dimanche 15 septembre 2024

HARRY SANCHEZ: HOMMAGE À UN GÉANT DU DROIT HAÏTIEN

 

HARRY SANCHEZ: HOMMAGE À UN GÉANT DU DROIT HAÏTIEN 

HARRY SANCHEZ: HOMMAGE À UN GÉANT DU DROIT HAÏTIEN

Il est des destins qui sortent des sentiers battus. La vie de Me Harry Sanchez, décédé aux États-Unis d’Amérique le 27 août 2024 suite à une insuffisance rénale, fut exemplaire à cet égard. Il était un modèle de science et de rigueur à nul autre pareil. Comblé de talents, il émergeait toujours et partout du lot commun des hommes. Il incarnait à lui seul la réflexion supérieure, la médiation supérieure et le courage supérieur. Il fut à l’écoute de tous ceux qui l’approchaient, et il leur donnait sans compter son temps, son savoir et sa générosité. Cela lui a valu durant toute sa vie une vénération admirative.

Jeune substitut au parquet du Cap-Haïtien, je me souviens de ce talentueux avocat, de ses prises de parole captivantes, de sa verve. À la barre, il était  un véritable artiste… une virtuose. Il avait l’imagination et la fantaisie dans la parole. Mais ce que j’ai toujours gardé en mémoire, c’est cette intervention, remarquable en son genre, qui laissa interdit le doyen du tribunal, accompagné des sbires du pouvoir dépêchés au Cap-Haïtien, spécialement pour procéder à l’arrestation du chef du parquet et l’emmener avec eux à Port-au-Prince pour une affaire à la fois sulfureuse et exagérément compliquée. Le bâtonnier Sanchez, flanqué de quelques membres de son Conseil, s’est dressé comme un obstacle entre le projet politique concocté et sa réalisation macabre. J’avoue avoir été submergé de fierté ce jour-là. C’était en 2003…, j’avais déjà 30 ans.

Dans ses plaidoiries, on admirait tout autant le travail de bénédictin que la maîtrise du style et le souci de défendre correctement son client. Harry Sanchez connaissait le pouvoir des mots, ces outils qu’on utilise pour s’exprimer et communiquer, pour révéler la vérité et pour mentir, pour séduire et pour insulter, pour convaincre et pour égarer. Il était un vrai monstre sacré au prétoire. Les jeunes auxquels il sut tracer les voies d’un avenir meilleur resteront fidèles au souvenir de ce grand homme de loi idéaliste qui refusait qu’ils s’enlisent dans la facilité et la médiocrité.

Harry Sanchez ne ménagea jamais sa générosité professionnelle. Il s’imposait par ses idées et par son travail, mais ce qui frappait plus encore, c’est que malgré son aura et son talent, il n’a, à aucun moment, cherché à entrer dans l’arène politique. Il savait combien son activité au sein du barreau servait à alimenter celle de son entourage. Il aimait manifestement ce rôle d’inspirateur et s’en réjouissait tout simplement. Ce qui me surprit dans cette prodigieuse personnalité, c’est assurément une intelligence aiguë, une mémoire remarquable, une sensibilité fine, une curiosité étendue, une capacité de travail presque sans limites, ce à quoi correspond ce qu’on pourrait appeler une inaptitude au repos. Il avait une détermination sans bornes et une ténacité qui force le destin.

J’ai eu l’honneur et le privilège de côtoyer cette légende, d’abord, comme professeur à la faculté de droit alors que je n’étais qu’un simple étudiant en herbe, et plus tard comme adversaire acharné et coriace dans les différentes salles d’audience du palais de justice quand je suis devenu ministère public, après être passé par l’École de la Magistrature. C’était un plaideur hors du commun qui savait se courber devant les bonnes décisions taillées à l’angle du droit, sans espièglerie et sans maniérisme. Il savait aussi donner raison à son vis-à-vis quand la cause était perdue et n’essayait jamais d’induire le tribunal en erreur. Je parle ici d’un homme bon et merveilleux qui n’avait rien d’un saint et qui pouvait même être un sale type antipathique en bien des occasions, en raison de ses émotions éprouvées face à un comportement inapproprié ou une violation flagrante de la loi par un magistrat. En effet, il pouvait outrager, sans penser aux conséquences, tout un tribunal quand il se trouvait en face de juges incompétents, intéressés, ignorants ou corrompus. Ça aussi était l’un des traits distinctifs du personnage.

Si sa force de caractère, son extraordinaire indépendance le faisaient apparaître parfois comme un homme autoritaire, c’était à la vérité un homme d’autorité qui savait avoir des moments d’humeur, le plus souvent justifiés, mais qui n’avait rien d’un autocrate (prenant seul ses décisions, et imposant sa volonté personnelle). Il aimait solliciter les avis des autres et écoutait généralement les conseils. Exigeant certes envers ceux qui l’entourent, il l’était plus encore envers lui-même. Néanmoins, ces collaborateurs et ses amis tiennent tous pour un privilège d’avoir pu le connaître, d’avoir pu l’assister et aussi d’avoir pu l’aimer.

L’un des malheurs de notre existence est de voir disparaître sous nos yeux, les parents, les amis et les collègues qui nous sont chers. Harry Sanchez n’a pas cherché la mort, mais en bon guerrier, il était prêt à la rencontrer. Il restera une présence permanente, par-delà son absence et au-delà même de sa cruelle fin de vie. Puisse-t-il reposer dans la paix et la mémoire de tous ceux qui furent l’objet de sa sollicitude et de son amitié. Son départ va nous marquer à jamais.

Les avocats et les magistrats garderont de sa personnalité le souvenir impérissable d’un homme de bien auquel le monde judiciaire, à l’unanimité, rend aujourd’hui un hommage fait de sensibilité et de confraternité exemplaires. Inclinons avec émotion devant l’œuvre hors du commun qui fut la sienne. Saluons en lui un des grands constructeurs de la pensée juridique du Cap-Haïtien en particulier, et du pays en général. Puissions-nous prolonger inlassablement la route que son prestigieux exemple nous incite à suivre.

jeudi 22 août 2024

ET L’ARGENT REMPLACE LE DROIT

 

ET L’ARGENT REMPLACE LE DROIT

ET L’ARGENT REMPLACE LE DROIT

  • par Heidi Fortuné

Si l’argent est le nerf de la guerre, il est aussi pour une bonne part, le nerf du fonctionnement de la justice. Dans les tribunaux, c’est lui qui module et donne un sens aux décisions. Il permet de mieux s’en sortir face au juge. Il est roi, et par conséquent, se pointe au-dessus de tout. La justice qui devait être un service public gratuit devient payante et extrêmement chère en Haïti. Avocat, juge, officier du parquet, greffier et huissier sans âme se mettent ensemble et forment ce qu’on appelle la mafia judiciaire pour gagner de l’argent rapidement et facilement. Ils choisissent d’utiliser un mode opératoire assez original pour simplifier et masquer leur subterfuge. Ce qui est recherché, c’est avant tout la souplesse et la discrétion. De nos jours, le grand avocat est celui qui sait partager ses honoraires avec un magistrat. Point barre!

Lorsqu’un justiciable arrive dans la maison de justice avec son avocat, il y a toujours dans les parages un sous-fifre pour lui souffler discrètement que s’il veut gagner son procès, il a tout intérêt à se séparer de celui-ci en lui suggérant un autre qui fait évidemment partie du réseau. Ce dernier prend alors le dossier, récupère l’argent auprès du client et va rendre compte au magistrat. L’affaire ainsi réglée, une cascade de manipulations, de corruptions et d’actions malhonnêtes s’enchaîne… et le procès est gagné. Il peut advenir aussi que le dossier soit classé sans suite, dépendamment de la juridiction saisie. Les ententes portent parfois sur des sommes importantes, et on négocie sous forme de pourcentage.

L’enseignement à tirer de cette illustration c’est que vous devez choisir entre l’avocat chevronné qui connaît bien la loi, et l’avocat corrompu qui connaît bien le juge.

Plus d’un est convaincu que pour avoir gain de cause dans un jugement actuellement, il faut sortir son portefeuille, car l’avocat et le magistrat sont de connivence. Mais, qu’est-ce qui reste du droit dans ces conditions? Pas grand-chose!

Parfois, le droit triomphe, mais souvent l’argent, les relations, les combines et les méthodes mafieuses l’emportent. Et les protagonistes tirent bien des profits de cette situation: maisons, terrains, voitures et billets de banque. Fort du pacte de partage d’honoraires conclu avec tel juge, des avocats déshonorent leur métier en négligeant de travailler leurs dossiers ou d’approfondir leurs recherches de doctrine ou de jurisprudence. Ils plaident souvent piteusement ou produisent des conclusions dignes d’un analphabète ou d’un illettré. C’est déplorable!

La religion de beaucoup de citoyens est faite: le glaive ne frappe plus les bourreaux.  Ils ne croient pas dans le système judiciaire. Dans leur esprit, si les bandits arrêtés et remis à la justice par la police sortent quelques jours plus tard, c’est parce qu’ils donnent de l’argent. Un homme en robe noire rapporte que bien des clients lui posent la question: ”combien nous allons donner au juge?” C’est le cas souvent dans les dossiers à gros sous, encore appelés ”gros dossiers”. Des juges sont attachés à des cabinets d’avocats pour aplanir le terrain des tribunaux pour lesdits cabinets, illustrant ainsi une déchéance morale et éthique à nulle autre pareille.

Malgré tout, le magistrat intègre, il existe… mais nourrit une profonde frustration face à ses collègues qui ont un train de vie largement au-dessus de leurs revenus ou de certains avocats qui font un étalage arrogant de richesse et avec qui il doit cohabiter tous les jours. Si l’Ordre des avocats doit sanctionner ses membres pour leur indélicatesse, le conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ) devra tout aussi sévir contre les magistrats impliqués dans des affaires douteuses. En ce sens, l’audit de certification doit se poursuivre, car les vrais corrompus sont encore dans le système, seuls quelques malhabiles ont été coincés.


vendredi 26 juillet 2024

 

HAÏTI: LA MÊME EAU QUI COULE

HAÏTI: LA MÊME EAU QUI COULE

Pour bien des raisons, on a toujours tendance à placer Jean-Claude Duvalier dans la galerie des pires présidents haïtiens, non seulement pour vols et dilapidation des caisses de l’État, mais aussi pour des crimes contre ses adversaires politiques. On l’accusa de toutes les horreurs. Je venais d’avoir mes treize ans et j’allais à l’école au collège Notre-Dame du Perpétuel Secours. J’étais en sixième Kersuzan (7e AF) quand le coup d’État a eu lieu et je me souviens comme si c’était aujourd’hui. Je voyais cette foule en liesse parcourir les rues. Le jeune dictateur est renversé et contraint à l’exil. Haïti est libérée !

Il fut peut-être un vrai démon, mais il y avait de l’eau dans les robinets, de l’électricité vingt-quatre heures par jour, les rues étaient propres, la majorité des enfants mangeaient à leur faim et la population vaquait librement à ses occupations en toute sécurité. Ma mère ne travaillait pas et mon père peinait à joindre les deux bouts à chaque fin de mois, malgré tout on vivait heureux. Il n’y avait pas cette grande pauvreté, cette corruption institutionnalisée ni de fédération de gangs armés voire de territoires perdus. Depuis la chute de Jean-Claude Duvalier, le 7 février 1986, beaucoup de choses ont changé en vérité.

Trente-huit ans que nous nous définissons en fonction de critères qui nous sont étrangers. On nous parle de régime pluraliste, régime de parti unique, régime capitaliste ou libéral, régime communiste, régime socialiste, mais où est le régime adapté au peuple haïtien dans tout cela ?

Trente-huit ans que nous copions le système de démocratie à l’occidental. Trente-huit ans de résultats électoraux douteux, de crises post électorales, de gouvernance inefficace. Trente-huit ans de dépenses exorbitantes dans un océan de misère  où même le minimum n’est pas assuré. C’est toujours la même eau qui coule.

Depuis trente-huit ans, nous n’avons que des monarques qui règnent sans contre-pouvoir, et n’en rendent pas compte. 4.2 milliards de dollars ont été volés entre 2011 et 2016, sans compter les fonds détournés préalablement par la commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti (CIRH) après le tremblement de terre du 12 janvier 2010 qui avait fait des centaines de milliers de victimes.

Combien d’hôpitaux, combien d’écoles, combien de tribunaux et d’infrastructures aurait-on pu construire avec cet argent ?

  • Trente-huit ans d’exercice du pouvoir par des politiciens plus préoccupés par leur propre survie que par le bien-être du peuple.
  • Trente-huit ans qui nous amènent présentement à des dirigeants illégitimes.
  • Trente-huit ans de désillusion, de perte de confiance, de mauvaise gouvernance et de stagnation économique.

Il suffit de regarder les pays qui ont accédé à l’indépendance au même moment que nous et voir le niveau de vie de leurs citoyens aujourd’hui.

Maintenant, dites-moi : Haïti telle que nous la voyons actuellement est-elle meilleure que celle que nous avons connue sous le règne de Jean-Claude Duvalier ou au contraire, a-t-elle inexorablement régressé ?

Je laisse chacun avec sa réponse. Et la question suivante est : qu’est-ce qui est finalement important pour nous Haïtiens ?

Copier les autres ou tracer notre propre voie vers nos aspirations profondes ?

La situation d’Haïti est inacceptable : illégitimité, rupture constitutionnelle, crise politique, gangstérisation, déplacements forcés… Le système de gouvernance qu’on nous impose à chaque fois n’est pas adapté. C’est un fait. Quand le président n’est pas imposé, le Premier ministre est importé. Les modèles plaqués ne fonctionnent pas.

Nous n’avons pas besoin d’un grand frère blanc pour nous imposer une manière de voir, quand bien même parfois cette manière de voir pourrait être juste. Nous n’avons pas besoin. Arrêtez de croire n’importe quoi et développons ensemble notre esprit critique pour décrypter le paysage politique et adopter le type de société que nous voulons et de ne plus croire aux foutaises. Haïti soupire après des valeurs saines, des gestions vertueuses et des progrès inouïs. Ceci ne pourra pas se réaliser avec des esclaves de salon. Il est temps de changer, et on ne peut changer les choses que dans la vérité. Nous devons nous réinterroger et élaborer nos propres réponses. Pour cela, nous devons réfléchir, nous devons construire, et nous devons agir. Car si nous ne le faisons pas, personne ne viendra le faire à notre place.

Un vieux proverbe créole dit qu’après une chute, ne t’intéresse pas au lieu de ta chute, mais à celui qui t’a fait tomber. Méfions-nous des pays dits amis qui nous imposent des agendas. Ils ont tous leur politique haïtienne, alors que clairement nous-mêmes ne parvenons pas à bâtir une politique haïtienne, commune, digne de ce nom.

Le dénominateur commun à notre approche c’est la prise de conscience et le sens de la responsabilité. Le temps est venu de rechercher nos propres réponses, sans idéalisme, sans tabou, en ayant le courage de mettre en cause certains principes érigés en dogmes et en ayant à l’esprit les besoins réels de nos concitoyens. 

Haïti réécrira sa propre histoire!

 

Heidi FORTUNÉ, Magistrat

 Cap-Haïtien, Haïti, ce 22 juillet 2024

 http://heidifortune.blogspot.com

lundi 5 février 2024

RÉVOLUTION POUR UNE NOUVELLE HAÏTI

 

RÉVOLUTION POUR UNE NOUVELLE HAÏTI 

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RÉVOLUTION POUR UNE NOUVELLE HAÏTI

Albert Camus définit la révolution comme “un mouvement où l’opprimé considère que son oppression va trop loin”À mon humble avis, cela suppose que le sentiment de révolte est d’abord nourri de tripes et de cœur avant d’être intellectualisé ou médiatisé. Le soulèvement soudain est une explosion de soi, de tout son être. D’ailleurs, le révolté va plus loin de ce qu’il a toujours accepté dans l’injustice. Il prend les armes, tue, pille et détruit… Ce n’est pas la tête qui réfléchit à ce moment-là, mais le corps.

Je ne parle pas ici des Révolutions de couleurs de type « Maïdan » ni du Printemps arabequi n’étaient rien d’autre que des coups d’État fascistes fomentés, financés, orchestrés par les puissances occidentales, dont les États-Unis et ses suppôts, pour contrer l’influence de la Russie dans certains pays. C’était tout simplement des insurrections nationalistes manipulées voire carrément des mouvements indépendantistes antirusses, ayant pour seul objectif de se soulever contre l’ordre politique établi en vue d’imposer de soi-disant projets émancipateurs pour finalement s’aligner sur un modèle de gouvernance bien défini.

Une vraie révolution sous-entend le désir de bouleversement radical de l’ordre socio-économique, dans une dynamique de changement fondamental, et bien au-delà. Autrement dit, un chambardement total par une puissante volonté de rupture et de réinventions politiques inédites… La ligne révolutionnaire implique non seulement un discours radical, une rhétorique guerrière et un symbolisme pragmatique comportant ses propres orthodoxies mais également une conscientisation généralisée. En ce sens, des dégâts matériels et des pertes en vies humaines seront à déplorer. Dieu seul sait!

Les nombreuses manifestations de rue, jusque-là, motivées par des considérations ponctuelles, sont plus que justes. Les aspirations populaires restent insatisfaites. Le développement économique stagne. L’ombre de la mort va et revient à chaque instant. La situation est dramatique. En désespoir de cause, la révolution reste donc l’ultime recours, la grande secousse fondatrice d’un nouveau monde. C’est le seul moyen de rompre les chaînes de la servitude, du sous-développement et de l’insécurité pour affirmer notre personnalité et notre dignité d’homme libre.

Cependant, il est un peu trop facile de prendre les palabres et les proclamations d’un leader politique qui préfère jouer sur les mots plutôt que de rechercher les voies et moyens  pour aboutir à un véritable soulèvement historique. Le projet de révolution 2.0, née de la prise de conscience de l’état de misère et d’affaiblissement de la population, ne peut être l’affaire d’un homme. Onze millions d’âmes condamnées sont concernées. Et pour rompre avec cette mort incomplète dont ils font face tous les jours et toutes les nuits, les Haïtiens doivent se réapproprier la possibilité de refaire l’histoire.

Un vent souffle. Il souffle du nord au sud et ne pourra pas longtemps être étouffé. Ce qui crée l’étincelle de cette perturbation, c’est le besoin urgent et non-négociable d’un changement durable. Des divisions sont susceptibles de compliquer le développement et l’aboutissement du mouvement. Mais elles ne seront pas insurmontables. Dans l’état actuel des choses, la meilleure alternative est de faire front commun contre l’ennemi.

La véritable révolution à laquelle nous aspirons tous doit commencer dans notre mentalité, dans notre cœur. En effet, il est impératif, dès à présent, de penser Haïti autrement, de parler d’Haïti autrement et d’imaginer le chemin de la nouvelle Haïti autrement. Le peuple haïtien a trop souffert. Il arrive un moment où chaque ineptie doit avoir un début et une fin pour qu’une nouvelle renaissance puisse voir le jour.

Le temps de la nouvelle Haïti est proche. Une nouvelle Haïti avec des femmes nouvelles et des hommes nouveaux. Des femmes et des hommes qui ont Haïti dans le cœur, dans le sang, dans le cerveau et dans l’esprit et qui n’accepteront jamais qu’un homme ou une quelconque entité ou même un État puisse leur imposer quoi que ce soit. La nouvelle Haïti nécessite non seulement la décolonisation mais aussi la responsabilisation. Entendez par-là, nous organiser par nous-mêmes, pour nous-mêmes et pour notre propre destinée. Nous marcherons avec tous les pays qui veulent marcher avec nous et qui nous traitent avec respect. Et nous combattrons ceux qui seront dans une dynamique de nous imposer un agenda qui n’est pas en adéquation avec nos aspirations et nos réalités. Une autre page d’histoire va s’écrire.
Vive la révolution!

mercredi 3 janvier 2024

DE L’INDÉCENCE JUSQU’À L’ÉCŒUREMENT

 

DE L’INDÉCENCE JUSQU’À L’ÉCŒUREMENT 

DE L’INDÉCENCE JUSQU’À L’ÉCŒUREMENT

  • par Heidi Fortuné, Magistrat

Le juge d’instruction conduit les investigations les plus approfondies avant le procès, afin de saisir tous les faits de la cause. Il mène son enquête à charge et à décharge, de manière exhaustive, avec l’ambition de découvrir des indices, en procédant, conformément à la loi, à tous les actes d’informations utiles à la manifestation de la vérité.

Dans le cadre de son instruction, le juge convoque les témoins et les personnes soupçonnées pour être auditionnées ou interrogées en sa chambre d’instruction criminelle, mais non se faire inviter à domicile par ces derniers pour prendre un apéritif et des repas à chaque pause.

On peut déjà supposer une partialité flagrante qui empêchera un examen objectif du dossier. Qu’il s’agisse du Président de la République, du Premier Ministre ou, autres potentats du pouvoir, il faut suivre la procédure indiquée.

Le code d’instruction criminelle ne prévoit pas de telle méthode. Et cela n’aurait aucun sens.

Les articles 400 et suivants sont mal interprétés. Le respect des lois et des procédures est un impératif universel. On a plusieurs exemples sous nos yeux : des péripéties de Donald Trump en passant par les déboires du Premier Ministre israélien Benyamin Netanyahou, sans oublier les démêlés judiciaires de Nicolas Sarkozy et plus récemment la condamnation avec sursis d’Éric Dupond-Moretti, Garde des Sceaux en France…ils ont tous été contraints à se présenter devant les tribunaux, à se soumettre aux actes de procédure et à se plier aux injonctions imposées par la justice parce que tout simplement ils ne sont pas au-dessus de la loi.

En Haïti, le système judiciaire entretient une relation étroite, mais particulière avec le pouvoir politique. Séparée de lui conformément au principe de la séparation des pouvoirs, la justice agit dans le cadre des lois. Cependant, son indépendance est régulièrement questionnée, et mise à l’épreuve face au comportement des acteurs.

La politisation de la justice a toujours posé problème, d’où cette longue tradition de dépendance. C’est la raison pour laquelle le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ) et l’École de la Magistrature (EMA) ont été créés.

Cette évolution était essentielle à la garantie de l’indépendance des magistrats dans la détermination de la poursuite pénale, mais ne résout jusqu’à présent pas la question. Je prends en exemple le dossier de l’assassinat du président haïtien Jovenel Moïse. Je suis incapable de dire quel était l’état d’esprit du magistrat quand il a jugé opportun de se rendre dans la résidence officielle du Premier Ministre pour procéder à son audition à titre de témoin régulièrement cité à comparaitre par-devant lui dans le cadre de l’instruction de cette affaire.

Mais, c’est une vraie honte. Honte à la justice! Honte à nos politiques! J’ignore ce qui a bien pu se passer dans sa tête. Ce que je sais par contre, c’est que ce faisant, il a atteint un degré d’ignominie qui, à coup sûr, laissera des traces pour la suite de sa carrière. J’appelle cela une profanation de l’indépendance de la Magistrature. Ce comportement bas, petit et indécent en dit long sur la personnalité de ce directeur d’enquête et l’ordonnance finale qui en suivra.

Si un juge veut être respecté, il faut déjà qu’il soit respectable. Je ne reproche pas à ce monsieur sa tendance ou son rapprochement avec le pouvoir politique, cela m’indiffère royalement. Je lui reproche ses manœuvres, au demeurant bien risibles dans l’état actuel des choses.

J’ai honte pour la Magistrature et ses dérives dangereuses. Quand on est juge, on doit être au-dessus de tout soupçon, chose qu’à l’évidence il ne comprend pas. Mais il est là, le scandale. Elle est là, l’abomination. Je me contrefous de ses états d’âme et de ses pensées. Je me contrefous de comprendre la syntaxe de son argumentation. Ce qui est certain, son comportement crée des polémiques imbéciles à des fins partisanes.

Il y a franchement des femmes et des hommes qui sèment les ruines et la peine dans ce pays sans même un frisson de gêne. Et consciemment ou pas, le juge a craché au visage de tous les magistrats intègres, a sali la mémoire du président assassiné et a piétiné la douleur de sa famille et de ses amis. Finalement, on ne sait même pas à qui on veut rendre justice dans cette histoire.

Dans toute autre démocratie, une poursuite serait envisagée par la direction de l’inspection judiciaire pour manquement aux devoirs, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité contre ce magistrat.

Je rêve d’une justice qui aura les moyens de ses ambitions et où la Magistrature sera vraiment indépendante; qu’il n’y aura plus de dossiers dits “politiques” et que tous seront égaux devant la loi, pas seulement en théorie, mais aussi en pratique. Impossible me dira-t-on! Je le sais bien. Malgré tout, je continue à faire le même rêve toutes les nuits… pourvu que cela puisse se réaliser, même un peu, demain ou après-demain. Un jour en tout cas.

  • Heidi FORTUNÉ, Magistrat
  • Ancien Juge d’Instruction
  • Cap-Haïtien, Haïti, ce 03 janvier 2024
  • http//: heidifortune.blogspot.com

dimanche 8 octobre 2023

SI LA HONTE TUAIT

 

SI LA HONTE TUAIT

EFFERVESCENCE INTERNATIONALE

Quand on évoque la honte, c’est souvent à la pudeur qu’on pense aussitôt. Mais, après moult constats en rapport avec le comportement de certains dirigeants haïtiens, il semblerait que la honte n’a rien à voir avec la pudeur. Cela fait déjà plus d’un mois que la population dans le nord-est d’Haïti se bat pour leurs droits souverains et légitimes contre les autorités dominicaines. L’objet du litige: un canal! Le gouvernement haïtien s’est enfermé à double tour dans un mutisme absolu et s’est couché, malgré l’arrogance et les propos inacceptables du voisin. Se taire est complice. Et le silence est pire que la trahison.

D’emblée, j’admets que je ne dispose pas de toutes les informations auxquelles ont accès les autorités étatiques, et que je ne suis pas au fait des subtilités entourant le traité bilatéral signé entre mon pays et la République Dominicaine sur l’utilisation, par les deux antagonistes, de la rivière qui traverse les deux territoires. Je ne connais pas non plus les considérants ni les attendus qui motivent le texte officiel. Mais, en l’état actuel des choses, je me sens profondément offensé et choqué par l’attitude du Premier ministre haïtien face à l’insolence et au manque de respect du Président dominicain envers le peuple haïtien.

Les initiateurs de la construction de cette voie d’eau artificielle qui va desservir les habitants de la plaine de Maribaroux, ne reçoivent, jusqu’à présent, aucune aide venant du Locataire de la Primature si ce n’est des dons collectés entre frères et sœurs haïtiens dans un élan de patriotisme retrouvé, comme jamais auparavant. Celui-ci ignore tout bonnement les appels au secours de ses concitoyens laissés sans assistance, au beau milieu d’un conflit international complexe. Sa passivité et son inaction ne surprennent pas. Mais sous d’autres cieux, en d’autres lieux, je vous le dis, il aurait été tout simplement exécuté pour trahison.

Chef du gouvernement, comment pouvez-vous rester les bras croisés pendant qu’un pays hostile masse ses troupes à votre frontière sous la menace d’intervenir militairement pour stopper la construction d’un ouvrage érigé sur votre sol? Et que dire des propos inamicaux et racistes de la part d’officiels dominicains? Non, M. Abinader, je n’ai pas honte de mon pays, Haïti. J’ai honte de ses dirigeants dont le comportement indécent porte atteinte à la conception que nous, haïtiens, avons de la manière dont un gouvernement responsable devrait se comporter envers ses citoyens, conception fondée d’ailleurs sur notre propre Constitution.

Le peuple haïtien est dans ses bons droits et il lutte, à juste titre, pour des principes inhérents à sa souveraineté. Malédiction, à vous traîtres, traîtresses, tenants actuels du pouvoir qui rampez à plat ventre, pour aller demander pardon! Je ne sais pas combien de séries d’excuses ni combien d’années, vous seront nécessaires pour réparer ce déshonneur, refaire des ponts et établir une certaine confiance – jusque-là jamais gagnée – car présentement, vous êtes mal barrés. Heureusement pour vous, la honte ne tue pas, sinon nos cimetières seraient remplis de vos cadavres.

dimanche 6 août 2023

 

NI OUBLI…NI PARDON!


NI OUBLI…NI PARDON!

Haïti a une histoire fascinante. C’est l’une des nations les plus fières au monde. Malheureusement, sa trajectoire a été tragiquement sabotée par les actions des puissances étrangères. Tout au long de ses 220 ans d’existence, le pays a connu une suite de déboires invraisemblables marqués par les assassinats politiques, les coups d’État, la corruption, les opérations secrètes et les complots commandités par la France, par le Canada, et par les États-Unis qui ont mis en place un système de prédation économique sauvage à son encontre dans l’unique but de prolonger leur domination financière et géopolitique. Surnommée à juste titre: la Perle des Antilles, Haïti était en effet cinq fois plus riche que la Chine en 1960. En plus de ses mines d’or, elle produisait dans le temps, environ 60% du café et 50% du sucre, vendus à travers le monde. Comment diable, un pays qui possédait autant de richesses autrefois, soit-il si pauvre aujourd’hui? Ils lui ont carrément tout pris. Ils l’ont pillé et, aujourd’hui encore, ils continuent à le sucer jusqu’à la dernière goutte de sang. Ceci n’est pas seulement de la méchanceté, mais de la pure cruauté. C’est également l’une des injustices les plus répugnantes de l’histoire de l’Humanité. Et dire que des traîtres ont collaboré avec les prédateurs. Un ancien premier ministre, dans un spectacle fantasmagorique digne d’un esclave à talents sur le perron de l’Élysée eut à dire devant son maître Jacques Chirac qu’il n’y avait aucune base légale à la demande de restitution de la dette de l’indépendance réclamée par le gouvernement haïtien en 2003 et qu’on y renonce. Comment oublier ce président du Conseil Électoral Provisoire qui a manipulé, et a falsifié le résultat des élections présidentielles de 2011 sur demande des États-Unis? Les abus impérialistes sont en fait les véritables racines de la misère et du déclin économique d’Haïti. Souviens-toi et ne pardonne pas, peuple haïtien!

Actuellement, on parle d’envoyer des troupes sur le territoire national afin d’aider à rétablir la sécurité. L’enjeu du moment est d’alerter les compatriotes sur l’ampleur de la conspiration préparée secrètement contre le pays. Cela participe à faire émerger l’idée que les Haïtiens ne peuvent pas se prendre en charge et qu’ils ont besoin d’un tuteur. Comme quoi, près de vingt mille policiers professionnels dont des unités spécialisées, bien entrainées et vachement équipées, ne sont pas capables de venir à bout de quelques bandits squelettiques. Et pourtant, le problème pouvait être résolu avec le seul soutien de la population. Pour preuve, l’insécurité avait un certain temps totalement disparu avant de recommencer à défrayer la chronique. Des éléments de la société civile, des journalistes, des professionnels de métier sont enlevés. Un véritable cri de colère pour certains, un cri d’alerte pour d’autres. Cela fait deux ans qu’on laisse prospérer cette activité dans la capitale haïtienne où les gangs armés règnent en maître et seigneur. Ils font et défont à leur guise avec la complicité des autorités étatiques et sous le regard bienveillant de la communauté internationale. Le phénomène s’est radicalisé et a même évolué depuis que le gouvernement a interdit à la population de donner la chasse aux bandits. La remobilisation s’avère donc nécessaire et urgente, c’est le seul remède capable de guérir la maladie. Il faut que le mouvement recommence et s’amplifie, mais de façon bien ordonnée. Qu’on ne s’y méprenne pas! L’insécurité est un peu comme un chien couché, il devient dangereux dès qu’on lâche la bride. Les derniers événements montrent que cette bride a été lâchée. Dans la situation actuelle, il y a plus important que le droit et les conventions internationales, c’est la survie de la nation haïtienne et de chaque citoyen haïtien qui est menacée. On n’oubliera pas les victimes, on ne pardonnera jamais à leurs bourreaux!

 Neque remissionem, neque oblivionem. Ainsi soit-il!

 

 Heidi FORTUNÉ

 Cap-Haïtien, Haïti, ce 04 août 2023