2014:
L’ANNÉE NOIRE DE LA JUSTICE
La justice haïtienne, exsangue, malmenée, bousculée
voire même paralysée, a connu les pires moments de son histoire durant l’année
2014. L’institution a évolué dans le mauvais sens et cela devrait continuer en
2015. Montrer qu’on peut nommer n’importe qui où on veut et donner des ordres
n’importe comment…voilà la résultante de la politique pénale du gouvernement qui
a fait entrer la justice dans l’ère du soupçon. La politisation extrême de
certains dossiers a montré l’impératif de garder dans le système des éléments intègres
et indépendants de l’Exécutif. Cependant, l’infirme quantité de Magistrats qui tiennent le haut de l’affiche cachent mal
leur faiblesse structurelle et sont vite l’objet de tracasseries et tentatives
de déstabilisation de la part des membres de l’équipe au pouvoir qui ne veulent
pas d’un système judiciaire qui pourrait s’opposer ou s’attaquer à leurs
intérêts et oublient trop souvent que la justice est une caractéristique déterminante
de la bien portance socioéconomique d’un pays.
Le critère de la promotion au sein de la justice
devient la soumission. Seulement une trentaine de Magistrats ont été reconduits
durant l’année 2014. La Présidence, sur les conseils du Garde des sceaux, ne prend
pas en compte tous les avis favorables du Conseil Supérieur du Pouvoir
Judiciaire relatifs au renouvellement du mandat des Juges. Jamais la
Magistrature n’a été autant insultée, humiliée par un gouvernement. Pourquoi
voulez-vous que les délinquants respectent les Magistrats quand le ministre de
la justice les traite avec désintérêt et dans l’indifférence générale ? En
somme, brandir le spectre de non renouvellement de mandat de X ou Y est très
efficace. Cela a eu un effet dévastateur sur l’activité professionnelle et le
rendement du Magistrat en attente qui est à la fois paralysé et angoissé par la
perspective d’être écarté sans raison apparente. Il y a eu énormément de
souffrance au travail dans la Magistrature durant l’année écoulée, et aucun
Magistrat ne veut en parler. Révocations arbitraires, transferts illégaux,
pressions psychologiques, dépressions nerveuses…voilà entre autres le lot de
misères des Juges. Plus on est vulnérable, plus on est victime de ces types
d’harcèlement qui ne dit pas son nom.
Pour être véritablement indépendant, il faut se moquer
de la notation et de la carrière. J’ai connu moi-même la détresse morale et
j’ai eu pas mal de contrariétés dans l’exercice de la profession. J’ai été
qualifié de trouble-fête et d’électron libre à cause de ma force de caractère.
On me reproche de mettre trop de ‘’beau
monde ‘’ en examen. Il y a eu des attaques très fortes contre moi de
la part d’officiels très haut placés. Et des brimades, j’en ai subies pour
avoir osé… Des situations un peu perverses qui peuvent vous empêcher de
progresser et de faire votre travail convenablement. C’est décourageant !
Vous vous impliquez corps et âme dans votre boulot et voilà ce que vous avez
comme récompense. En vérité, c’est plus que frustrant !
Généralement, la politique entre au prétoire
mais à présent, la justice s’invite au palais. Chose qui n’a jamais été
réalisée auparavant ! Bien sûr, mon mandat est renouvelé mais je ne vous
dirai pas comment… Il y a eu de folles rumeurs et le contexte était tendu. Je
suis toujours là. Et qu’il soit dit en passant : je ne suis pas là pour
passer mon temps à être convoqué par ma hiérarchie, j’ai du boulot et mes
dossiers ne sont pas simples. Je veux pouvoir travailler en toute quiétude. La
hiérarchie devrait plutôt soutenir les juges en délicatesse avec l’Exécutif et
non de leur mettre doublement la pression. La justice est à bout de souffle, et
si jamais on ne trouve pas des solutions pour la redynamiser, on va vraiment vers
la disparition de l’État de droit qui n’est encore qu’à la phase d’embryon et
qui commence à peine à se développer. Pour cela, le pouvoir Exécutif ne doit
avoir aucun rôle dans la carrière des Magistrats. Il faut sortir du schéma
« le Président décide seul ».
Il faut un véritable échange de vues sur la question et la discussion doit
associer la société civile, les parlementaires, les magistrats, pour voir
comment couper le lien entre l’Exécutif et le Judiciaire. Mais si ça doit venir
d’un seul homme, je vous le garantis, on n’est pas près de sortir de l’auberge.
Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge
d’instruction
Cap-Haïtien,
Haïti, ce 03 janvier 2015
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