UNE LOI INDÉCENTE
Réunis séparément en audience extraordinaire, une majorité de députés et sénateurs réactionnaires, médiocres, sans conviction et sans moralité ont voté une loi scélérate, indécente, anti-démocratique, catastrophique et périlleuse dont l’unique objectif est de permettre au Chef de l’Etat d’agir en marge de la Constitution comme bon lui semble sans devoir rendre compte de sa gestion. Le Président voulait sa loi et il l’a obtenue grâce à des mandarins serviles et des caméléons, pour la plupart, en jupon qui ont apporté leur soutien à l’adoption du texte. Pour justifier leur comportement de vendus, ils déclarent que cette loi dite « loi d’urgence » était vitale pour le pays. Alléluia ! Fou qui s’y croit ! La gangrène qui tue notre démocratie est portée par ceux-là même qui la représentent.
Les dangers auxquels cette loi nous expose sont tellement nombreux que la sonnette d’alarme doit être tirée maintenant avant que cela ne soit trop tard si ce n’est déjà le cas. On ne fait pas ça au peuple haïtien après avoir vécu ce qu’il a vécu. On est en train d’étouffer voire sacrifier ses libertés fondamentales au profit d’intérêts personnels. Finalement, quel pays veut-on reconstruire ? Est-ce un pays moderne permettant au citoyen d’évoluer dans un environnement égalitaire et d’affronter avec dignité les problématiques du quotidien ou plutôt un pays/filtre permettant d’asseoir un élitisme de mauvaise augure où il est loisible de choisir des petits copains coquins au dépend de la majorité ôtée de ses moindres aspirations citoyennes ? Telles sont les questions que chaque haïtien devrait légitimement poser. Malheureusement, la stérilité intellectuelle de nos élites est flagrante et ressemble à une démission volontarisme d’une mission qui naturellement les incombe. Cette élite sans projet clairement défini ne propose pas un chemin porteur d’espoir pour les jeunes. Et comment s’étonner qu’elle ait des difficultés à s’entendre et s’organiser ?
Si le pays ne veut pas de cette loi, il faut le signifier clairement et fortement. Pour certains, la loi d’urgence n’est autre que la phase préliminaire d’un projet en gestation. Pour d’autres, c’est le fruit d’un apprenti dictateur qui espère garder le pouvoir au delà de son mandat constitutionnel en jouant avec un système qu’il connait bien et dont il souhaite changer les règles qui ne lui seront que trop favorables à long terme. De toute façon, les raisons qui ont poussé l’Exécutif à prendre cette loi ne sont pas clairement affichées, ce qui est à la réflexion inquiétante. Est-ce pour améliorer les conditions de vie d’une population languie de promesses-foutaises ? Est-ce pour finir avec la misère sociale et les désolations engendrées par le séisme du 12 janvier 2010 ? Comment ne pas fantasmer dessus quand on ne connait pas les véritables intentions du Chef de la Magistrature Suprême ? Ce n’est pas la certitude qui rend fou mais plutôt le doute. Et parmi les raisons qui existent pour s’opposer à la loi d’urgence, la plus forte est le flou qui l’entoure.
Après la catastrophe, l’impératif serait de modifier les mentalités et les méthodes de gouvernance or jusqu'à présent, la même rengaine se répète : corruption, impunité, petits arrangements entre amis, rapports de force formels…voilà pourquoi, il ne faut rien attendre de cette loi. Quatre mois après, la population est dans la rue, et la saison cyclonique qui approche ne va en rien arranger sa situation. Pendant ce temps, le Président de la République multiplie ses démarches anticonstitutionnelles. De manière assez surprenante et incohérente, l’amendement de l’article 232 de l’actuelle loi électorale ainsi proposé est de nature à créer des distorsions difficilement admissibles. La Cour de Cassation devrait dire son mot…
Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haitien, Haïti, ce 09 mai 2010
dimanche 9 mai 2010
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