HAUTS FONCTIONNAIRES: FAUX
DÉBAT
La notion de ''Haut Fonctionnaire'' est une expression qui
n'a aucune existence juridique sinon statutaire. Elle est utilisée par
commodité pour désigner une personne qui occupe un poste très élevé dans la
fonction publique. On parle alors de ''Grands Commis'' de l'État. Sont
considérés comme tels: le Président de la République, le Premier Ministre, les
Ministres, les Secrétaires d'État, les Membres du Conseil Électoral Permanent
et ceux de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif, les
Juges et les Officiers du Ministère Public près la Cour de Cassation et le
Protecteur du Citoyen. Ils jouissent de multiples privilèges et échappent au
contrôle de la juridiction de droit commun pour les actes accomplis dans
l'exercice de leurs fonctions. Ainsi, seule la Haute Cour de Justice,
constituée de sénateurs assistés du Président et du Vice-président de la Cour
de Cassation, est compétente pour juger cette catégorie de personnes, et elle
ne peut prononcer à leur égard qu'une seule et unique peine: la destitution
assortie de la déchéance et la privation du droit d'exercer toute fonction
publique durant cinq ans au moins et quinze ans au plus.
Les actes commis par un ministre dans l'exercice de ses
fonctions sont ceux qui ont un rapport direct avec la conduite des affaires de
l'État relevant de ses attributions. Si celui-ci relève de la Haute Cour de
Justice tel que prévu par la constitution, les comportements concernant sa vie
privée en sont exclus. Par exemple: pour viol, meurtre, enlèvement et autres
infractions pénales, il peut être poursuivi et jugé par-devant un tribunal
ordinaire même s'il est encore ministre. La procédure diffère également selon
que la poursuite est engagée contre lui, après avoir laissé le portefeuille
ministériel, pour crime de malversations remontant à sa gestion de la chose
publique. Il est alors, en principe, traité comme tout justiciable devant un
tribunal classique. Pour cela, un arrêt de débet de la Cour Supérieure des
Comptes et du Contentieux Administratif (CSCCA) ou un rapport sur sa gestion
par des organismes étatiques affectés à cette fin tels: l'Unité de Lutte Contre
la Corruption (ULCC) ou l'Unité Centrale de Renseignement Financier (UCREF),
s'avère indispensable sous peine d'irrecevabilité de l'action.
C'est peu réfléchi de dire que tout ancien Haut Fonctionnaire
de l'État est passible d'un tribunal d'exception pour des actes de gabegie
découlant de son administration, après son passage à un poste de
responsabilité. C'est là un raisonnement subtil, vainement minutieux et
dépourvu de logique par rapport à la mesure que peut prendre la Haute Cour de
Justice qui est, d'ailleurs, une instance de nature plus politique que
réellement juridique eu égard à sa composition constituée en majorité de
parlementaires et sa compétence qui se limite au seul prononcé de destitution.
Il n'y a aucune matière à mésinterprétation, la constitution et les lois
républicaines sont, on ne peut plus, claires. Et aucune jurisprudence n'est
répertoriée en ce sens à part l'exemple du fameux ''Procès de la
Consolidation'' qui mettait à rude épreuve, entre 1903 et 1904, sous la
présidence de Nord Alexis, plusieurs hauts dignitaires, dilapidateurs des
deniers nationaux, dont des anciens ministres de l'ex président Tirésias
Simon-Sam, après la découverte de ténébreuses irrégularités dans les finances
de l'État. Les révélations accablantes et scandaleuses de l'affaire des bons
consolidés suscitèrent l'indignation, et le procès auquel il donna lieu restera
le plus sensationnel dans les annales judiciaires haïtiennes.
Parmi les plus célèbres consolidards se trouvaient les
membres de la famille de l'ancien Chef de l'État dont sa femme Constance et ses
deux fils Lycurgue et Démosthène, des Sénateurs et anciens Hauts
Fonctionnaires; nous citons: Cincinnati Leconte, Tancrède Auguste, Vilbrun
Guillaume-Sam, Admète Malebranche, Fénelon Laraque, Hérard Roy, Rodolphe
Tippenhauer ... Ils ont tous été condamnés aux travaux forcés pour faux, usage
de faux, vol et recel dans un procès absolument ''équitable et impartial''. Une
opinion, d'ailleurs, largement partagée, à cette époque, par des journalistes
étrangers, des représentants de la cour d'Appel de Paris et par tous les
diplomates accrédités en Haïti. Les pillards de fonds publics ont été jugés
devant un tribunal de droit commun conformément à la loi du 27 juin 1904 sur
les poursuites contre les Ministres (Moniteur No 52 du 29 juin 1904) qui
stipule en ses articles 1 et 2 combinés: " Quand le Président de la République
et quand les fonctionnaires visés par la loi du 07 juillet 1871 ne sont plus en
fonction et qu'il y ait lieu de les poursuivre à l'occasion des crimes et
délits commis pendant qu'ils étaient en fonction, les seules formalités à
remplir sont celles prévues par le code d'instruction criminelle".
"La compétence du juge d'instruction et des tribunaux de répression en ce
qui concerne ces anciens fonctionnaires, comme du reste, à l'égard de tous
autres fonctionnaires politiques, demeure entière et n'est subordonnée à aucune
autorisation préalable des chambres législatives, lesquelles conservent
néanmoins tous droits d'enquêtes et de dénonciations."
Donc, qu'on ne vienne pas maintenant crier à la persécution
politique et nous embobiner sur la juridiction apte à juger un ancien ministre
qui ne bénéficie d'aucun statut particulier. Et puis, qu'on se le dise: dans la
conception actuelle des affaires politiques, ceci, à travers le monde, le
détournement de fonds publics associé au vol et au gain illicite représentent le
plus grand crime contre une nation.
Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Inspecteur
Judiciaire
Cap-Haïtien, Haïti, ce
18 mai 2016
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