À
QUAND UNE SOCIÉTÉ DE SANCTIONS EN HAÏTI?
La mauvaise gestion de la chose publique
a un caractère récurrent ces derniers temps. Il ne se passe guère de semaine
sans qu’un esclandre, en images ou en scènes, ne fasse l’objet d’une mise en
mots. Il ne revient pas seulement aux juges ou aux tribunaux de sanctionner les
écarts. L’ensemble des organisations socioprofessionnelles et des mouvements
associatifs, supposés représenter le pays réel (société civile) par opposition à
la classe politique, doit prendre position quand il y a des comportements qui
vont à l’encontre des règles établies. Malheureusement, la société prend
tellement peur de ses dirigeants que les dérives deviennent un fait social
acceptable. Et le fait de ne pas prêter attention à ceux qui sont hors normes,
de ne pas vouloir les dénoncer, de ne pas réagir, correspond à un véritable
drame qui est celui de la mort sociale.
En 2011, le taux de change se chiffrait
autour de quarante et une gourdes pour un dollar; aujourd’hui en 2015, il
avoisine les soixante gourdes. Des voix auraient dû s’élever pour demander la
démission du gouverneur de la Banque de la République d’Haïti (BRH),
responsable de ce gouffre, ce, pour avoir assisté, toléré, accepté les
dérapages fâcheux dans la trésorerie nationale faits par le régime en place qui
n’a vraiment réussi dans aucun domaine. Curieusement, elles se sont toutes tues ! Comme si tout le
monde était incapable de parler ou de faire connaitre son opinion.
La corruption peut exister dans
n’importe quelle organisation humaine. Cependant, en Haïti, c’est au sein des
pouvoirs publics qu’elle est la plus répandue. La présidence, la police, le
parlement et le système judiciaire sont les institutions les plus corrompues du
pays. Comme la Bible le dit : « Il n’y a pas d’homme juste sur
terre… » Mais nos dirigeants ont choisi carrément d’être pourris et malhonnêtes.
On sait que le Chef de l’État a utilisé sa position pour favoriser illégalement
sa famille et ses amis qui s’approprient, exproprient voire détournent carrément
des fonds. La corruption et l’injustice, l’incertitude et la faim sont encore
plus présentes aujourd’hui qu’elles ne l’étaient avant l’arrivée de l’actuelle
équipe au pouvoir. L'Amérique nous a imposé son homme. Le Président en exercice
du Conseil Électoral Provisoire (CEP) a vendu la mèche. Des diplomates
internationaux ont confirmé. Et les gens savent plus que jamais que le
Président de la République, dont l'indécence des propos choque plus d'un, les a
trompés. Pourtant, la population ne voit toujours pas la nécessité de sortir de
sa résignation et de se dire qu’elle doit se révolter.
L’exemple doit venir d’en haut. Chercher
à faire disparaitre la corruption au sein de la police, de la justice et la
douane tout en la tolérant au palais national et à la primature est une
hypocrisie. Nous avons une société dormante en Haïti. La justice marche à
reculons malgré de grands efforts du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire
(CSPJ) qui montre certes un nouveau visage mais encore réticent à prendre les
sanctions qui s’imposent contre des magistrats difficilement rattrapables. La
justice se vend jusqu'à présent et des juges continuent à salir leur robe au
mépris des règles de l’éthique. La
police est aux abonnés absents. Des hauts gradés s’adonnent à des activités
mafieuses au su et au vu de leur supérieur. Les narcotrafiquants envahissent
les espaces tant privés que publics. On les voit au palais national, au
parlement. On les accepte dans les ministères, dans les salons, dans les
écoles, dans les fêtes mondaines…au sein de la "haute société" qui reste coite comme frappée de mutisme et
d’immobilité.
La fierté, l’intégrité, l’honnêteté et
le sens de responsabilité font cruellement défaut à nos hommes et femmes d'État.
La diplomatie haïtienne a piteusement échoué dans le dossier de rapatriement
des compatriotes vivant illégalement en République Dominicaine. A-t-on déjà vu
dans l’histoire une Haïti aussi lâche, laide, petite, pitoyable depuis
l’indépendance ? La mémoire de nos Pères a été souillée. Tout un peuple a
été outragé, humilié. Les maladresses du gouvernement dans la gestion de cette
crise sont inadmissibles et devraient susciter la réprobation générale.
Cependant, la classe politique, l’opposition et la société civile haïtiennes ne
prennent aucune mesure visant à riposter contre l’attitude raciste de nos
voisins dominicains qui appliquent une politique migratoire hostile contre les ressortissants
haïtiens, fondée sur la supériorité de race que le monde entier a rejetée et
condamnée. Pourtant, cela ne représenterait aucune difficulté à fermer nos frontières
en guise de représailles, nous porterions ainsi un gros coup à leur économie,
plus précisément aux produits destinés à l’exportation vers Haïti; mais hélas,
nous n’avons ni orgueil ni courage.
Entre nous soit dit : Nul dirigeant
n’est à l’abri de la faute de gestion ou d’une infraction pénale. À quand donc
une société de sanctions en Haïti ?
Heidi
FORTUNÉ
Magistrat,
Juge d’Instruction
Cap-Haïtien,
Haïti, ce 18 juillet 2015
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