LE CHEF DE L’ÉTAT VEUT UNE JUSTICE AUX ORDRES DE L’EXÉCUTIF
Dans le système juridique haïtien, le Juge d’Instruction est chargé de l’enquête pour les affaires pénales les plus graves et les plus complexes. Indépendant du pouvoir exécutif, intouchable et jamais responsable (en théorie), il instruit à charge et à décharge, assurant ainsi l’équité de la justice. Donc, c’est un enquêteur chargé d’établir les faits et de préparer le dossier en vue de l’organisation éventuelle du procès. Mais, ce personnage central de la procédure criminelle en Haïti, considéré comme trop puissant par plus d’un, ne plait pas au Président de la République. Selon lui, il faut supprimer la fonction de Juge d’Instruction et confier les pouvoirs de l’enquête aux Magistrats du Parquet. Et c’est René Magloire, celui toujours par qui le scandale arrive, qui a joué le rôle de l’ange annonciateur du terrible tsunami qui menace la justice haïtienne.
Faut-il se rappeler que les Commissaires du Gouvernement et leurs Substituts sont totalement et hiérarchiquement soumis au Ministre de la Justice, membre de l’Exécutif. Ce nouveau système permettrait aux hommes du pouvoir d’échapper à un certain nombre de procès comme on en a vu ces derniers jours… La réalisation de ce projet démoniaque ne sera autre qu’une emprise renforcée du pouvoir sur la justice. Et nous pensons qu’il est indispensable de connaitre les motivations profondes du Chef de l’Etat pour vouloir faire disparaitre à ce point le Juge d’Instruction. Ceci est un pas de plus vers le totalitarisme, une aberration, une régression juridique et une menace pour l’indépendance de la justice.
Le ton était déjà donné par le Vice-président de facto de la Cour de Cassation dans son discours solennel à l’ occasion de la réouverture des Tribunaux le 04 octobre dernier. Il est rentré dans les rangs après avoir été menacé, à plusieurs reprises, de révocation par le pouvoir. Platitude ! Et René Magloire de se vanter les mérites du travail d’autrui. Le Président français Nicolas Sarkozy a fait œuvre qui vaille même quand son projet n’a pas fait bonne recette dans son pays. Le « Rapport Léger » a été servilement copié par un babouin qui n’est pas tout-à-fait haïtien. Il y a là… matière à procès. Il est question du non respect de la propriété intellectuelle au regard du droit d’auteur consacré par la loi. Pendant que le débat s’anime en France sur la fin éventuelle du Juge d’Instruction, l’Elysée étudie la possibilité de mettre à la disposition de ce dernier des avions supersoniques pour lui faciliter ses déplacements.
Les raisons avancées pour la suppression du Magistrat Instructeur haïtien ne tiennent pas puisque les véritables problèmes ne sont jamais abordés ; par exemple : les problèmes de moyens, de textes trop désuets et de reclassification des infractions criminelles. Combien de Juges d’Instruction en province dispose d’un véhicule de fonction, d’un ordinateur, de frais de fonctionnement à l’instar des Commissaires du Gouvernement ? Parfois, ils sont obligés de payer dans leur poche le coût du transport des témoins habitant dans des régions reculées et qui ne peuvent pas satisfaire aux citations à eux signifiées. Il est facile de les critiquer mais qu’a-t-on fait pour leur faciliter la tâche ? Les Juges d’Instruction ne sont pas responsables du problème de la détention préventive trop prolongée, il faut aller voir ailleurs. Et lors même, ce n’est pas une raison non plus de vouloir leurs têtes. Car, fondamentalement, l’Instruction garde un équilibre entre les droits de la défense et la nécessité de l’action publique. Cela confirme qu’effectivement, il y a des personnes au sein de ce gouvernement qui ont une peur bleue de la Justice.
On peut reprocher aux Juges d’Instruction bien des dérives mais les supprimer pour confier les enquêtes aux Commissaires du Gouvernement… objectivité où seras-tu en cas d’affaires sensibles impliquant les membres du gouvernement ou proches du pouvoir ? Cela mérite réflexion et discussion !
Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haitien, Haïti
Ce 24 octobre 2010
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1 commentaire:
Cher Maitre Fortuné,
Je m’attendais à une réaction au projet de réforme, comme toute tentative de changement en provoque, mais celle-ci est surprenante. On ne peut que constater que l’honorable magistrat semble disposer d’un temps infini pour donner libre cours à ses élans de critique avisé surtout pour un juge d’instruction près une juridiction détenant un taux de criminalité si élevé et se réclamant à tort et à cri débordé et à court de moyen.
Vous choisissez délibérément, et au prix de vous contredire, d’attaquer le messager lui-même sans tenir compte des constats de délabrement de l’appareil judiciaire auquel vous appartenez et que vous n’avez pourtant jamais manqué de critiquer auparavant. Vous exigez d’une part des changements en profondeur dans la justice mais vous vous plaignez lorsqu’on vous en offre. Décidez-vous donc cher maitre!
Pourtant, si vous preniez le temps d’aller au fond des choses, vous constateriez que le juge de l’enquête et des libertés qu’on propose pour remplacer avantageusement le juge d’instruction joue un rôle bien plus important et plus impartial que celui de nos magistrats actuels dont les cabinets servent d’annexe (lire immixtion) de l’exécutif dans le judiciaire. Leur existence même soulève des questions de conflit d’intérêt.
Comment concilier le fait que l’on puisse mêler les fonctions juridictionnelles de celles de poursuite dans une démocratie consacrant dans sa constitution même le principe de la séparation des pouvoirs? Comment le juge d’instruction peut-il décider, sans présumer la culpabilité du suspect, de le placer en garde à vue avant même le début de l’instruction? Pourquoi le suspect ne dispose t’il d’aucun recours contre une décision de mise n garde à vue lorsque le juge prend cette décision avant même d’avoir entamé l’instruction? Lorsque cette instruction dépasse les délais prescrits par la loi, quel est le recours contre le juge d’instruction (excepté la prise à partie qui est rarement initiée)?
Le vrai débat n’est cependant pas là. Les études démontrent clairement la nécessité de séparer les fonctions de poursuite en les retournant à la compétence d’un parquet autonome et travaillant à armes égales avec la défense sous l’œil vigilant d’un juge de l’enquête et des libertés complètement indépendant et surtout impartial ! Cet argument vous offre une raison de plus de réclamer la réelle indépendance judiciaire1
Bien d’autres changements sont prévus mais le juriste que vous êtes, sentant probablement à tort sa position menacée, préfère se réfugier dans l’attaque à outrance et sans égard pour un ancien Ministre de la Justice de la République pourtant originaire de la même ville que vous. En vérité, nul n’est prophète dans son pays!
Cordialement,
Me. Salim SUCCAR
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