Législatif, si
ce n’est…dans les mots. Les Magistrats haïtiens ne jouissent d’aucune autre
légitimité démocratique : seulement de celle, technique procurée par le
diplôme d’une école.
La Justice
haïtienne ne souffre pas seulement des maux de son manque d’indépendance et de
moyens. Elle souffre aussi de trop
d’impunité de certains Magistrats. Le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire
(CSPJ) montre son incapacité à juger les Magistrats fautifs…pour ne pas dire
coupables. Rien n’a changé. On connait les Commissaires du Gouvernement qui
rançonnent les justiciables et collaborent étroitement avec les
narcotrafiquants. Le Ministère de la Justice est non seulement complaisant avec
les copains mais continue également à tolérer au sein de l’appareil judiciaire
les Magistrats ayant fauté, faisant par ainsi la promotion de la corruption au
détriment de l’honnêteté et de l’intégrité.
Ils sont
nombreux ces derniers temps, les vilains qui portent la toge et la toque !
Ils font la pluie et le beau temps et rendent la Justice non pas selon la loi
mais selon l’argent. Ces comportements récurrents, mercantiles et manifestes,
même quand ils ont des conséquences insupportables, suscitent la réprobation et
créent des scandales, ne donnent lieu ni aux réprimandes ni au renvoi. Facile,
trop facile ! Un Ministre qui ne fait pas son travail correctement doit
être renvoyé de tout gouvernement sérieux. Haïti est le seul pays au monde où
le Magistrat qui s’adonne à la corruption, au lieu d’être écarté et sanctionné,
est récompensé. N’importe quoi !
Nous ne
cachons pas notre exaspération car la coupe est pleine. Il faut un véritable
assainissement au sein de l’appareil judiciaire y compris du Ministère de la
Justice. La Magistrature est au bord de l’apoplexie et le cauchemar continue :
vingt-deux (22) mois d’arriérés de salaire depuis l’entrée en vigueur, le 20
décembre 2007, des lois sur la réforme
judiciaire, le salaire réel tel que prévu par l’article 48 de la loi
portant statut de la Magistrature, la certification et le renouvellement du
mandat des Juges, absence de moyens principalement pour les Magistrats
Instructeurs, fer de lance de l’enquête criminelle…et une réévaluation en
hausse de leur salaire actuel assorti d’un budget annuel de fonctionnement, la
refonte des codes, l’informatisation des Tribunaux, la révision de la garantie
d’assurance, la formation sans interruption et la spécialisation des Magistrats…
Afin que nul n’en ignore et n’en
prétexte cause d’ignorance.
Il se
confirme tous les jours aux yeux de la communauté internationale que la justice
rendue chez nous fait figure de mauvaise plaisanterie, avec des Magistrats
incompétents et corrompus, des codes de lois désuets et des procédures à la
fois scabreuses, marrantes et abracadabrantes. Pendant que l’actuel
gouvernement clame haut et fort que « Haïti is open for business »,
la justice « is out of
record ». On a parfois l’impression qu’il suffit de dire une chose, bonne
ou mauvaise, dans un sens donné, pour être automatiquement considéré comme un
chevalier blanc. Déclarer le pays ‘’ouvert aux affaires’’ n’a rien d’infamant,
tout au contraire mais cela ne suffit pas à conférer de médailles ni l’hermine
du bon sens à son instigateur. Cela manque de sel. Les consciences normales et
non subversives apprécieront le slogan, l’intention et la démarche mais les
investisseurs étrangers ne sont ni dupes ni naïfs pour croire que les Tribunaux
rendent la justice en Haïti.
Il revient
donc au Président de la République, et à lui seul, en sa qualité de garant de
la bonne marche des institutions étatiques, de mettre fin à ce cauchemar sans
fin en prenant les mesures qui s’imposent sinon il augmentera la longue liste
noire des Chefs d’État qui, par leur allure faussement désinvolte voire légère,
ont affaibli le système par peur de se voir, un jour, obligé de lui rendre compte.
Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
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