LES ENNEMIS DE LA JUSTICE
S'il est vrai que le sens moral d'une nation se modifie suivant le degré de sa civilisation, alors on peut comprendre aisément la situation des institutions haïtiennes après deux cents ans d'indépendance. Chez nous, on aime faire porter le chapeau à d'autres pour justifier ses erreurs ou ses échecs. Quand ce ne sont pas les blancs, ce sont les houngans. Et si ce n'est pas la police, c'est la justice. Après deux siècles d'administration, l'équation est toujours la même: l'intérêt passe avant le savoir et la morale.
Nous savons qu'il y a des sujets tabous en Haïti, et nous savons aussi ce à quoi nous nous exposons en emboîtant pareil pas, en empruntant cette voie périlleuse et épineuse, celle de dénoncer les tractations macabres et les magouilles farfelues d'un système corrompu et dépravé qu'est la justice de notre pays. Mais, notre cœur et notre âme sont engagés dans cette cause. Nous avons été élevé avec le sens de la loyauté, de l'intégrité et du devoir. De même qu'il faut un brave pour porter le drapeau, il faut une voix pour mettre en accusation. Et c'est pourquoi aujourd'hui nous accusons.
Nous accusons les Sénateurs et les Députés qui critiquent la justice et, dans le même temps, proposent et imposent au Ministre de la justice des éléments incompétents et corrompus pour la magistrature sans tenir compte de leur profil et de leur personnalité. Le parlementaire étant un politicien, son choix ne peut être que politique et partisan.
Nous accusons les Responsables du Ministère de la Justice qui se permettent de sermonner la magistrature et de la remettre hypocritement en question pendant qu'ils se font complices de ces faiseurs de lois. Aucun fonctionnaire compétent et cultivé ne doit se faire le laquais de quelqu'un, fut-ce une autorité, qui fait du porte à porte dans les ministères en quête de faveur en oubliant ses attributions constitutionnelles.
Nous accusons les diplômés de l'Ecole de la Magistrature qui se sont plongés dans l'horreur de la corruption. Ils méritent que la loi les punisse pour leurs crimes. Sont logés dans la même enseigne, les magistrats parachutés dans le système qui acceptent une fonction pour laquelle ils n'ont aucune compétence. Qu'ils soient tous maudits!
Nous accusons les victimes qui refusent de dénoncer les abus et les injustices dont ils sont l'objet de la part des mercenaires du système. Egalement les citoyens qui encouragent le désordre dans l'appareil judiciaire et qui croient qu'un magistrat doit vivre de pain et d'eau fraîche. Sans oublier les policiers mafieux qui ignorent ce qu'est un mandement exécutoire et qui requièrent de l'argent pour prêter main forte dans l'exécution des décisions de justice, enfin les avocats sans vergogne qui font croire à leurs clients que l'énormité de la somme réclamée est destinée au juge entre les mains duquel se trouve leur dossier.
De tout ce qui précède, nous tenons ceux-là pour responsables des déboires de la justice et nous les accusons devant l'histoire de participer chaque jour à la détérioration voire la mise à plat de la plus noble institution de l'Etat. Nous les déclarons ennemis de la justice et de la patrie.
Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d'Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 27 janvier 2008
samedi 26 janvier 2008
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